4. Bathyan : le P'tit Gravier
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4. Bathyan : le P'tit Gravier
Cela peut vraiment sembler paradoxal, mais c’est l’absence de bruit qui m’a maintenu éveillé toute la nuit. La pollution sonore est vraiment une saloperie de nuisance. Quand elle est là, elle nous tape sur le système et lorsque le silence joue les chapes de plomb, il en devient oppressant. Une habitude à prendre, sans aucun doute, et des deux perturbations, je préférerais très certainement le silence. En attendant, c’est une nuit presque blanche qui boursoufla mes paupières et cerna mes yeux de noir pour cette première matinée.
Hier, j’avais contemplé l’île qui s’étirait en longueur à quelques brasses de Saint-Pierre. Elle s’étendait, passive, sur presque deux kilomètres de long pour sept cents de large. Parsemée d’habitations et d’une église, elle était pourtant désertée depuis les années soixante. Il n’en fallait pas moins pour qu’elle devienne aussitôt l’objet incontournable d’une curiosité impérieuse pour le touriste que j’étais. Renseignements pris, il me fallait rejoindre le quai du Petit Gravier, un bateau taxi entre Saint-Pierre et l’île, avec du liquide pour la traversée. L’avantage de l’archipel était que tout pouvait se faire sans voiture et en moins de cinq minutes, j’attendais devant la billetterie, visiblement pas le seul à vouloir profiter de cette sortie estivale.
Il restait encore de la place lorsque le bateau largua les amarres et quitta l’anse de Coudreville pour la passe, en longeant la digue aux moules et ses affleurements rocheux peuplés de phoques gris. Un voyage d’un quart d’heure qui offrait un bonus exclusif : une vue exclusive, par la mer, sur l’agencement multicolore de Saint-Pierre. C’est fou comme un simple regard, embrasant un arc-en-ciel de maisons colorées, peut apporter un bien-être, inexplicable, à simplement contempler un paysage. Cependant, ce bien-être allait être de courte durée. La sensation d’être observée est un courant électrique qui, par surprise, vient vous alerter. Derrière mes lunettes de soleil, il ne me fallut pas longtemps pour repérer une femme dont le regard ne me quittait pas. Instantanément, je retrouvais mes tics du gars gêné qui ne sait pas quoi faire de son corps. Chaque maison, chaque pierre sur la digue, chaque vaguelette attirait mon regard pour une seconde à peine. Même les quelques phoques, visiblement à bronzer sur des rochers affleurants, ne parvinrent pas à maintenir mon attention. Sans cesse, je revenais à tenter de voir au travers des lunettes de mon observatrice. Nul homme ne peut comprendre ce que subissent les femmes à ces regards perçants, déstabilisants, voire déshabillants, si ce n’est le ressentir à son tour. C’était le cas pour moi et la traversée d’un petit quart d’heure me semblait désormais durer une éternité. Moi qui me trouvais chanceux aujourd’hui de ne pas avoir été questionné par les matelots sur ma provenance ou mon célibat, je me retrouvais comme un animal de foire, épié, scruté, et ce, sans aucune retenue. J’avais hâte de me retrouver sur la terre ferme, loin de ce bateau devenu si rapidement trop petit.
La maison Jezéquel se dressait dès la sortie de l’embarcadère, une invitation pour le café et pour commencer la visite de cette île par l’exposition de voiles. Pourtant je n’avais qu’une envie, c’était de m’éloigner le plus rapidement possible. Quitter le groupe qui se délitait à mesure que chacun allait en territoire déjà connu pour la plupart. Je prenais rapidement un chemin parallèle, sans un regard en arrière, agréablement surpris par l’absence de bruits de moteur ou de civilisation. Ce silence qui m’avait maintenu éveillé était ici une bénédiction. Le murmure du vent était une véritable berceuse, le babillage des vagues, une invitation à la contemplation. La quiétude se respirait à plein poumon, comme si le temps s’était arrêté depuis que l’île aux marins avait repris sa liberté solitaire. C’est dans cet état d’hébétude que je l’entendis d’abord. Un froissement d’herbe, puis la décharge électrique du sixième sens, quelques dixièmes de secondes avant d’entendre sa voix.
— Bonjour, déclara-t-elle, répondez, souriez et marchez avec moi.
Il me fallut quelques secondes pour assimiler cette avalanche d’ordre de la part de l’inconnue du bateau. Elle portait toujours ses lunettes noires dissimulant son regard. Ses cheveux frisés débordants d’une casquette, dont le logo en forme de chouette aux couleurs du drapeau de Saint-Pierre-et-Miquelon, masquaient le discours que ses rides de front auraient pu me confier. Rien ne transparaissait de cette femme qui cala son rythme de marche sur le mien.
— Bonjour, me contentais-je de répondre à ses invectives.
— Souriez bordel, lança-t-elle à mi-voix, une jeune femme vous aborde et vous êtes heureux d’être ici. Alors, souriez.
— Vous me voulez quoi ?
— Marchez droit devant, on va aller directement à l’épave pour parler.
— Madame, je ne sais pas vraiment quelles sont vos intentions, mais je ne suis pas intéressé. Si j’avais voulu du tourisme sexuel, je serais plutôt parti pour d’autres latitudes.
— Non, mais je rêve, souffla-t-elle. Quand une femme vous sourit, ça ne veut pas dire qu’elle va vous sucer. Quand elle vous complimente, elle ne veut pas que vous la mettiez dans votre lit.
— Je n’envisageais rien de tout ça. Vous voulez quoi ?
— Que vous marchiez droit devant, j’ai des choses à vous dire et la première est d’arrêter de crier à tout vent que vous êtes célibataire ! L’archipel entier est déjà au courant et c’est pas en votre faveur.
— Putain, mais vous êtes qui ?
— On avance dans tous les sens du terme, c’est bien. On prend le sentier à droite, je vous en dis plus une fois à l’épave. Regardez devant vous, riez un peu et surtout ne vous retournez pas : on nous regarde.
5. Bathyan : l'épave
Couverture : © Jean-Christophe Mojard, 2024