Le Tchad. Pays central de l'Afrique, comme vous pouvez le voir sur la carte. Pays central géographiquement, pays central politiquement aussi.

Regardez un peu ses voisins : Au nord, la Lybie, zone apocalyptique depuis la chute de Khadafi, terrain d'entraînement de tous les mouvements djihadistes et grande plaque tournante du trafic d'armes des réseaux terroristes d'Afrique. A l'Ouest, le Niger, le Cameroun et surtout le Nigéria, le Nord-Est du Nigéria plus précisément, là où prospère la secte de Boko Haram, tristement célèbre pour ses exécutions sommaires et ses enlèvements à répétition. Au sud, la Centrafrique, terrain de massacres perpétrés entre musulmans de la Seleka et milices chrétiennes anti-Balaka en 2013-2014, ayant conduit la France à intervenir via l'opération Sangaris pour instaurer un cessez le feu, toujours assez fragile aujourd'hui. A l'Est, le Soudan, et un peu plus bas le Soudan du Sud, ce nouvel état créé en 2011 au décours du conflit du Darfour, et dans lequel des affrontements entre partisans du président et partisans du vice-président provoquent des tensions extrêmement vives ces dernières semaines.

Au milieu de tout ça, le Tchad. Pays de 12,2 millions d'habitants. Capitale : N'Djamena. Au nord, le désert du Sahara, puis une zone sahélienne semi aride, très peu peuplés. Au sud, une zone de savane plus généreuse en eau et à la végétation plus abondante, beaucoup plus habitée. C'est ici que Moïssala se situe. Son président : Idriss Déby Itno. Au pouvoir depuis 1990, il tient son pays d'une main de fer, et ne compte pas grande opposition. Si la France l'avait mis à l'écart au début du quinquennat, il est depuis devenu un allié incontournable et très courtisé pour son pouvoir politique et militaire dans la région.

D'abord en Centrafrique ou RCA, pays sur lequel le Tchad a toujours eu beaucoup d'influence. Lors des massacres, de nombreux réfugiés et retournés ont passé la frontière et ont été accueillis dans des familles d'accueil ou des camps. (Le Haut Commissariat aux Réfugiés = HCR distingue habituellement les déplacés = mouvements de population à l'intérieur même d'un pays et les réfugiés = mouvement de population vers un autre pays ; ici on parle de retournés, car il s'agit pour nombre d'entre eux de tchadiens venus vivre en RCA, parfois depuis plusieurs générations) Il y en a un proche de Moïssala, mais nous ne sommes pas sur un grand axe routier entre le Tchad et la Centrafrique, la plupart se situant plus à l'ouest ou à l'est de là où nous sommes. Depuis, les frontières sont fermées et contrôlées par l'armée, dont Moïssala constitue une base arrière.

Au Mali ensuite, en appui de l'opération Serval, des troupes africaines et notamment tchadiennes sont venues seconder l'intervention de l'armée française. Puis lors du lancement de l'opération Barkhane visant à lutter contre les mouvances djihadistes en Afrique, N'Djamena est devenue le centre de commandement et une des grandes bases militaires de notre armée, renforçant la coopération militaire entre la France et le Tchad.

Enfin, face à la montée en puissance de Boko Haram dans le Nord-Est du Nigéria, et face à l'incapacité de l'armée nigériane à contenir l'expansion de ce mouvement, (pays pourtant le plus riche de toute l'Afrique), le Tchad, allié au Cameroun et au Niger, a lancé une coalition pour venir lutter contre Boko Haram. Leur chef, Aboubakar Shekau, a pourtant menacé de représailles ces pays ; mais à l'heure actuelle, aucun événement dramatique majeur n'est à déplorer sur le sol tchadien, et la frontière, marquée par le lac Tchad, semblerait être bien contrôlée.

N'Djamena est pourtant proche de cette zone, et reste donc à risque d'attentat. Les consignes de sécurité pour MSF sont donc très restrictives à N'Djamena, mais plus modérées à Moïssala, où nous avons le droit de marcher seul dans la rue et de nous balader dans le marché en journée ; mais pour l'instant toujours pas le droit de prendre de photos...:-(

D'un point de vue développement, le Tchad est un pays qui figure dans les bas fonds du classement. Son indice de développement humain (IDH) le positionne comme le 4ème pays le moins développé au monde. Il y a néanmoins de grandes disparités régionales. Le sud est beaucoup plus développé que le Nord. Ses ressources proviennent essentiellement de la culture du coton et de l'arachide, de l'élevage de bœufs, et depuis le début du 21ème siècle du pétrole, lui assurant désormais 80% de la valeur de ses exportations ; le tout se regroupant au Sud. C'est donc un pays essentiellement rural, concentré au Sud, et c'est précisément par là que je suis.

Moïssala est la sous préfecture de la région de Barh Sara, ville d'environ 20.000 habitants, en pleine campagne tchadienne. C'est une petite ville située en pleine zone agricole, au bord d'un fleuve. Autour, des tas de petits villages disséminés le long des axes routiers, défrichant la savane pour cultiver les terres et faire paître les bœufs. Les gens se déplacent à pied, en vélo ou en moto, les voitures sont rares, exceptée la compagnie blindée de MSF, des militaires, et des autres ONG. Les biquettes, les poules et les cochons errent librement dans les rues, les vaches paisent tranquillement au bord des routes ; quant aux enfants, ils sont nombreux (moyenne d'env. 6/femme) et gambadent eux aussi joyeusement et librement dans la rue, du petit commencant tout juste à marcher aux plus grands, vous interpellant systématiquement à votre passage en hurlant « Lalé, lalé !!! » et courant pour venir vous serrer ou vous taper dans la main.

C'est donc ici que nous sommes basés, paisiblement, sans grande inquiétude malgré tout le tableau que je viens de vous décrire, préparant consciencieusement l'ouverture de l'Unité Palu, dès que le pic épidémique s'annoncera. Les pluies ont commencé à tomber, le nombre de test positifs grimpe en flèche, cela ne saurait tarder....

NB : Ce blog est un blog personnel, et les propos qui y sont tenus n'engagent que son auteur.