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Chapitre 4

Chapitre 4

Veröffentlicht am 6, Sept., 2024 Aktualisiert am 6, Sept., 2024 Chick-lit romance
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Chapitre 4

Le lendemain après-midi, Ana monte chez moi. Elle est furieuse. L’université vient de l’appeler. Dune a prévenu la fac qu’elle ne se porterait pas caution pour son prêt. Ana n’a plus les financements. Sa place a été attribuée à un autre élève.

- Je suis dégoutée par maman, me lance Ana.

- Ben oui, je ne pensais pas que Dune irait jusque-là… je suis désolée, je n’ai rien vu venir hier soir.

- Elle ne va pas m’emprisonner à Capcity-le-Soubresaut…crois-moi ! hurle presque ma filleule.

Je suis désolée pour Ana, pour cette aventure coupée nette. Mais que trafique Dune ? Comment peut-elle imaginer garder sa fille sous son aile de cette manière ? Les relations entre les deux s’annoncent houleuses. Je ne sais pas si je serai une bonne modératrice.

L’orage semble passer, du moins en apparence. Ma nouvelle vie s’organise maintenant autour de deux axes principaux, mes enfants et mon travail à l’Agence. Je n’exprime plus trop mes velléités de vie sentimentale à mes voisins. Si Dune rencontre du monde dans son entreprise qui grouille de salariés, je suis seule en télétravail. Je ne vois pas comment rencontrer quelqu’un dans la vraie vie. C’est l’omerta. Tous mes voisins éludent le sujet. Comme si j’étais vouée à m’épanouir dans ma vie de mère célibataire.

Toutefois, sous la surface, s’émeut depuis longtemps déjà le désir clair, profond et viscéral de l’ouverture au trépied à travers l’homme. Je sais ce que je ressens.  Trépied aux trois pieds : enfants, travail, homme. J’ai besoin de cet agencement architectural pour mon équilibre quotidien. Dans le fond cela fait des années que je me sens seule et célibataire, même si jusqu’au divorce je portais encore l’étiquette de femme mariée.

Je m’appelle Caméliope et je me lance dans la pêche au thon, accessoires dans une poche et théorie dans l’autre. Mes entrailles propulsent ce coming out. Je veux tromper l’attentisme. Un vrai gavage social.  Je veux provoquer le hasard à la recherche de l’homme idéal. Au-delà de l’illusion des cœurs. Mais comment ?

Un matin, je reçois un message d’Ana. Elle me demande de passer chez elle. Je sonne, elle m’ouvre. Dune est sous sa douche.

— J’ai à vous parler, mais on attend maman. En l’attendant, sers-toi une tasse de café.

Je me promène dans le salon. J’adore regarder tous les objets, les détails de vie qui peuplent le séjour de Dune et Ana. Une petite loupiote clignote sur l’ordinateur de Dune. Des smileys sautent de l’écran en faisant des bruits de dessin animé. Je suis naturellement attirée. Regarde. Je tombe des nues.  

— Mais Ana, c’est quoi ça ?

— Ben, c’est Beethoc ! Ça fait des mois que maman est inscrite sur ce site de rencontre !

— Non, mais elle se fout de moi. Elle me bassine depuis des jours avec ses rencontres faites au boulot !

— Ah non, elle est à fond sur le site !

— Elle se fout de moi, c’est ce que je dis non ! Dune, hurlé-je.

Dune arrive, les cheveux enveloppés dans une serviette.

— Oui ?

— Mais tu es sur Beethoc ? Je pourrais prendre ça pour une trahison !

— Mais non, c’est pour mieux te préserver !

— Mais de quoi ? Je suis une grande fille, non ?

— Et moi aussi, rajoute Ana. Je suis adulte et grande aussi ! Je voulais vous parler, ensemble. Je pars en Inde, à New Delhi. Et ne t’inquiète pas maman, je me suis débrouillée avec la banque. Je n’ai pas besoin de toi. J’ai signé tous les papiers avec l’université et je pars dans quelques jours.

- New Delhi ?

Je bondis.

- Ah oui ? Et c’est définitif ? ne puis-je m’empêcher de hasarder dans les turbulences de l’air ambiant.

— Je ne suis pas près de trouver le sommeil ! soupire Dune d’une voix morne. Tu es certaine de ce que tu fais ? demande Dune à sa fille.

- Oui, maman, je dois y aller, on en reparle tout à l’heure, fait Ana en claquant la porte de l’appartement.

— Ana part quelques mois en Inde dans le cadre de la fac, tout va bien se passer, dis-je d’une voix calme et posée, une fois ma filleule sortie.

— Évidemment je l’aiderai à préparer son voyage. Je vais l’aider financièrement. Mais ne compte pas sur moi pour m’embarquer là-bas, me lance Dune d’une voix déterminée et forte.

— J’ai confiance en Ana, ce n’est pas une tête brûlée. Elle fait juste des choix forts.

Je suis plus sereine. Je vois que Dune a cheminé dans son positionnement vis-à-vis de sa fille qui n’a trouvé d’autre solution que de la mettre devant le fait accompli. Résultat de la manœuvre de Dune : Ana part encore plus loin. À des dizaines de milliers de kilomètres. 

- Je me rends bien compte que j’ai des comportements étranges. En fait, j’ai peur de la perdre. Toi aussi, j’ai peur de te perdre, que tu ne t’intéresses plus à moi quand tu auras trouvé l’homme de ta vie.

- Je vois bien que tu es très possessive. Mais ce n’est bon ni pour Ana ni pour moi. Parce que de toute façon, toutes les deux nous traçons notre chemin.

- Oui, dit Dune en déposant les armes. Dis-moi si tu as besoin d’aide pour le site.

Heureuse pour le projet d’Ana, je suis soulagée d’avoir éventré le secret de Dune. Je ne ressens plus aucune culpabilité et saute à pieds joints dans la recherche active de l’amour. Naturellement je ne sais pas où je mets les pieds.

Je perçois la société humaine comme celle des Dieux de l’Olympe. Quelle ambiance dans la mythologie où tous ces dieux et déesses copulent et coagulent. Mixité entre eux, fermeture entre humains. Joie, tristesse, besoin intègre ou social, il est écrit que la solitude est inhumaine. Quel spectacle que de les voir s’ébattre follement à travers le verre parfumé de l’aquarium céleste. Le panthéon des cœurs et des corps. Une petite souris, un petit trou, un gros œil pour encenser cet univers qui grouille de jambes, de têtes et de cuisses emmêlées.

À défaut d’avoir davantage confiance en moi, je suis sarcastique.

S’accoupler. Se griser de la séduction à l’état animal. La virtualité du déshabillage de son être en ligne. Le vouloir coller à l’autre s’entrechoque avec le vouloir-s’affirmer face à l’autre. Cet autre, produit de consommation incontournable de nos jours. Ce besoin de manger et d’être dévoré par l’autre. Question de pulsion de vie.

 Exister dans le regard de l’autre, vivre à travers ou pour l’autre. Ce manque de ne pas être deux alors que d’un naît la multiplicité. Genèse mythique de toutes ces jeunesses où un homme et une femme font un dans le verger. Rechercher la fusion dans l’unité, la complétude de deux en un, le un plus un font deux, un deux-unité. Légende intemporelle qui traverse tous les âges, la réalité ancrée d’être deux pour exister. L’idéal d’une réunion de deux êtres, l’utopie d’une fusion au long cours, l’amour dans le pré et dans les villes, coup de foudre sur bord de trottoir ou arrangement de terrasse en café.

J’ironise. Pourtant je cherche un partenaire d’amour.

Trépied avec un grand T, trois pieds, enfant, travail, homme. Mon trépied avec un grand T, mon troisième pied, l’homme.

Débouter le spleen. Vaincre mes peurs. Traverser ses angoisses. Lancer un cri, même étouffé, le début d’une expression vocale promise à un bel avenir. Un après-midi d’été, je fais un pas de géant. Et pourquoi pas ?

 Je m’inscris seule sur Beethoc, application qui met en scène l’autoroute de la séduction. Un site internet efficace.

Pour s’acoquiner au plus vite. Pour produire des hormones qui iront butiner dans l’aquarium. Pour stimuler l’effervescence de la recherche du partenaire idéal de plaisir et d’amour à court ou long terme.

Je dois maintenant compléter mon profil. Je réfléchis au contenu de ma devanture commerciale. Réponds d’abord au questionnaire fonctionnel du site. Me creuse la cervelle pour être au plus proche de moi-même. Brassage cérébral intensif. Serais-je en passe de devenir une intellectuelle de haute voltige ? Cela me laisse perplexe. Le cerveau haché menu finit par me commander de bâcler la fin filandreuse du questionnaire.

Je suis intriguée. Impatiente d’avancer dans ce domaine. J’ai besoin d’une magnifique photo de mon faciès simiesque. De mes courbes avantageuses. L’autodérision m’aide à relativiser le ridicule de la situation.

Je m’approche à pas de louve de mes trente-cinq ans. Pas de maquillage. Je vis au naturel. Je n’éprouve pas le besoin de camoufler les aspérités de mon visage. Je laisse en état les boursoufflures dues à mes insomnies sauvages de la nuit d’avant.

Les poches sous les yeux donnent un aspect effrayant à mon visage en contre-jour. Le sang du rouge à lèvres contraste avec ma peau blanche. Les cheveux ? Nul besoin de peaufiner. Quelques épis sciemment plantés. Un balayage par doigts fait l’affaire. Une expression hilare couronne la face de singe cousue sur mon visage. Je me fais un selfie sur le balcon. Le portrait est dans la boîte.

 

 

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