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Chapitre III

Chapitre III

Pubblicato 22 ago 2024 Aggiornato 22 ago 2024 Science fiction
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Chapitre III

   Malgré l'inquiétude que lui causait la disparition de son frère, Krys s’efforçait de garder son calme. Réprimant les tremblements de ses mains et apaisant les battements de son cœur, il descendit du toit, s'aidant de l'étroite gouttière afin d'atteindre la rue sans croiser de nouveau l'odieuse Becky. Quand il toucha le sol, il s'engagea dans une ruelle d'un pas détaché, les mains dans les poches et l'œil scrutant nonchalamment les alentours. Il avait une petite idée de l'endroit où pouvait se trouver Kaleb, mais pour ne pas le rater, il préféra arpenter la cité, et jeter un coup d'œil à tous les lieux connus du petit infirme.

   Allant en premier lieu à la déchetterie, repère des drogués et des chiens errants qui fouillaient dans les poubelles pour trouver de quoi subsister, il avançait méticuleusement afin de se frayer un chemin à travers les éclats de verre et les sacs d'ordures. Cette zone de la cité, abandonnée de tous, était le royaume des canidés. Ne connaissant ni chef, ni maître, ces derniers vivaient en totale autarcie, rendus sauvages et hargneux par des siècles de liberté. Agressifs et imprévisibles, ils refusaient tout contact avec l'Homme, s'attaquant à tous ceux qui avaient l'audace de pénétrer leur territoire.

   S'emparant d'une barre de fer cabossée, Krys s'aventura sur les terres des chiens, décidé à retrouver son frère. À cette heure de la journée, les bêtes étaient généralement terrées dans leurs coins pour se protéger des rayons ardents du soleil et ne sortaient qu'à la nuit tombée pour arpenter les rues désertes d'Accalmia. L'adolescent croisait pourtant deçà-delà des petits cabots craintifs qui fouillaient les ordures et qui détalaient à son approche. Bien que cette vaste zone ressemblât à un labyrinthe, l'orphelin connaissait le chemin et savait très bien où aller, guidé par sa mémoire hors du commun ainsi que par ses pieds assurés.

   Bientôt, il déboucha sur une large place où se prélassait au soleil une meute d'une quinzaine d'individus. Au son de ses pas, tous dressèrent la tête et se tournèrent dans sa direction, tandis qu'un énorme chien que Krys reconnut comme étant le chef de meute se mit d'un bond sur ses pattes. La bête était un énorme mâle borgne au pelage couleur de bitume sous lequel saillaient de puissants muscles. Quand il eut flairé l'intrus, ses oreilles pointues se plaquèrent contre son crâne et il retroussa ses babines pour découvrir ses crocs luisants tandis qu'un grondement sourd s’élevait de son poitrail gris. S'avançant vers l'adolescent, il le menaçait et se serait sûrement jeté sur lui si ce dernier ne lui avait pas montré sa barre de fer en guise d'avertissement.

 - Je cherche Kaleb, idiot de la clébard.

   À ce nom, les oreilles de la bête se dressèrent et il cessa de grogner. Il dévisagea l'intrus un instant avant de se détourner de lui et de retourner vers sa meute, tout en lui faisant comprendre de ne pas s’approcher. Mais Krys qui avait jeté un coup d’œil sur les environs sut qu'il ne trouverait pas son frère ici et, rebroussant chemin, il quitta le territoire du Borgne.

   Reprenant sa route, il erra quelques instants dans les rues avant qu'une pensée vienne assombrir son esprit. Serrant les poings, il s'engagea dans une ruelle plongée dans la pénombre qui semblait coupée du reste de la ville, les mâchoire crispées à l'idée que cette pensée puisse se révéler vraie. Et, après un certain temps à déambuler dans ces boyaux étroits, il arriva dans le domaine de celui qu'il considérait comme son rival. Déjà le son d'éclats de rire lui parvint et l'odeur entêtante de l'eau-de-vie le fit grimacer. Alors, suivant cette piste assourdissante, il se dirigea d'un pas résolu vers l'antre de son ennemi.

   Une impasse pleine de caisses en bois éventrées était le repère de Pat, un garçon d'environ quatorze ans aux cheveux ocres et aux larges épaules qui se faisait connaître sous le nom éloquent de la "Terreur". À la tête de sa bande d'amis, il ne travaillait pas et vivait de ses rapines depuis qu'il était en âge de se battre. Éternel rival de Krys, les deux adolescents ne s’appréciaient guère et se menaient une inlassable guerre qui retentissait jusque dans les tréfonds de la cité. Quand le dénommé Pat remarqua la silhouette de Krys qui se détachait de l'obscurité, il lâcha le jeu de cartes qu'il tenait en main et – au plus grand étonnement de ses larbins – sauta à bas de la caisse sur laquelle il était assis.

 - Qui va là ? cria-t-il de son imposante voix.

   Plissant les yeux, il finit par discerner les traits de l'intrus et, reconnaissant l'orphelin, il sourit.

 - Ah Krys, quel bon vent t'amène ? Je ne m'attendais pas à ta royale visite. Que me veux tu ?

  -Ne fais pas l’innocent, tu sais très bien pourquoi je suis ici.

   Le visage jusque là souriant de Pat s’assombrit.

 - Qu'est-ce que tu racontes ? Si ce sont les problèmes que tu cherches tu vas les trouver.
- Où est Kaleb ? articula l’intéressé sans se soucier de ces menaces.

   À ce nom, le visage de l'adolescent se teinta de surprise avant de laisser entrevoir une touche d’ennui.

 - Pourquoi voudrais-tu que je sache où il est ? Suis-je la nounou de ton handicapé de frère ?

 - Ne l'appelle pas comme ça. grogna Krys dont les mâchoire s’étaient soudainement crispées.
 - Sinon quoi ? le provoqua Pat qui s'était rapproché de lui.

   Les deux adolescents, face à face et à quelques centimètres l'un de l'autre, se défiaient du regard. Bien qu’étant son cadet, Krys faisait la même taille que son rival et, ses yeux noirs plongés ostensiblement dans les siens, il lui tenait bravement tête.

 - Sinon je te casse la gueule. répondit-il le plus froidement du monde.

 - Essaie un peu pour voir. rétorqua Pat nullement intimidé.

   Ils restèrent ainsi, à se jauger du regard durant de longues secondes avant que Krys, ennuyé, ne se détourne et s'en aille sous les yeux enflammés de son rival.

  -Vas-y, c'est sa dégage.
 - Je n'ai pas le temps de m'amuser avec toi, je dois retrouver mon petit frère.

   Voyant que son rival s'en allait aussi calmement et, se sentant humilié devant ses propres amis, Pat tenta d'éveiller sa colère.

 - Pourquoi est-ce que tu le couves comme ça ? lui dit-il en feignant l’indifférence. De toutes façons ce n’est même pas ton frère.

   Malgré la soudaine envie qui lui prit de se jeter sur lui, Krys desserra ses poings déjà prêts à frapper et calma cette rage qui s'était emparée de lui. Après de longues secondes de silence durant lesquelles Pat se préparait à l'assaut, l'adolescent finit pas se retourner et, posant un regard glacé sur son concurrent , dit d'une voix détachée :

 - C'est vrai, ce n'est pas mon frère, mais sache que les liens de la nécessité sont souvent plus forts que ceux du sang.

    Puis, crachant dédaigneusement au sol, il s'en alla sans même se retourner.

   Cette fois, il était certain de retrouver Kaleb et, conforté par cette certitude, il traversa Accalmia d’un pas décidé et rageur – du fait des derniers mots lancés par Pat –. Pendant un instant, il avait vu rouge, mais l'idée que son petit frère l’attendait quelque part l'avait vite calmé. Puis de toutes façons, que pouvaient bien lui faire les paroles acerbes d'un voyou sans fois ni loi ? Kaleb était son frère dans son cœur et rien ni personne ne pouvait le changer.

   Au détour d'un boulevard, il vit se dessiner devant lui la silhouette d'un étal, une sorte de débarras où tout et n'importe quoi était exposé. Flairant une bonne affaire, il s'en approcha lentement, veillant à ce que personne ne se présente dans la rue déserte et, remarquant qu'il n'y avait personne non plus derrière le comptoir, il passa si près de la table qu'il manqua de la bousculer. D'une main habile et experte, il s'empara d'une ration de vivre et la fit disparaître sous son vêtement. Ce mouvement furtif n'avait duré qu'une fraction de seconde et l'adolescent était sûr du succès de son entreprise lorsqu'une voix féminine le stoppa net dans sa retraite.

 - Repose immédiatement ce que tu viens de prendre Krys.

   L'intéressé, surpris, se tourna vers Motéma qui, toujours penchée sur son ouvrage – une lampe qu'elle était en train de réparer – le dos tourné et sans même avoir levé les yeux sur lui, était assise sur une caisse en retrait de l'étal.

 - Je n'a rien pris. se défendit l'orphelin.

   À ces mots, la jeune femme dont la peau ébène moite de sueur luisait à la lueur de cette lampe qu'elle venait de ranimer, se retourna et posa sur lui un regard ferme et sévère. L’adolescent, face à ce regard pénétrant qui le détaillait de la tête aux pieds, avait perdu tous ses moyens. Devant cette femme couronnée de ses cheveux laineux d’un noir de jais, il n'était plus qu'un enfant sans défense et sans voix.

   Pourtant la physionomie de Motéma changea soudainement et un large sourire plein de chaleur illumina son visage. Son regard devint maternel et son ton cassant se fit caressant et mélodieux lorsqu'elle lui dit qu'il était un très mauvais menteur. D'un seul coup, les souvenirs d'un passé lointain assaillirent l'esprit de Krys et, pris dans une tempête de sons et d'images, il se fit renvoyer plusieurs années en arrière, quand tout petit encore le spectre de sa mère le berçait dans ses bras pour l'endormir. De nouveau il sentit la caresse de ses yeux émeraudes et la douceur de sa peau pâle enveloppée d'une douce odeur de pain chaud. Mais, refoulant avec colère ces souvenirs qui lui laceraient le cœur, l'adolescent se renferma sur lui même et les traits de son visage se durcirent. Son regard enflammé se posa sur la jeune femme devant lui et il lui répondit sur un ton cassant et venimeux.

 - Je n'ai rien pris te dis-je.

 - Bon tu as gagné. lui dit-elle en lui faisant espièglement comprendre qu'elle avait remarqué la bosse de son vêtement. Va petit voleur, de toutes façons je sais que ça servira à nourrir ton frère.

    Puis, lui souriant de nouveau, elle s'empara de sa béquille pour l'aider à se lever et se dirigeant vers son étal sur son unique jambe, l'autre étant amputée jusqu'à la hanche, elle y déposa la lampe qu'elle venait de réparer.

 - Ah et au fait Krys, lui dit-elle avant qu'il ne s'éloigne, en parlant de ton frère, tu veux bien te charger de lui remettre ça de ma part ?

   Sortant de sa poche une sucette enroulée en spiral autour d’un bâtonnet, elle la lui tendit. L’orphelin fixa la sucrerie de longues secondes avant de la refuser sèchement.

 - Je ne peux pas l'accepter.
 - Et pourquoi donc ?

- Par ce que c’est beaucoup trop cher. Cinquante cuivre, c'est plus que je ne pourrai jamais gagner en deux mois de travail.

- Comment sais-tu qu’elle coûte cinquante cuivre ? s’étonna Motéma.

- Par ce que je l'ai lu sur l'étiquette. répondit-il anodinement.
-Tu sais lire ! s'exclama-t-elle incrédule. Mais comment... enfin, je veux dire que, tout le monde ici est analphabète, même moi je le suis, alors comment se fait-il que tu saches lire ?

   Comprenant son erreur, Krys recula d'un pas. Mais face à l'impasse dans laquelle il était et de nouveau assailli par les souvenirs de sa mère, il balbutia :

 - C’est ma... enfin… je l'ai appris tout seul. De toutes façons ce ne sont pas tes oignons et je ne prendrai pas ta sucette.
 - Dans tous les cas, elle n'est pas pour toi, mais pour Kaleb. lui sourit la jeune femme. Il est si mignon et il a tout le temps si faim... J'espère que ça lui fera plaisir.

    Indécis, Krys restait interdit. Les paroles de Motéma semblaient sincères mais il ne pouvait s’empêcher de douter. Partout où il allait, Kaleb – en raison de son apparence – ne créait que dégoût et répulsion dans le cœur des gens et, bien que le petit infirme ne s'en rendait pas compte, lui le remarquait ce qui le mettait hors de lui. C’était pour cette raison que le sourire caressant de la jeune commerçante le laissait perplexe.

   Mais, après quelques instants passés à la dévisager, l'adolescent finit par s'emparer de la sucrerie et, sans même la remercier, s’en fut. Mais avant qu’il ne disparaisse, Motéma l’arrêta.

 - Ah et une dernière chose Krys. J’ai remarqué que ces derniers temps tu avais changé. Depuis que tu connais Kaleb, je te trouve plus… vivant. Le rôle de grand frère de sied à merveille.

   Puis retournant à ses occupations, elle se rassit pesamment sur sa caisse et se mit à raccommoder une veste déchirée laissée par un client. L’orphelin l'observa quelques instants, troublé par ce qu'elle venait de dire, avant de partir en chassant ses paroles de son esprit.

   Il erra quelques instants, le regard vide avent de se souvenir de sa mission et, serrant les poings sur cette sucette que lui avait si gracieusement donné la jeune femme, il s'avança d'un pas léger vers le lieu où il était certain de trouver son frère.

   À peine eut-il fait quelques foulées qu'il entendit la voix fluette de Kaleb et, se dirigeant vers elle, il discerna les notes plus graves d'une personne qu'il haïssait. Le petit infirme, des étoiles pleins les yeux, était assis près d’un vielle homme rachitique au regard perdu dans le passé. Ses longs cheveux filasses et sa barbe blanche rendue jaune par des années de pollution encadraient son visage parcheminé et émacié rendu inexpressif par des décennies de peine.

   Krys qui sentait monter en lui une indicible colère, se posta au dessus des deux parleurs, les bras croisés et l’œil luisant de rage. Le vieillard qui sentit l'ombre du jeune garçon sur son visage se tourna vers lui et le regarda de ses yeux aveugles. Kaleb lui, trop occupé à rêver ne remarqua pas immédiatement la présence de son grand frère mais un raclement de gorge irrité lui fit pousser un cri de surprise.

 - Que fais-tu ici cloporte ? Il me semble t'avoir recommandé de rentrer immédiatement à l’orphelinat.

 - Je... commença le petit garçon dont les yeux s'emplissaient de larmes.
 -Ne sois pas si dure avec lui Krys. tenta de l'apaiser l'aveugle.

 - Toi le vioc, je ne t'ai pas sonné.

   L'intéressé posa sur l'adolescent son regard inerte et, bien qu’il ne pouvait le voir, l’orphelin se sentit scruté jusqu'aux tréfonds de son âme par l'aveugle. Alors, mal à l'aise, il détourna les yeux.

 - Pourquoi ton cœur est-il si plein de haine mon garçon ? commença le vieillard qui le fixait toujours.
 - Je ne vois pas ce que tu racontes vieux fou. Cloporte, on s’en va, et je t'ai déjà dit de ne pas rester avec lui, il raconte n'importe quoi.
 - Mais Krys... geignit le petit garçon.
 - Écoute ton frère, petit. Même s'il semble sévère, il veut simplement te protéger. Je suppose que lui aussi a ressenti les pleurs d’Accalmia.

   À ces mots, l'orphelin se tourna vivement vers l’aveugle qui ne l'avait toujours pas quitté des yeux, piqué d’une soudaine curiosité.

 - Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
 - Je suis peut-être aveugle jeune garçon, mais sache que ma cessité me permet d'entendre des choses que vous ignorez, vous voyants. Les lamentations de la ville ne me sont pas inconnues et je sens la colère que tu as dans ton cœur. Ton inquiétude n'est pas pour moi un secret et si tu laissais parler ce pauvre mendiant infirme que tu qualifies de fou, peut-être que toi aussi tu comprendrais les murmures d'Accalmia.

 - Parle. finit par dire l'orphelin après de longues secondes d’hésitation.

 - Tu as sans doute remarqué la disparition de nos soldats sans visage, et tu ne t’en est sûrement pas soucié plus que ça. Mais sache jeune garçon que ce qui est tapi dans l'ombre est souvent bien plus dangereux que la lame qui scintille au soleil. Le silence est plus meurtrier qu'un fusil et ce qui est fait dans la secret frappe bien plus violemment que la menace clamée. L'orage gronde et l’on aperçoit l'éclair bien avant que ne retentisse le fracas du tonnerre. Le vent glacé endort sa victime et l'eau de la pluie s’immisce profondément dans les cœurs tandis que le torrent destructeur emporte avec lui même ceux qui ne manquent pas d'ardeur. Si tu doutes de ce que je dis tu n'auras qu'à interroger le ciel où tu y liras l'avenir gravé en lettres de sang. Maintenant adieu jeune garçon et souviens toi que la cité est gangrenée et souillée, même jusqu’en son sein.

    Puis, détachant ses yeux morts de son interlocuteur, il demeura immobile sous son abri de fortune qu’il ne pouvait quitter, véritable statue de marbre que le temps ne semblait pas pouvoir altérer. Krys resta de longues secondes incrédule avant de secouer la tête et d’attraper son petit frère par le bras afin de l’éloigner de ce vieillard et de ses sombres prédictions.

    Depuis toujours il avait de l'aversion pour ce vieux mendiant qui, à l'instar des rues, l'avait vu grandir. D'aussi loin qu'il se souvenait, il y avait ce visage blafard au regard mort qui hantait ses longues heures d’errance où, seul, il maudissait cette vie de misère et de souffrance. Véritable ombre faisant partie du décor, il semblait sorti du néant pour venir s'enraciner dans cette ruelle où il attendait la mort. Malgré la faiblesse de son corps malade qui l'empêchait de travailler, son regard vitreux était plein d’une vivacité d’esprit et d’une sagacité qui embarrassait Krys. L'adolescent avait l'impression que ces yeux morts s'immisçaient au plus profond de son être, l’épluchant couche par couche afin de sonder son âme, mettant à nu toutes ses pensées, tous ses espoirs secrets qu’il souhaitait enfuir en lui. Cette sensation désagréable le tourmentait à chaque fois qu’il était confronté au vieillard, alimentant cette haine instinctive qu’il éprouvait pour lui. En effet, il lisait au plus profond de son cœur, ce cœur noir et atrophié où brillait cependant une lueur vacillante qu'il tentait de dissimuler aux yeux du monde.

 - Krys, sanglotait Kaleb qui avait du mal à suivre son train en raison de ses jambes torses. Tu me fais mal.

    Desserrant son étreinte l’intéressée s’excusa au près de son frère sans toute fois décolérer.

  - Pourquoi tu ne veux pas que je reste avec lui ?

 - Par ce qu’il te met plein de chimères dans la tête et qu’il... enfin que je.....
 - Mais moi je l'aime bien, murmura Kaleb qui n'avait pas remarqué le silence soudain de son frère, il est gentil avec moi et il me donne même à manger quand je le lui demande.

   Krys, les yeux rivés sur un attroupement qui obstruait la voie n’entendait plus les paroles du petit infirme. Devant lui, les accalmiens qui sortaient du travail, agglutinés les uns aux autres et se bousculant pour mieux voir, avaient le regard perdu dans les cieux, la tête rejetée en arrière. À son tour, sentant l’appréhension monter en lui, l'orphelin les imita.

    Là, parmi les toitures et les fenêtres des immeubles infinis, se trouvait une enseigne millénaire qui, servant d'annonce pour les décisions des autorités, était restée vierge durant de longues années. Pourtant, en cette fin de journée nuageuse, elle arborait une affiche immaculée qui cassait la grisaille des bâtiments environnants. Dessus, en lettres sanglantes, était inscrit un message que le gouvernement adressait aux habitants des bas-fonds d'Accalmia.

 

« En réponse aux questions posées sur la surpopulation, les élites de la cité ont adopté une politique qui sera appliquée à compter de ce jour. Afin d'assainir les rues et de réduire la concentration des nuisibles, les forces de l'ordre seront habilités à appliquer les nouvelles mesures. Lancement du Grand Nettoyage »

 

    La lecture de ce message fit naître en Krys qui ressentait déjà le poids d'une telle annonce une inquiétude nouvelle. Pourtant, malgré la perplexité qui grandissait dans son cœur, il remarquait avec horreur que rien ne se passait dans celui des autres habitants. En effet ces derniers regardaient d'un œil vide ces runes étrangères qu'ils ne pouvaient déchiffrer et, incapables de saisir la sinistre signification de ce message qui leur était pourtant adressé, ils reprenaient leur chemin sans plus s'en soucier. Personne n'avait été touché par cette nouvelle et personne n’était au courant de ces "nouvelles mesures" qui les concernaient tous. Seul Krys discernait l'étendue de ce message dont l'issue lui était inconnue. Il était le seul à porter le poids de cette connaissance et cela l'effrayait.

    Qu'était-ce donc que ce Grand Nettoyage ?

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