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Chapitre 10

Chapitre 10

Veröffentlicht am 25, Sept., 2024 Aktualisiert am 25, Sept., 2024 Chick-lit romance
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Chapitre 10

 

Je sens qu’Ana est dans une exploration jouissive du quotidien indien. Son dernier mail témoigne de son appétit de découverte et de son enthousiasme indécrottable de routarde. L’envie, le besoin de découvrir et de comprendre cette autre culture, l’habitent toute entière.

Coucou Marraine,

C’est encore moi ! Aujourd’hui, c’est le 15 Août, la fête de l’Indépendance. On est parties pour visiter Connaught Place, une grande place commerciale. Les grandes avenues de New Delhi partent de ce rond-point. Pour y aller, on traverse le vieux Delhi. En auto-rickshaw, on a une couche de poussière sur le visage. Ça fait comme un masque.  On utilise les lingettes de bébé ! En même temps, on veut aussi en garder en réserve aussi longtemps que possible.

Finalement on s’est arrêtées en chemin dans le vieux Delhi pour visiter le Fort Rouge, un fort tout en pierre rouge qui date de l’époque moghol du 17ème siècle. On s’est fait dévisagées carrément crûment. A un moment, on était même suivies par un troupeau d’hommes touristes. Du coup, on s’est un peu amusées. Dès qu’on regardait de près des carreaux de mosaïque, ils faisaient pareil juste après. On a touché du marbre, le troupeau a fait tout pareil. Alors, on s’est penchées sur une bouche d’aération grillagée en faisant semblant de s’y intéresser. Ils ont fait la même chose juste après ! On s’est assises au milieu de gradins vides, trente secondes plus tard, ils étaient tous assis en cercle à quelques sièges de distance heureusement ! On a fini par arrêter, ils commençaient à coller un peu trop. On s’est échappées en grimpant dans un rickshaw sur une centaine de mètres. Les femmes nous regardent mais moins quand même ! Pour rentrer, on a dû descendre du rickshaw, c’était trop loin pour qu’il nous ramène en pédalant. On n’a pas pu trouver un autre moyen de locomotion. Les auto-rickshaw sont en grève parce qu’ils ne veulent pas passer le contrôle technique ! Alors on a décidé de rentrer à pied pour mémoriser le chemin. On a mis 1 heure 30 !

On a rencontré il y a quelques jours des étudiants qui habitent dans une cité universitaire. Ils sont trois. Quand on leur a dit qu’on était rentrées à pied, ils nous ont prises pour des folles ! Je me demande même s’ils nous ont crues !

Bisous bisous à Capcity-le-Soubresaut

Je reconnais la manière légèrement lapidaire qu’a Ana de s’exprimer. Concise, factuelle, directe.

- C’est plus facile pour le lecteur de placer progressivement les pièces du puzzle de cet univers, lâche Lucifile.

- Oui, j’avoue que je ne connais rien de l’Inde. Même Berniqueji n’y a jamais été.

- Pour moi, c’est un pays qui m’est totalement inconnu !

- Mis à part les clichés qui croulent à droite, à gauche dans notre société médiatisé

- C’est chouette d’avoir un retour direct d’Ana.

- Oui, elle appelle plutôt sa mère et avec moi, on s’écrit.

Déjà le joyeux carnaval des cartables engloutit la fin de l’été. Nouvelle rentrée scolaire. Liste de fournitures. Mise en route des habitudes journalières. Je me prépare mentalement à accepter sous la torture l’idée abominable de remettre mon réveil le matin. Je suis plutôt lève-tôt.  Mais l’entame de ma liberté ampute mon envie de reprendre le travail.

Lorsque les enfants repartent sur les chemins de l’école, je me plonge dans mon travail de lectrice-correctrice de l’Agence. Ma tête bourdonne, explose. Je chauffe. M’enthousiasme devant l’avancée du défrichement. Bulle hermétique, téléphone sur silencieux, je ne réponds que lorsque le numéro de l’école vibre, signe qu’un enfant est peut-être malade. La mère attachée à ses petits, l’instinct de survie au premier plan.

Ana s’installe et commence à prendre ses marques dans le pays. Mes enfants sur les bancs de l’école, je me préchauffe par la lecture de mes mails. J’essaie en général d’y répondre sur le vif. Les mots d’Ana me plongent dans un tout autre univers déconnecté des enfants et des contingences du quotidien. Premier saut du matin dans le bouillon indien.

Chère marraine,

J’habite tout en haut d’une maison très étroite où chaque étage a la surface d’un studio. On se débrouille avec Brianne, on a séparé la pièce avec un paravent en bambou. On a un petit renfoncement pour la cuisine et la salle de bain-toilette. Mais c’est grave rudimentaire. On sait qu’on n’est pas là pour trop longtemps, l’année scolaire seulement. Les murs sont peints à la chaux. Il n’y a pas d’isolation, on dirait une maison en carton-pâte qui tient grâce à ses voisines. On a remarqué un truc énorme. Près de mon lit, y a un trou. On ne sait pas à quoi il sert. Mais on peut entendre tous les bruits des voisins du dessous. Heureusement que ce n’est pas un couple. On entend même les conversations en hindi des propriétaires qui habitent au rez-de-chaussée. L’hindi, c’est la première langue nationale de l’Inde. On a préféré tout boucher.

La douche se fait au broc et au baquet dans les toilettes. C’est un autre monde. L’eau monte péniblement dans les tuyaux deux fois par jour. On est au taquet pour remplir les bouteilles d’eau à filtrer et les grands baquets. On ne sort que quand on a rempli notre réserve d’eau.

On a la chance d’avoir une petite terrasse devant l’appartement. C’est un véritable poste d’observation de la vie du quartier. Les soirées sont fort agréables et nous passons beaucoup de temps à discuter de toutes nos trouvailles quotidiennes. On est vraiment peinards. Même si on voulait, on ne pourrait pas suivre les cours de la fac. Depuis qu’on est arrivées, les prof sont en grève. Au début de notre séjour, on a vu pas mal notre responsable, Mr Varasnis. Il parle très bien français, c’est lui le directeur du département de français de l’université. Il s’occupe de nous aider dans la vie de tous les jours. Mais franchement, y a des fois où on est plus dégourdies que lui. Evidemment nous, on fait pas de zèle pour aller étudier, tu l’aur   as compris.

Bisous bisous

La vie d’Ana est tellement différente à imaginer de Capcity-le-Soubresaut. C’est tout un puzzle qui s’installe par procuration. Aujourd’hui, j’arrive à ouvrir les deux photos qu’elle a envoyées, la chambre et la salle de bain-toilette. L’installation est totalement rudimentaire. L’eau de la douche s’évacue par l’eau des latrines. En arrière-fond, je vois des bouteilles. Il faudra que je vérifie que ce n’est pas de l’eau potable qu’elles entreposent dans les toilettes. Catapultées dans un univers si différent, j’imagine que les sens peuvent être exacerbés aux opposés, notamment en matière d’hygiène.

Je suis sur le point d’envoyer de courtes nouvelles à Ana, courtes parce que l’échauffement avant-travail ne doit pas non plus s’éterniser. Ogron sonne.  Il a besoin de mon appareil à croque-monsieur pour alimenter sa tablée de jeux ce soir.

Quand je vois Ogron, je me dis pourtant que lui aussi vient d’une autre planète. Et pourtant nous sommes voisins. Tout un poème à décliner sous tous les prismes de l’arc en ciel. Nul besoin de se perdre aux antipodes, le voyage avec lui commence à chaque contact.

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