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Chapitre 3

Chapitre 3

Pubblicato 25 ago 2024 Aggiornato 25 ago 2024 Science fiction
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Chapitre 3

Vincent n’amène pas son fils de deux ans dans les sous-sols du grand bâtiment, qui n’ont rien en commun avec les étages supérieurs. Valérian et lui suivent le responsable sécurité dans les longs couloirs bétonnés et froids, contrôlés par les caméras de surveillance, croisant de larges portes vitrées donnant sur des perspectives infinies de serveurs. Seuls le vrombissement des machines et le son de leurs pas résonnent dans cet endroit lugubre.

Après quelques virages, ils aperçoivent deux hommes assis dos au mur austère du corridor.

— Continue Trevon, on arrive, dit Vincent au responsable sécurité qui avance vers les deux hommes. Ça va ? demande-t-il à son protégé, en plantant ses yeux bleu vif dans les siens.

Valérian acquiesce, cachant son inquiétude aussi bien qu'un cachalot se cache d’un radar.

— Tu te souviens de la discussion qu’on a eu sur les sacrifices à faire pour être à la hauteur d’une grande famille comme BrainDrive ?

— Oui.

— C’est maintenant.

Valérian prend une longue respiration, puis hoche la tête.

— Tu sais ce que ces mecs ont fait ?

Le jeune PDG acquiesce à nouveau, sentant son pouls dans ses poings serrés. Vincent pose une main sur son épaule.

— Tout va bien se passer. Pour cette fois, je prends le lead.

Quand ils ont rejoint le responsable et les deux hommes assis, ceux-ci se lèvent, laissant apprécier leur masse impressionnante, et déroulent leur bonnet respectif sur leur visage, les transformant en cagoule.

Valérian aperçoit une porte métallique blindée sur laquelle le passe-plat fermé lui rappelle désagréablement l’univers carcéral. Trevon donne à Vincent et Valérian une cagoule chacun. Le jeune PDG, fébrile, l’enfile - pour la première fois de sa vie - en peinant à l’ajuster sur ses lunettes en dessous, sans savoir, d’ailleurs, s’il doit les retirer ou non. Avant qu’il ait eu le temps de se décider, le responsable sécurité déverrouille avec son badge et ses empreintes la lourde porte, puis l’ouvre.

Les deux golgoths entrent en premier, suivis par Valérian et Vincent qui ferme la marche en adressant un signe de tête au responsable qui comprend qu’il doit rester à l’extérieur.

La porte se referme, créant une réverbération sourde qui se propage dans l’espace bétonné et fait frissonner Valérian autant que les trois hommes menottés les mains dans le dos, assis autour d’une grande table ronde, elle aussi en béton. L’espace lumineux, qui l’est par un éclairage indirect au plafond, n’en est pas moins glauque et empeste la transpiration et la peur. Il n’y a pas de caméras dans cette salle, ce qui ne rassure pas Valérian qui s’efforce de regarder brièvement les trois captifs alignés côte à côte, tremblotant, le visage découvert, la bouche bâillonnée, les yeux baissés.

Valérian entend Trevon verrouiller la porte de l’extérieur. Il a envie de s’arrêter là, de prétexter quelque chose, de sortir de cette geôle et de les laisser gérer cette affaire sans lui, mais une voix en lui, encore fragile, lui rappelle qu’il est le Président Directeur Général de BrainDrive Incorporation à présent et qu’il doit mettre de côté sa peur pour affronter en face ceux qui s’acharnent à vouloir attaquer son entreprise et mettre en difficulté ses employés. C’est son rôle de tout faire pour les protéger.

Vincent, animé d’un calme glaçant, l’invite à s’attabler, il s’exécute. Les deux sbires viennent se placer debout derrière les trois captifs, tandis que le candidat aux présidentielles s’assoit sur une des épaisses chaises en métal restantes, puis la rapproche par à-coups de la table, la faisant traîner sur le sol râpeux, provoquant de forts sons stridents. Chaque son, chaque avancée effraie un peu plus les trois prisonniers, ce qui semble le satisfaire.

Une fois installé, il adresse un signe de tête à l’une des deux armoires à glace qui défait le bâillon du premier hacker aux cheveux bruns très courts, toujours menotté au dos de sa chaise. Ce dernier lève ses yeux emplis de hardiesse, presque prêt à en découdre.

— Où sont les données volées ? lui demande Vincent, tranquillement.

L’homme ne répond pas.

— Driss ? précise Vincent, pour lui signifier qu’il sait tout sur lui.

À part un frémissement presque imperceptible, Driss reste mutique. Vincent adresse un autre signe de tête et l’on démenotte un bras du prisonnier blond du milieu, le passe dans la sangle qui traverse la table bétonnée et la serre. Aussitôt, le blond - de vingt-cinq ans, tout au plus - se met à trembler de tout son corps, le bras gauche soudé à la table, le droit toujours menotté derrière son dos, laissant entendre quelques gémissements étouffés sous son bâillon.

— … Elles sont dans des disques durs… répond Driss, dont la hardiesse s’amenuise.

— Où ? lui demande Vincent, calmement.

Le hacker se mord les lèvres et baisse la tête pour s’empêcher de répondre. L’une des deux silhouettes massives vient déposer une prothèse de main sur la table, sur laquelle le logo en forme de « B » est sans équivoque.

— Tu sais ce qu’on fait aux voleurs comme vous dans certains pays, encore aujourd’hui ? poursuit Vincent, en désignant du menton la prothèse.

Il laisse l’épais silence remplir à nouveau l’espace bétonné pour que la peur s’infiltre comme un poison dans la tête de ces trois hommes.

— Nos prothèses ont une synchronisation parfaite avec le BrainBand, explique Vincent tranquillement. Une technologie révolutionnaire pour les personnes qui ont perdu un bras ; le fruit d’un travail long, coûteux et précieux, comme tous les produits BrainDrive ; un travail que vous volez. Vous n’êtes que des lâches et des parasites. Mais vous avez de la chance, tous les trois : je ne suis pas cruel et vous laisse le choix.

Un bras du troisième hacker d’origine indienne, à la peau presque aussi noire que ses cheveux mi-longs, est également libéré tandis qu’on vient lui placer, cette fois, un couperet dans la main. Le blond du milieu, le bras solidement attaché, se met presque aussitôt à larmoyer.

Valérian sent la sueur couler le long de son coup sous sa cagoule. Il joint ses mains et croise les doigts pour cacher ses tremblotements d’empathie.

— Où ? redemande Vincent.

Osant à peine serrer le large couteau dans sa main, l’indien bâillonné cherche une réponse dans le regard de Driss, le seul dont la bouche est désentravée.

— Vous saurez rien ! Qu’on parle ou pas, vous allez nous buter, de toute façon.

— Absolument pas, semble s’offusquer Vincent, dès que j’aurai les informations demandées, je vous remettrai aux forces de l’ordre.

Cette phrase ne rassure ni Valérian ni les trois prisonniers. L’indien aux cheveux mi-longs réfléchit : il a un couteau de boucher dans la main… Il pourrait tenter quelque chose, mais la peur le tétanise. Il hésite. Débout dernière lui, la silhouette massive vient presser une arme - ressemblant à un bâton très court - contre l’arrière de sa tête, le faisant tressaillir. 

— L’info ou la main ? demande Vincent.

Le prisonnier regarde son chef qui hoche la tête, l’œil humide, malgré les cris étouffés de leur pair, entre eux deux, qui tente de dégager en vain son bras garroté.

— Vise un peu avant le poignet, c’est plus propre, conseille Vincent.

L’indien prend une grande respiration en levant le lourd hachoir, alors que son acolyte blond hurle à travers son bâillon. Valérian détourne les yeux et se répète en boucle : foutus braindeads, ils le méritent. Foutus, braindeads… Le bourreau hésite, abaisse le bras et s’arrête juste avant de toucher la main de son camarade. Ce dernier halète fortement, animé de sanglots. Valérian reprend sa respiration également, le plus discrètement possible.

— Vas-y, ordonne le chef aux cheveux courts.

L’indien, les yeux remplis de larmes, s’arme de courage et lève à nouveau le couperet. Valérian ferme les yeux sous sa cagoule.

— VAS-Y !

Il abaisse le bras, fendant l’air froid avec l’impressionnante lame, mais, au dernier moment, se ravise une fois de plus. Vincent adresse un regard au sbire debout derrière lui qui actionne son arme sans hésitation. Une détonation d’air comprimé retentit et la main de l’indien lâche le couteau, alors qu’une giclée de sang jaillit de l’arrière de son crâne et que son corps se vide instantanément de tout tonus musculaire, ses cheveux mi-longs se balançant sur sa tête relâchée.

— NOOOON ! crie Driss.

Valérian sursaute et manque de vomir. Le blond du milieu est agité de spasmes qui secouent ses longs cheveux soyeux, les larmes coulant jusqu’à son bâillon, le bras toujours solidement attaché.

— Où sont les données volées ? redemande Vincent, avec un calme inébranlable, sous sa cagoule, qui effare Valérian.

Driss se mord les lèvres à nouveau en haletant de terreur, mais ne craque pas. Un de ses bras est démenotté à son tour pour lui placer le hachoir dans la main. Valérian serre les dents pour affronter un deuxième tour. Le hacker regarde son acolyte blond, toujours tremblant et sanglotant, les yeux rougis et implorants. Le deuxième sbire vient coller le pistolet d’abattage sur la tête de Driss.

— C’est plus grand que nous… Désolé… lâche ce dernier à son camarade, la voix chevrotante.

Il arme son bras et tranche net la main, provocant un bruit sourd rattrapé par les hurlements de douleur étouffés qui envahissent la geôle bétonnée et percent l’âme de Valérian.

Le pistolet est placé sur l’arrière du crâne du souffrant, puis actionné et les cris cessent instantanément.

— NOOOOOOOON ! crie Driss à nouveau, anéanti.

Valérian sent sa poitrine se comprimer comme une canette qu’on écrase et s’efforce de respirer lentement pour refréner sa panique intérieure. Le sbire retire le couperet de la main du hacker et le menotte à nouveau.

— J’admire ton courage, lui confie Vincent. Quel gâchis… Tu pourrais travailler pour nous et gagner beaucoup d’argent au lieu de crever ici…

Les nerfs de l’homme lâchent et il se met à pleurer à chaudes larmes, mais pas un mot sur les données volées ne sort de sa bouche. Valérian ne comprend pas son acharnement. Il n’y voit pas du courage, mais de la folie. Son empathie et sa douleur laissent peu à peu place à la colère, comme dernier rempart pour ne pas s’effondrer face à cette démonstration de cruauté de laquelle il est complice.

— Pour la dernière fois, où sont les données volées ? redemande Vincent, impassible.

— Vous n’êtes qu’un monstre… lâche le prisonnier.

— Je ne laisserai pas mon travail et mes sacrifices être abimés par des raclures qui n’ont rien trouvé d’autre à faire dans la société que de détruire.

— C’est vous qui détruisez ! Vous détruisez l’attention, vous détruisez la mémoire, vous détruisez le sommeil, vous détruisez l’équilibre mental, vous détruisez des vies ! C’EST VOUS QUI DÉTRUISEZ LA SOCIÉTÉ !

— Ah… Parce que vous agissez au nom de la société ? rétorque Vincent, sans emportement. Et la rançon de dix millions d’euros, c’est pour la société ? Vous êtes une sous-race de la pire espèce. Et c’est toujours les autres, jamais vous, les responsables de vos propres mésactions.

— Parle ! … Et on te laissera la vie sauve, intervient Valérian, en tentant de stabiliser sa voix.

Pour la première fois, le hacker plante son regard vaillant dans celui de Valérian et celui-ci sent sa nuque se raidir.

— Plutôt crever ici.

— Parle ! répète Valérian.

— Vous pouvez me torturer autant que vous voulez, bandes d’enculés, je vous dirai rien ! RIEN !

— PARLE !

— PLUTÔT CREVER ! ET SI C’ÉTAIT À REFAIRE, JE LE REFERAIS !

Valérian se lève subitement, fonce sur lui et lui enfonce son poing dans la figure, le faisant tomber de sa chaise. Vincent fait un geste à ses deux sbires pour qu’ils n’interviennent pas tout de suite.

— OÙ SONT LES DONNÉES ? !

Valérian secoue et roue de coups le visage en sang du hacker incapable de parler.

— OÙ SONT LES DONNÉES, SALE VOLEUR ? ! PUTAIN DE BRAINDEAD DE MERDE !

Sur un regard de Vincent, une des deux masses vient ceinturer Valérian et l’entraîner jusqu’au coin opposé de la pièce, tandis que l’autre relève l’homme tuméfié et pose l’arme de mort sur l’arrière de sa tête. Valérian se bouche les oreilles pour ne par entendre l’horrible détonation d’air comprimé perçant l’os crânien. Puis, s’accroupit contre le mur du fond, haletant et désorienté.

Vincent retire sa cagoule, invitant les deux masses et son protégé à faire de même. Le visage à découvert, ce dernier respire un peu mieux, en tentant de retenir ses larmes, le corps agité de saccades nerveuses. Son mentor s’approche de lui et le relève.

— Ça va ?

Le jeune PDG ne sait pas quoi répondre à une question aussi absurde. Vincent veut le rassurer et lui dit avec un calme qui le glace :

— Ne t’en fais pas, on a déjà les infos. On sait où sont les données.

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