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En équilibre. 1.Racines

En équilibre. 1.Racines

Veröffentlicht am 9, Aug., 2024 Aktualisiert am 9, Aug., 2024 Family
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En équilibre. 1.Racines

1. Grand-mère 

Il fait 8 degrés. Cela fait cinq jours qu’il pleut. Elle termine sa nuit de travail. Elle a ramassé les poissons dans les filets des pêcheurs qui sont rentrés hier soir. Elle a éventré, vidé, placé la glace de ses mains gercées directement sur les bêtes mortes, pour bien les conserver. Ce n’est pas un métier facile. Elle n’a pas eu le choix. Elle a arrêté l’école à dix ans. Il fallait gagner sa vie. Ne pas perdre de temps. Elle doit rentrer. Ses quatre enfants dorment, il ne lui reste que quelques heures à elle aussi pour en faire autant. Ensuite, il faudra les préparer pour l’école. Heureusement l’aînée l’aide beaucoup. Elle aperçoit la cabane dans le brouillard de cette fin de nuit. La fumée qui sort de la cheminée est faible. Il n’a pas remis de bois. Il a du boire et s’endormir comme d’habitude. Où va t elle le retrouver? Dans le lit? Sur son fauteuil? Sera t il là au moins, ou bien est-il entrain de profiter de la chaleur des bras d’une autre? Elle entre sans bruit. Elle a froid. Il faut rajouter une bûche. Et demain, il faudra retourner chercher du bois. Elle est solide. Le travail depuis l’enfance ça endurcit. La vie ici, de toute façon, pour la vivre, il faut être solide. Son ventre durcit. De jour en jour. Elle sait que c’est pour bientôt. Avant l’arrivée du printemps. Encore un enfant à nourrir. Elle espère que ce sera le dernier. Et un garçon. Ça rapporte plus, un garçon. Et puis c’est moins de soucis aussi. Heureusement l’aînée est là . Elle l’aidera. Elle entre dans la chambre. Le lit est vide. Tant mieux, elle n’a pas à faire semblant. Dans quelques heures, il rentrera et se préparera pour sa tournée. Elle le croisera, comme si de rien. Elle lui demandera de penser au bois. 

 

Les premiers rayons du soleil reviennent. Ce n’est pas tout à fait le printemps mais c’est déjà ça. Cela fait une semaine qu’elle n’est pas allée travailler. Elle se prépare. La sage femme a été prévenue, elle ne va pas tarder à arriver. Sa mère est là. Elle a l’habitude, elle s’occupera du bébé pendant que la sage femme terminera le travail. Lui? Le voisin est parti le chercher sur sa tournée. Il ne l’a pas trouvé. Mais il va rentrer, quelqu’un l’a prévenu. C’est une fille. Tant pis.

 

2. Grand père 

Assis au fond de la salle, ses doigts courent sur les touches. Sa musique entraînante fait danser les filles du village. Et les garçons aussi. Les beaux costumes de velours noirs tourbillonnent. Les boutons dorés scintillent sous les lumières. La nuit est fraîche mais la danse réchauffe. C’est le joueur d’accordéon le plus célèbre du canton. On l’appelle le facteur, relativement à sa fonction. Mais ce n’est pas son nom. Son nom d’ailleurs, n’est pas son vrai nom. C’était celui de sa mère et de l’homme qui l’a élevé. Il aimerait porter le nom de son père. Mais c’est trop tard. Il a fallut que l’autre meurt pour qu’il épouse finalement sa mère et qu’elle prenne son nom. Mais lui, non. Après tout, un nom n’est qu’un nom, et puis sa femme et leurs enfants le portent aussi. Ce serait bien trop compliqué de tout changer. Des enfants, il en a quatre. Enfin bientôt cinq. Il ne s’en occupe pas beaucoup. Ce n’est pas son rôle après tout. Et puis il n’a pas le temps. Il y a la tournée. Et toutes ces soirées à animer, à faire danser, au son de son instrument. Quand il rentre il est trop fatigué. 

 

Il est parti tôt ce matin. Sa besace en bandoulière. Il aime son métier. Ça lui permet de discuter avec les gens du conté. Vous savez comme c’est. On donne une lettre, on nous fait entrer. On nous fait s’assoir, on nous donne à boire. Résultats, parfois il ne sait plus très bien dans quel ordre il doit marcher. Si par cette maison, il est déjà passé. Et puis parfois on nous fait entrer. Et s’allonger. Il y’a de jolies petites à consoler, quand la lettre que vous apportez n’est pas porteuse de bonheur. C’est vrai que cette fois, il a peut être abusé. Elle vient d’accoucher, une petite fille est née.

 

3. École 

Ma mère est née, donc, dans cette cabane, un peu avant l’arrivée du printemps. Pas évident de se construire dans cet environnement. Gand-mère travaille dur. Heureusement, l’aînée est là pour aider. Une seconde maman. Les années ont passé et l’école est entrée dans sa vie. Disons plutôt que c’est elle qui dû y entrer. Chaque matin. Elle aime la poésie et le chant, dans lequel elle excelle. La jolie petite peut séduire son auditoire. Les garçons doivent tomber en amour devant ses beaux yeux verts et ses longues anglaises. Les enseignantes ne sont pas toujours de cet avis. La violence des paroles, l’humiliation pour une leçon non comprise, une lecture ratée, lui font perdre son équilibre déjà fragile. Ses racines sont à la cabane pas dans la salle de classe. Pourtant c’est aussi ce qui fera son identité. Cette école va devenir son enfer. Alors sur le chemin, elle marche en traînant des pieds. S’arrête pour regarder les doigts agiles de la dentellière sur son ouvrage. Se cache dans le recoin de la porte du boulanger pour sentir les bonnes odeurs du beurre. Ralentît devant l’église pour ne rien perdre des sons de l’orgue. Tout ce qui peut la retarder encore, de l’instant où elle franchira la grille de l’école. Sans le savoir elle forge ses origines. Les odeurs du boulanger deviendront le cœur de sa cuisine, la délicatesse de la brodeuse formera ses propres doigts à la couture, les notes de musique accompagneront la justesse de son chant. Mais le moment viendra où il faudra se confronter à la lecture à haute voix.

 

 

 

4. Fratrie

Grand-mère est partie travailler. Il faut se préparer. Ce sont désormais six enfants qui s’amusent dans la lande près de la cabane. Les garçons sont déjà grands. Ils sont partis eux aussi gagner leur pain au port de pêche. Les filles quant à elles, ont encore à apprendre. Heureusement l’aînée s’occupe des plus petites. C’est la maman. L’équilibre, le repère. La seule vraiment présente. Celle qui aide, celle qui console. Ses doigts tressent les cheveux, ses baisers réchauffent, ses mots rassurent. C’est aussi celle dont on est la plus fière. Rien de plus normal, elle est belle. Elle est si belle que cette année elle vient de gagner le concours de beauté. Elle porte son costume traditionnel. Symbole de l’identité régionale. Tous les garçons lui font la cour. On a fait faire des grandes photos de la reine sur son char. Une pour chaque membre de la famille. Un souvenir inoubliable, un rappel à ses origines.

 

La reine de beauté a vingt ans. Elle s’est mariée. Elle doit partir. Loin. Dans une autre ville, une autre région. Effondrement! Les repères se brisent. Comment grandir à présent? Sur quel modèle s’appuyer? Qui va lui donner cet amour gratuit? Il faut se construire. Seule. L’école détruit peu à peu la petite aux yeux verts, elle perd confiance, elle se juge. Perdu l’estime de soi. Elle perd l’équilibre. 

 

 

5.  Croyances

Sur cette terre encore sauvage, les mythes vont bon train. Ils bercent les enfants du pays, qui se les approprient. Grand-mère les racontaient aux siens. Ma mère nous les a transmis. Il y a cette vieille tante par exemple. Une nuit alors que son mari était en mer, elle a rêvé de lui. Enfin de sa tête qui lui parlait. Quelques jours plus tard, on a retrouvé le bateau échoué et le pêcheur décapité. La mort était venue dans son rêve pour lui annoncer la triste nouvelle. Il y’a  aussi ces nombreux morts qui reviennent parler aux survivants. Ils frappent sur les murs quand on dort. Ils ne veulent pas qu’on les oublie. C’est ainsi dans ce pays de brume, où les croix surgissent comme des ombres à chaque croisée de chemins. Grand-mère est fervente catholique. Sur sa table de nuit, une vierge remplie d’eau bénite, un souvenir ramené de Lourdes. Au dessus du lit, le crucifix. Le dimanche jour de messe, les enfants sont âpretés. On prie tous les jours. Pour les vivants et pour ceux qui sont partis. On prie pour se rassurer. On s’accroche à un espoir de paradis. 


6. Partir

Ma mère a seize ans lorsqu’elle rencontre mon père. Il est beau. Il ne joue pas de l’accordéon comme grand-père mais il est tendre. Un regard timide derrière son blouson de loubard. Un être nouveau entre dans sa vie. Il lui donne l’amour auquel elle ne croyait plus. Elle reprend confiance. Ma mère a dix-huit ans lorsque je viens au monde. Pas encore vingt lorsque mon frère pointe le bout de son nez. La cuisine sent le beurre frais et la confiture. L’appartement tout équipé a remplacé la cabane. La région s’est modernisée au rythme du pays. Mais les traditions sont toujours là. Le festival de musique traditionnelle, les défilés, n’appartiennent désormais plus seulement aux habitants, mais sont devenus des atouts touristiques. Les parisiens, les lyonnais, viennent danser aux sons des instruments tordus. Il y a chez ma mère cette fierté d’appartenir à cette communauté. Elle a la chance de vivre là où d’autres ne partent qu’en vacances. Grand-père joue toujours de l’accordéon. 

 

Mes parents doivent quitter à leur tour la région. La route sera longue. Ma mère pleure. Il paraît que là-bas, la ville est gigantesque. Il paraît que l’on peut y voir des montagnes. Ma mère n’a jamais vu les montagnes. Elle pleure ses repères. Une fois encore, elle perd l’équilibre. Elle reviendra une fois par an. Un nouveau monde s’ouvre à elle. Elle se rattache à son seul cadre. Son mari. Mon père, sera son seul territoire, sa presqu’île. Ses enfants. Elle apprend avec eux, ce que l’école a manqué de lui enseigner. Elle s’accroche pour leur donner le meilleur. Ses enfants, la chair de sa chair, le sang de son sang. Ils sont son Nord. Elle leur apprend leurs racines, là-bas près du grand océan. Dans la multitude et l’anonymat de la ville, dans le brouhaha, elle s’appuie sur ce qu’elle connaît. Ses origines. Elle téléphone beaucoup. À sa mère, à ses sœurs, à ses frères. Elle fait perdurer le lien. 

 

C’est l’été. On part voir les montagnes. Elles se dressent, ancrées, stables, majestueuses. Ma mère se sent alors prise d’un vertige. Si petite en bas, elle pleure. 

 

Dès que possible nous retournons, sur sa terre natale. Grand-mère ne travaille plus. Son corps qui a tant subit lui fait défaut. Grand-père s’est assagit, il continue de jouer. Grand-mère l’accompagne en chantant. Grand-mère performe dans la préférence. Elle a un petit faible pour ceux de ses enfants qui ont bien réussi socialement. Ma mère l’intègre, elle se persuade qu’elle ne peut être que de ceux qu’elle nomme les petites gens. Elle se console. Son bonheur est là finalement, dans sa table bien garnie et le sourire de ses enfants. 

 

7. Maman 

Mon père travaille. Beaucoup. Trop. Il est absent. Souvent. Fatigué lorsqu’il rentre. Un peu penché sur la boisson aussi. Question d’origine peut-être. Alors ma mère, quitte son corps de femme et endosse celui de mère. Il ne lui reste que la chair de sa chair, le sang de son sang. Fidèle à ses origines, elle espère nous garder en nous nourrissant. Les goûters sont gargantuesques mais ils baignent d’amour. Elle n’a que cela à donner, de l’amour. Celui qu’elle ne peut distribuer à ses parents, à ses frères et sœurs tous éparpillés sur le territoire, comme un squelette disloqué. Alors elle nous le déverse sans compter. À nous, ses enfants de le recevoir. Parfois, il nous submerge, il nous noie. On s’adapte, elle n’a jamais appris à faire autrement. Elle nous répète sans cesse de ne jamais oublier d’où l’on vient. D’être fier de notre patronyme. Elle nous enracine dans un sol qui nous est étranger. Alors elle nous raconte. Elle se raconte. 

 

Elle est seule. Le cadre craque. Mon père manque à l’appel. L’insécurité s’installe. Elle cherche de nouveaux piliers. Elle lit, beaucoup, s’évade. Elle apprend à nager, ça lui rappelle le grand océan et ses origines. Elle nage bien, et longtemps. Elle reprend confiance quand elle est dans le bassin. Malgré tout, l’amour s’estompe. Elle a l’impression d’être invisible aux yeux de mon père. Lui, il accumule. La boisson, les absences. Nous, nous sommes grands. Nous allons quitter le nid. Elle reprend peur. Elle se voit seule. Désemparée. Elle a besoin de sécurité. Elle tombe, mais cette fois pas de filet. Dépression. Hospitalisation.

 

Elle a quitté mon père un soir d’automne. Elle avait trouvé la sécurité ailleurs. Auprès d’un autre homme. Il était stable. Il la rassurait. Dans ses yeux, elle pouvait trouver l’amour qu’il lui vouait. Elle était comblée. Il avait ses origines, elle avait les siennes, aux antipodes des paysages et des climats. De quoi nourrir des discussions jusqu’à la fin de leurs jours. Elle l’a emmené là-bas. Grand-mère l’a tout de suite aimé. Elle a enfin gagné la confiance en elle qu’elle méritait. Elle s’est mise à travailler.

 

Ses histoires se sont peu à peu transformées. Grand-père absent le jour de sa naissance était devenu un vieil homme à qui on devait tout pardonner. Un virtuose de l’accordéon, un héros. Un homme en quête de nom. Grand-mère avait tellement souffert qu’on pouvait bien lui passer tous ses défauts. On multipliait les repas de famille avec les sœurs, et les cousinades depuis que cet événement était devenu à la mode. On se remémorait les chansons en langues régionales et les histoires de voisinage. On ressortait la photo de la reine de beauté. En vérité on ne s’éloignait jamais trop. Comme s’il ne fallait pas oublier d’où on venait. 

 

Et puis c’est le moment où arrivent les petits enfants. Les siens à elle, les siens à lui. La famille s’agrandit vite. L’été le jardin regorge de cris et de jeux. Les repas de famille deviennent des banquets. Elle est heureuse. Elle le dit, au comble de son bonheur de nous voir ainsi tous réunis. Elle n’a besoin de rien d’autre. 

 

8. Orpheline

Les années passent. Grand-père est mort. Ma mère l’a accompagné jusqu’au bout. Elle a fait plusieurs fois le voyage pour être près de lui. Les notes de musique s’égrainent dans sa vie. Elle a voulu conserver son accordéon. Les mois passent. Son frère est mort. Ce marin au long cours. Celui qui a voyagé. Celui qui lui a raconté le monde. Celui qui lui a chanté des horizons inconnus. Les années passent. Grand-mère est morte. Ma mère pleure. Elle est orpheline. Elle n’a plus de raison de repartir là bas. Ses attaches se réduisent comme peau de chagrin. Heureusement elle a pris soin d’enregistrer les témoignages de grand-mère. Cette vie incroyable de douleurs et de souffrances. Il ne faut pas oublier. Elle est le témoin de cette terre fertile et mythique. La parole de cet océan qui a avalé un membre de chaque famille. La voix de ces enfants condamnés au travail dans le froid. Le chant des fêtes patronales, des soirs de danse. Ma mère conserve ces enregistrements. Elle veut les diffuser. Elle refuse qu’ils se perdent dans l’abime de ce monde qui s’accélère. Elle les porte avec fierté, elle sait d’où elle vient. 

 

Elle a soixante ans. Elle a quitté sa terre natale à l’âge de vingt deux. Elle a donc passé les deux tiers de sa vie loin de ses origines. Pourtant elle n’en a rien assimilé. Elle continue de vendre Sa région à qui veut bien l’entendre. Elle exulte à chaque fois qu’un livre, un film, un reportage télé en fait mention. Depuis quelques années, le fameux festival musical est retransmis sur la chaîne nationale. Elle n’en rate pas une miette. Elle nous téléphone pour savoir si on regarde. Elle se promène avec le réalisateur de l’émission dans les rues de son enfance. Elle est bien. Elle est à sa place, ancrée. En équilibre. 

 

Elle se rattache aux vivants. Ses sœurs. Elles passent de longues heures au téléphone. Elles parlent de leurs vies respectives et de leur passé. Elles se remémorent l’enfance. Ma mère se rattache aux vivants. Ses enfants, ses petits enfants. Elle leur raconte son histoire, sa terre natale, qu’ils ne connaissent pas. 

9. Éloignement 

Soir d’été. Je dis au revoir à ma mère. Je pars. Je quitte le pays et vais m’installer sur un autre continent. C’est un projet de couple. Elle n’en fait pas parti. Elle n’est pas mon premier choix. Je lui déchire le cœur. Ses yeux pleurent des larmes sèches. Quand je serais partie elles couleront le long de ses joues. Je la rassure en lui promettant que nous reviendrons la voir l’été suivant. Finalement, nous ne revenons que trois ans plus tard. Pour repartir. Les cycles s’enchaînent. À chaque nouveau départ son cœur saigne. Je lui raconte mon nouveau pays, ma nouvelle vie, nos voyages, nos découvertes. Elle écoute. Elle voyage par ma voix et les quelques photos que je lui envoie. Elle me dit qu’elle est heureuse pour moi. Que j’ai fait le bon choix, que mes photos l’a font rêver. Mais elle ne vient pas. Elle est enracinée. Elle ne me le dit pas, mais elle attend le moment où je me lasserai de cette autre latitude. Le moment où je regagnerai son Nord.

 

10. Détachement

Je me sens citoyenne du monde. Je ne revendique ni attache, ni accent, ni tradition. Je refuse l’attachement communautaire. Je veux m’imprégner des rencontres que je fais, des montagnes que je gravis, des océans que je traverse, des cultures qui m’inondent. Je ne possède rien. Je ne regarde que vers l’avant. Je n’ai pas su à l’image de ma mère tisser du lien, avec mes aïeux, rechercher les lointains cousins, imprimer dans ma chair, la carte de ma terre natale. Je sais quelles sont mes racines familiales, je sais surtout qu’aujourd’hui, c’est sur une autre terre que je m’ancre. J’imprime mon identité dans ce que je suis. Les objets qui m’entourent n’appartiennent pas au passé. Je n’aime pas conserver. Mon équilibre ne tient pas seulement à la sève nourricière de mes premières années. Je sais qu’en disant cela je lui fait mal. Je sais qu’elle souffre de mon semblant de désintérêt. Elle croit peut-être que c’est vers elle que je le porte. Elle se trompe. Elle a peur. Elle doit se dire que je l’aime moins. Que mon éloignement a absorbé mes sentiments. Pourtant je l’aime. Je voudrai la rassurer. Mais j’ai une pudeur des sentiments qui me bloque. Elle, non. Elle attend les mots que je ne prononce pas. Son cœur s’emballe lorsque mon nom s’affiche sur son portable. Elle vieillit, je le sais. Elle est encore là. Parfois j’accepte de me poser la question: jusqu’à quand? 

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