Première rencontre
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Première rencontre
Edward
Deux femmes attendaient déjà dans la pièce à son arrivée. L’une, plutôt grande, habillée de diverses teintes de violet, un masque de fleur ornant son visage, et l’autre, qu’il soupçonnait d’être sa compagne de voyage au vu de sa couleur de peau, portant une robe multicolore et un loup alternant plusieurs nuances de rouge.
Lui-même dissimulait son visage derrière un masque noir et doré, allant avec un costard en trois-pièces noir et bleu. Il prit donc place à la tablée, évitant soigneusement le regard des deux femmes.
Que l’une d’elles soit leur hôte était exclu, il en était sûr. Leurs mains, dissimulées sous des gants de dentelles, semblaient bien trop fines pour la tâche qu’accomplissait Luzia Ifelis Dela Ria.
Édith
Soudain, troublant le silence de la salle, la deuxième porte de la pièce s’ouvrit, laissant entrer une nouvelle personne, masquée également. Elle dissimula son sourire, la situation lui rappelant une autre soirée, dans un autre pays, dans une autre immense demeure, quelques mois plus tôt. Était-ce là l’ironie du sort ? Sans qu’elle puisse y réfléchir plus avant, la nouvelle venue prit la parole.
-Señoras, Señor, bonsoir, et permettez moi de vous souhaiter la bienvenue en ces lieux, n’ayant pas eu l’opportunité de la faire plus tôt. Sa voix roulait comme les vagues, transperçant l’ambiance pesante qui régnait. Même si vous savez sans doute qui je suis, la bienséance m’oblige tout de même à me présenter. Mon nom est Luzia Ifelis Dela Ria, gouvernante de Cadix, maîtresse des environs et, bien sûr, de cette demeure.
Elle fit une pause, regardant tour à tour ses invités, mais voyant que personne ne s’exprimait, elle continua.
-Je vous informerai avec grand plaisir de ce que vous faites ici, à Cadix, mais l’un d’entre vous manque à l’appel. C’est pourquoi je…
-Pardonnez-moi mais, vous n’êtes tout de même pas en train de nous dire vous reportez vos explications uniquement à cause d’un absent ? railla la danseuse, qui ne pouvait déjà plus tenir sa langue.
-Et bien oui Señorita, répliqua froidement l’Espagnole. Cependant, comme j’allais le préciser avant que vous ne m’interrompiez, je peux vous donner quelques détails concernant les jours à venir, afin de ne pas vous laisser dans le noir le plus complet.
-Je dois avouer que ce serait plus que bienvenu, intervint la jeune fille au masque rouge, car il me semble que personne ici ne sait de quoi il en retourne.
-Je suis on ne peut plus d’accord, ajouta l’homme tout en échangeant un regard avec celle qui venait de parler, ce que la valseuse ne manqua pas de voir.
-Je comprends parfaitement vos doutes et interrogations, reprit l’hôtesse en s’asseyant à table, mais encore une fois, je ne peux pas tout vous dire pour l’instant.
Édith émit un son désapprobateur, s’attirant un nouveau regard noir de l’hôtesse. Après avoir fixé tour à tour ses trois interlocuteurs, Luzia continua.
-Je vous ai tous fait venir ici en raison de vos talents exceptionnels. Mais pas n’importe lesquels. Sa vois s’échauffa, comme mue par l’excitation.
Vos talents à donner la mort. Précision, inventivité, motivations, pour être transparente, je vous admire.
Les trois autres se regardèrent, estomaqués. Du moins pour les deux femmes, l’homme restant tout à fait stoïque devant les dires de l’Espagnole. Puis la plus jeune troubla le silence pour murmurer :
-Comment êtes-vous au courant ? Des traces ? Les autorités ? Vous nous avez observés ?
Elle rajusta son masque écarlate, comme si elle avait peur que quelqu’un ne découvre son identité et ne la dénonce. Cette attitude de novice eut pour effet d’attendrir Édith, qui ne comprenait pas comment une si jeune et frêle personne pouvait être qualifiée de dangereuse meurtrière.
Cette pensée fut vite éloignée à la vue d’un couteau à peinture taché de sang serré dans la main de sa voisine. Ce qui l’amusa, bien évidemment.
-Je dois admettre que je vous ai souvent observés ces derniers temps. L’Espagnole ne semblait pas avoir conscience de la menace, ou peut-être s’en fichait-elle. Mais loin de moi l’idée de vous dénoncer. Pour mon intérêt personnel cependant, je le crains.
À ces mots, l’inconnu sembla se réveiller, fixant Luzia avant de s’adresser à elle, aussi perplexe qu’accusateur.
-C’était donc vous. Après le procès. Devant mon cabinet et la foule de journalistes.
-Vous êtes bien perspicace Señor, je dois l’avouer, fit-elle, sourire aux lèvres.
-Vous me disiez quelque chose, mais je conservais un doute. Il est pourtant difficile d’oublier des yeux aussi atypiques, miss.
-Je vous crois sur parole, même si les yeux bleus sont plus courants que vous ne le pensez en Andalousie. Elle regagna une expression neutre, avant de revenir à ses explications. Pour reprendre notre sujet d’origine, vous êtes ici, à Cadix, pour participer à un jeu. Un pari.
-Et si nous refusons ? l’interrompis encore une fois la valseuse.
-Je me verrais dans l’obligation de rapporter vos actes à la loi, señorita.
-Un choix qui n’en est pas un donc.
-Nous avons toujours le choix. Certains sont juste plus accommodants que d’autres. Elle fixa l’Autrichienne bien droit dans les yeux, avant de prendre un ton plus léger. Mais cessons de proférer des menaces et mettons nous à tables voulez vous ?
La maîtresse de maison fit tinter une petite cloche, faisant surgir une dizaine d’employés apportant divers plats encore fumants. Très vite Édith remarqua que sa jeune voisine aux allures meurtrières ne semblait pas à l’aise, gigotant, touchant à peine à son assiette et jetant de fréquents coups d’œil en direction de leur hôtesse, comme un appel à l’aide.
Elle fut à deux doigts d’engager la conversation pour mettre à l’aise sa camarade à la peau d’ébène, mais se résout à y renoncer, ne voulant pas la brusquer. Le repas se passa donc globalement dans le silence, si ce n’est les quelques murmures énervés qu’échangèrent Luzia et le seul homme attablé. Cependant, ils trouvèrent vite un arrangement et la dispute cessa aussi vite qu’elle avait démarré, replongeant la salle dans le silence.
Une fois qu’ils eurent fini, les assiettes débarrassées et les employés repartis, ils s’installèrent dans un des salons jouxtant la pièce. Un salon plutôt sobre, tranchant avec l’ambiance de la maison, et reliant par une grande baie vitrée une magnifique pergola ornée de chèvrefeuille, de lavande, et de diverses fleurs aux couleurs vivantes, même si la valseuse ne les voyait pas très bien en raison de la nuit tombée. Tous fixaient l’Espagnole, attendant la suite.
-Avant tout de chose, reprit celle au centre de l’attention, chacun pour l’instant gardera son identité secrète. Du moins vous, car cela est désormais impossible pour moi.
-Mais dans quel but ? demanda la fille au masque rouge. Je doute que ces masques cachent réellement quoi que ce soit.
-C’est une question de symbolique niña. Endosser une nouvelle identité. Votre vraie identité. Au-delà de ce que vous montrez à vos proches, à vos pairs, à la société au quotidien.
Celle qui avait posé la question hocha la tête, comme si ce discours faisait écho chez elle. L’homme par contre secoua la tête, presque d’incompréhension. Quant à Édith, elle pouffa, puis s’esclaffa.
-Vous êtes encore plus étrange que je ne le pensais, et cela n’est pas complètement pour me déplaire.
-Quoi qu’il en soit, continua Luzia, je vous prierais de porter ces masques à chacun de nos rendez-vous. Aussi, par la même occasion, vous utiliserez de nouveaux noms. Il serait dommage en effet que quelqu’un qui surprendrait nos activités nous reconnaisse, ajouta-t-elle, sans l’ombre d’un sourire.
-Si c’est un jeu, il faut se plier aux règles, fit la valseuse, accoudée nonchalamment sur sa baquette de velours gris. Je me présente donc à vous en tant que « Belladone ». Le futur nous dira si vous m’appelez un jour autrement.
Sa voisine, qui contrairement à elle restait droite dans son siège, prit à son tour la parole, voyant que les trois autres la regardaient.
-Vous pourrez m’appeler « Dante », si cela vous convient, fit-elle, à nouveau en regardant Luzia du coin de l’œil.
-« Anubis », se contenta de souffler l’homme, se débarrassant de toute cérémonie.
-Et vous vous adresserez à moi en tant que « Shelley », conclut l’Espagnole.
-Vous nous devez toujours des explications, Shelley, fit remarquer celle appelée désormais Dante.
-C’est vrai, soupira l’intéressée. Il serait malvenu de ma part de vous faire attendre plus longtemps, malgré l’absence de…
Elle se tut soudainement, observant avec attention l’extérieur par la porte vitrée ouverte. Puis contre toute attente, elle se mit à rire légèrement, continuant de regarder dehors.
-Entrez mon cher, nous vous attendions avec impatience.
A suivre...
(Qu'est ce que j'aime cette phrase, à la fois sadique et dramatique)