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L'envol
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Pubblicato 14 lug 2024 Aggiornato 14 lug 2024 Science fiction
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Évry - France

Jour J -6 ans

 

La planéité de l’escalier ne devait pas être parfaite, car la flaque jaunâtre s’étendait vers le nez de la marche, prête à ruisseler et répandre son odeur âcre dans la contre-allée. La semelle noire de la chaussure de sport urbaine fit gicler l’urine — canine ou humaine — en une myriade de gouttelettes qui formèrent l’espace d’une seconde une étrange galaxie en suspens entre deux niveaux de béton fissuré. Le bruit de ventouse entre le liquide et la chaussure disparut en même temps que les derniers rayons bas du soleil d’automne, qui finissait sa course derrière les silhouettes mornes des hangars de la ZAC proche. La jeune femme, une brunette aux cheveux courts habillée tout en jean, grimpait les marches trois par trois, sans se préoccuper d’où ses pas pouvaient bien atterrir. Elle était anxieuse, et peu lui importait l’état de ses chaussures. L’homme qui la suivait depuis la sortie de la zone d’activité accéléra lui aussi. Sa doudoune rouge jurait par-dessus son ensemble de survêtements bleu marine dont la capuche était relevée par-dessus une casquette noire. Elle prit pied sur la passerelle piétonne qui surplombait l’autoroute. Le vrombissement des moteurs et le roulement des pneus quinze mètres plus bas l’assaillirent sans l’atténuation habituelle des bâtiments urbains, et encore accentués par les murs antibruit qui renvoyaient les échos en hauteur. L’odeur amère et écœurante des hydrocarbures remplaça les relents de pisse. Elle avança à grands pas, la longue passerelle lui faisait l’effet d’un couloir menant à un abattoir. Derrière elle l’homme venait à son tour de prendre pied sur la plateforme. Ses cheveux huilés en arrière renvoyèrent le dernier éclat oranger du soleil, et la grisaille s’appesantit pour le restant de la soirée. Il se passa une langue épaisse sur les lèvres.

Le grondement ambiant couvrait les battements de cœur de la jeune femme, mais son organisme lui rappela l’état de stress dans lequel il était plongé en relâchant une montée d’acide gastrique qui vint lui brûler l’œsophage. Plus d’échappatoire sur ce pont étroit… elle se mit à courir presque par réflexe. C’était peut-être stupide, après tout l’homme pouvait tout comme elle rejoindre la gare RER sans vouloir faire le grand tour par l’avenue. Il pouvait très bien avoir accéléré pour ne pas rater sa rame. Il pouvait très bien avoir les lèvres sèches. Il… Il venait de se mettre à courir ! Elle serra son sac à dos en bandoulière sur son épaule et accéléra. Avec la brusque pointe de vitesse, les pans de sa veste en jean s’ouvrirent sur son chemisier blanc.

Le vrombissement s’effaça à ses oreilles, elle était concentrée, tous ses sens désormais coordonnés pour lui permettre de s’échapper. Une peur primale et une réponse instinctive avaient remplacé toute forme de raisonnement, plus qu’une seule idée : fuir !

Elle fila le long des rambardes, dépassant déjà sous elle les rails de sécurité qui séparaient le flot des véhicules : mi-chemin, enregistra son cerveau. Derrière, l’homme gagnait du terrain. Elle allongea sa foulée pour finir sa traversée. Prenant pied sur l’autre berge, elle s’accrocha à l’un des barreaux de la rampe pour négocier son virage sans ralentir. Son sac glissa de son épaule et le long de son bras. Elle ne chercha pas à le rattraper et il s’écrasa contre les barreaux avant de choir sur la dalle en béton quand elle lâcha prise. Elle dévala le premier chapelet de marches qui la ramenait vers la rue. L’homme déboucha juste au-dessus. Elle sauta le second palier, se réceptionna presque à quatre pattes sous la violence du choc et voulut se jeter dans l’artère pour traverser le terrain vague et rejoindre une zone plus animée, mais deux autres individus lui barrèrent la route. Des clones du premier qui arboraient des doudounes plus sombres, mais le même sourire cruel.

Elle recula sous l’escalier, acculée. Une porte en métal grise au bas rongé par la rouille barrait l’accès à un local technique. Elle sentit la poignée lui rentrer dans les reins quand l’un des hommes la poussa violemment en arrière. Elle se jeta en avant pour forcer le passage. Celui qui venait de les rejoindre l’attrapa par le bras.

— Oh ! non, non, non. Pas si vite !

Il lui asséna un coup de poing dans l’estomac qui lui coupa le souffle et la laissa pliée en deux. Au milieu d’un voile rouge qui lui brouillait la vue, elle se cabra malgré tout, lutta, gesticula dans tous les sens en criant. Des cris absorbés par les décibels du trafic routier, des gestes futiles qui déclenchèrent les rires goguenards de ses agresseurs. Alors que « doudoune rouge » la ceinturait et la soulevait pour qu’elle ne touche plus le sol, un autre lui décocha un second coup de poing dans le ventre. Le troisième ouvrait la porte, révélant un escalier humide qui descendait vers un local d’entretien des éclairages. Une odeur de moisissures monta. Ils la jetèrent au bas des escaliers et elle perdit connaissance quand sa tête heurta le sol.

Celui qui avait ouvert la porte descendit en rigolant, son pote suivi en sifflotant, et le dernier rabattit la porte derrière lui en rabaissant sa capuche et en dégrafant sa doudoune rouge. Il se repassa la langue sur les lèvres.

 

Dans la grisaille du petit matin, le camion de nettoyage amorçait son demi-tour dans l’impasse menant à la passerelle. L’agent de la voirie maugréa en voyant la porte grande ouverte sous l’escalier.

Il serra le frein à main et descendit de son véhicule. Le moteur et les deux brosses circulaires tournaient toujours, couvrant sur quelques mètres le brouhaha de l’autoroute.

Il s’approcha pour refermer la porte, fouillant déjà dans sa poche pour récupérer le passe qui lui permettrait de la verrouiller. Une odeur ferreuse et sirupeuse lui fit relever les narines et froncer les sourcils. Il fit un pas vers l’escalier et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Tout son corps se cabra en arrière de révulsion. Il eut tout juste le temps de se retourner et il vomit l’intégralité de son petit déjeuner sur le seuil en trois violents spasmes incontrôlables.

Au bas de l’escalier, une doudoune rouge déchiquetée gisait à même le sol, comme un paillasson incongru et macabre qui invitait à rejoindre un monceau de membres humains arrachés et sanguinolents.

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