Chapitre 4/8 : L'oiseau
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Chapitre 4/8 : L'oiseau
l n’aurait pas su dire depuis combien de temps il marchait. La forêt qu’il traversait semblait n’être qu’un gigantesque parc conçu pour le plaisir des sens. C’était l’automne et les feuilles, avant de mourir, offraient leurs plus belles couleurs au visiteur. Quel paradoxe ! Une telle parure pour célébrer une mort imminente. Elles donnaient leur vie pour que survive l’arbre qui les avait portées.
Une odeur d’humus et de fougères régnait sur tout le sous-bois. Elle imprégnait vos poumons et ne quittait plus vos bronches. Le Vieux en avait chaviré au début, mais il la trouvait agréable à présent. Au travers d’un feuillage inégal, un soleil s’allumait et s’éteignait aveuglant à chaque fois l’homme et la rose.
Une fougère grand-aigle, dont le rhizome devait serpenter sous le sol, dardait vers le ciel ses immenses pagnes d’un vert composé, autant de périscopes épiant la lumière et filtrant les vents afin de composer de multiples plaisirs carbonés. De jeunes frondes osaient se redresser maintenant et affronter les géants de ce monde. Une myriade de petits animaux marchaient, volaient, rampaient, mouraient, mangeaient, vivaient ici dans ce vert désert, mais l’œil du Vieux, peu habitué à contempler autant de tableaux à la fois, ne vit rien ou presque de la vie qui se jouait là.
Les insectes que le Vieux avait laissés derrière lui avaient peut-être déjà eu l’honneur de faire le repas d’une quelconque grenouille. Dévorée peut-être aussi, la grenouille, qu’un habile reptile aurait surprise dans ses projets de vie alors que tout là-haut, un faucon crécerelle s’apprêtait à fondre sur un rongeur trop heureux d’avoir su éviter le serpent.
Tourne la roue de la Vie.
Le Vieux continuait d’avancer, ignorant tout des drames éphémères qui se donnaient constamment à ses pieds…
« C’est étrange, avait-il dit.»
Ce mur, présence incontestable d’une présence humaine. Il était à présent à l’orée de la forêt et observait au loin cet immense mur qui enserrait de chaque côté de son regard une partie de cet étrange monde.
« Est-ce moi qui suis derrière le mur ? se demanda-t-il.»
Comment savoir si le mur le protégeait, l’emprisonnait ou le rejetait ? Comment l’accueillerait-on s’il avançait ? A bras ouverts ou à coups de pierre ?
« Que cherches-tu, vieil homme ?»
Une voix timide et enfantine venait de l’interpeler mais il avait beau chercher un être humain près de lui, il ne voyait personne. Seule une bergeronnette printanière hochait la queue, à quelque distance, sur une pierre.
« Que cherches-tu, vieil homme ? demanda-t-elle à nouveau.»
Le Vieux considéra enfin la frêle silhouette qui l’interrogeait.
« Vois-tu, l’oiseau, répondit-il après un temps de réflexion, je viens d’un monde où ceux qui construisent des murs sont des tyrans, des fous ou des égoïstes. Alors, je me demandais quel genre d’homme avait fait construire celui-ci.
— Je ne sais ce que tu veux dire… reprit l’oiseau.»
Le Vieux avait envie de dire à l’oiseau « Dessine-moi un homme », mais il ne savait d’où lui venait cette idée.
« Parle-moi des hommes, dit-il.
— Ils sont très curieux. Vois-tu, il y a de cela longtemps, ils vivaient sur toute la planète mais déjà certains d’entre eux s’enfermaient derrière des murs pour vingt, trente ans, ou même toute leur vie. Ne me demande pas pourquoi, je ne saurais te répondre. Après tout, peut-être les enfermait-on, qui sait ? Mais je ne m’imagine pas derrière des barreaux, moi !
Et puis, comme ils étaient de plus en plus nombreux derrière les murs, un jour il n’y eut plus de place ; alors ils construisirent d’autres murs tout autour des premiers pour « juguler les débordements intempestifs ». Et même à l’intérieur, ils construisirent d’autres murs, plus petits, pour enfermer à nouveau des gens dedans, et d’autres encore à l’intérieur, et d’autres encore.
Mais la vie continuait de chaque côté des murs, la moitié des hommes étaient habillés en uniforme-pyjama et l’autre moitié en uniforme-travail. Et toujours, ils reconstruisaient des murs plus grands que les précédents car il s’avérait qu’ils devenaient tous trop petits ; il y eut bientôt plus de monde derrière les murs que dehors. Et puis un jour, il ne resta plus que deux personnes dehors. Mais elles se disputèrent et l’une des deux tua l’autre. Alors des gens en uniforme-travail sont sortis, ont passé un uniforme-pyjama à celui qui restait et l’ont emmené avec eux.
Voilà, depuis, aucun d’entre eux n’est ressorti.»
L’oiseau se tut. Puis il reprit :
« Tu comprends cela, toi, vieil homme ? »
Le Vieux ne semblait plus l’écouter. Il caressait la rose d’une main évasive et ses yeux restaient fixés sur le mur tout là-haut.
« Alors, ils sont égoïstes les hommes que l’on a chez nous ? » demanda l’oiseau.
Le Vieux frissonna et s’aperçut soudain que le soir était tombé. Il était resté là des heures, l’air vague, depuis que l’oiseau lui avait raconté les hommes. Tiens, l’oiseau ? Il n’était plus là, lui. Le Vieux ne se souvenait pas lui avoir répondu ; peut-être s’était-il lassé ?
Après tout, il était un homme, lui aussi, et l’oiseau n’avait sans doute pas toute la journée à passer avec un égoïste.
Un hochement de tête. Un soupir. Un geste et un pétale de rose.