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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE – 1er avril

JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE – 1er avril

Veröffentlicht am 1, Apr., 2020 Aktualisiert am 28, Sept., 2020 Kultur
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE – 1er avril

1er avril

Ainsi que je l’ai dit, les gens avaient l’interdiction de se par­ler, si­non à bonne distance, et ils finirent par se lasser de hurler pour s’entendre, si bien qu’ils s’entendaient encore moins qu’à l’accoutumée et dans tous les sens du mot. Les amoureux contrariés ne se rencontraient plus nulle part, le risque d’un rap­prochement étant trop grand, et la controverse si facile à ré­soudre de­meurait à l’état flot­tant entre eux comme une petite buée de chagrin dans l’air corrompu de la ville où elle se mêlait aux nuages gros d’orages de colère et de désespoir. L’absence de résolution de tout pe­sait sur les esprits et jusque sur les corps. C’était sûr, à force de confi­nement et d’inaction, les habi­tants allaient s’enfler ou maigrir af­freusement, accueillir toutes sortes de maladies organiques de séden­taires, qui seraient une façon de poursuivre intimément, en quelque sorte, un aparté dé­pressif et angoissé qui pouvait être fa­tal. Et qui l’était. Le corps n’a rien d’un confessionnal ou du divan de l’analyste

Une certaine incapacité à bien vivre – littéralement, un cer­tain manque de savoir-vivre – s’ajoutait à l’épidémie pour ef­fectuer des coupes claires dans la population. Ils n’avaient ja­mais su vivre, ils ne su­rent pas mourir. Il y eut des effets d’une mode dévoyée semblable aux excès de la Terreur sous la Révo­lution française – comme l’Embrassade. Toute une population d’Incroyables et de Merveilleuses embras­sa ses proches et des inconnus dans la rue : c’était les emporter avec soi dans la mort. Cependant, des hommes peu soucieux des délicatesses de la mode, à bout de nerfs et saisis d’un ennui intolé­rable, se conduisant comme des patriarches bi­bliques en délire, s’en pre­naient aux membres de leur fa­mille et les as­sassinaient de coups de hache, comme on démembre un unique corps aimé – dans leur errance convaincus d’en fi­nir avec la cause de leurs mal­heurs et de leur confine­ment dans le mariage.

J’entendais les cris depuis mes fenêtres et rien n’aurait pu me faire accourir. Ce n’était pas tant la peur de la con­tagion que des pa­trouilles de police qui déambulaient en petits groupes compacts dans le square, riaient au bruit des hurlements, se grattaient le dos comme des singes avec leur matraque télesco­pique, mais n’intervenaient pour rien au monde, le nouvel esprit du temps estimant qu’à ce stade de l’infection, le mieux était que la popula­tion s’assainisse d’elle-même, qu’elle s’épure, on économiserait les frais d’hôpital pour des gens qui de toute fa­çon étaient perdus d’avance, et peut-être qu’enfin, faute d’aliment, le mal n’ayant plus à décimer les ruines du troupeau humain, il s’éteindrait de sa belle et douce mort sur le vert ga­zon de la prairie planétaire. 

Un fol espoir m’égare.

 

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

 

 

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