

Chapitre 5.1 Confrontation
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Chapitre 5.1 Confrontation
Dimanche 9 mars 2024
Ronan fut le premier debout. L'air ambiant était d'une langueur toute pardonnable après s'être étiré une semaine durant. Ronan se sentait capable de reconnaître le dimanche matin à son odeur pour peu qu'on lui présentât à humer un échantillon de chaque atmosphère matinale dans de petites bouteilles en verre.
Il se surprit à sourire des envolées de son imagination, déjà bien en verve à cette heure de la journée. Finalement, peut-être vaporisait-on réellement dans l'atmosphère de ces jours-là des bonbonnes entières de bonne humeur pour le bon peuple ?
Pourtant, ce week-end ci n'aurait rien de la sérénité promise. Des heures à venir dépendraient de nombreux autres samedis ou dimanches. Il alluma rapidement son ordinateur. Le ronronnement régulier vint enlever le dernier bastion de silence que cette aurore conservait encore. Puis, sans laisser le temps au temps, il activa les touches ; il fallait mettre la seconde couche de peinture dans la salle de bain.
Julie avait voulue du mauve après avoir feuilleté les pages de son catalogue. Dans la nuit, il avait installé douche, baignoire et lavabos en hâte et en silence, puis avait procédé aux raccords de plomberie. Enfin, il avait installé l'électricité. Il avait ainsi pianoté jusqu'à deux heures du matin sur son clavier. Et, à présent, comme il mettait les dernières touches de couleur et décollait fébrilement les adhésifs de protection, il se sentait fourbu et fatigué.
— Valentin ! Viens voir ! s'exclama Julie, les cheveux épars, cherchant leur courbure naturelle, et les paupières mi-ouvertes, chassant les écueils de la nuit. Notre protecteur n'a pas chômé !
Valentin suivit sa femme dans leur toute nouvelle salle de bain, resplendissante de fraîcheur et de propreté.
— Jusqu'aux odeurs de peinture qui flottent encore dans l'air ! ajouta-t-elle.
Valentin émit un long sifflement admiratif.
— Je n'ai rien entendu de la nuit.
— Peut-être a-t-il enfilé des moufles pour ne pas faire de bruit en tapant sur son clavier ? ironisa Julie, en sortant de la pièce pour se diriger vers la cuisine. Il nous a même préparé le petit déjeuner !
Valentin la rejoignit ; cette situation lui rappela soudain un conte de son enfance où sept oursons découvrent tour à tour que l'on est venu manger dans leur assiette, boire dans leur verre, dormir dans leur lit…
Sur la table de la cuisine, du café chaud, des croissants tièdes, du beurre juste ramolli et du lait frais attendaient que l'on s’intéresse à eux. Ronan était revenu sur son texte toutes les cinq minutes avant leur réveil pour gommer et remplacer l'heure de son passage afin que ces quelques lignes soient toujours à la bonne température.
Ils se mirent à table sans être plus surpris et déjeunèrent copieusement. Pendant ce temps, Ronan avalait un thé froid en solitaire, sur le coin d'une table, en relisant ses notes, tel un metteur en scène consultant son scénario quelques minutes encore avant le début du tournage.
Il ne resta bientôt plus que quelques miettes perdues, tombées entre deux taches de café, quelques miettes perdues que Valentin ramassait, du bout de son majeur préalablement humecté, dans un réflexe de gourmandise invétérée. Julie se leva, pleinement réveillée à présent.
— Et si on lui laissait faire la vaisselle ? demanda-t-elle, après tout, je suis en convalescence. S'il se manifeste, dis-lui que je prends un bain, avant que l'on commence. J'ai à me défaire d'un voyage raté.
Julie prit des affaires propres, celles de la veille sentaient l'hôpital, puis elle se retrancha dans la salle de bain en fermant la porte derrière elle. Elle avait besoin de solitude pour se ressourcer. Sur ses traits reposés se devinait déjà le plaisir du bain à venir.
Elle quitta son peignoir et la glace lui rappela les marques de l'accident que son corps exhibait toujours. Elle s'examina des pieds à la tête, nue, dans un calme et une sérénité qu'elle avait perdus depuis que Ronan était entré dans sa vie, leur vie.
Elle observa sa blessure à la cuisse, la seule qui la faisait encore réellement souffrir, comme si une volonté supérieure avait voulu l'empêcher de rêver à ses vacances à la montagne.
Pourtant, en se dénudant, il lui avait semblé qu'elle s'était libérée de l'empreinte de Ronan, comme si ses vêtements avaient été le support du rôle que Ronan lui faisait endosser. Elle prolongea pour elle seule le regard qu'elle avait d'elle-même alors qu'une mousse parfumée commençait à déborder de la baignoire et à ramper sur l'émail vierge.
Derrière son pupitre, Ronan fut troublé par son héroïne. Cet érotisme qu'il subissait n'était pas prévu au programme. Pourtant, il ne pouvait pas s'empêcher de prendre un certain plaisir à observer le corps de Julie, à appréhender en même temps son dos, ses fesses rougies et l'image de ses seins que lui procurait la glace impudique.
Cependant, il ne devait pas se disperser, la situation était déjà assez compliquée. Sans bruit, il effleura deux ou trois touches, ferma le robinet d'eau et, tout aussi furtivement, quitta la pièce par quelques mots feutrés.
Il baissa l'intensité lumineuse de son écran jusqu'à ne plus distinguer la moindre forme, la moindre ligne, il laissa ainsi Julie à son intimité et resta dans le noir, seul, coupé de ses personnages.
Quand plus tard Julie revint au salon, elle ne s'était toujours pas résolue à s'habiller. Son peignoir trop large accompagnait encore chacun de ses mouvements. Elle terminait de masser sa chevelure humide pour en accélérer le séchage pendant que Valentin se familiarisait avec un traitement de texte, aménagement voulu par leur créateur et placé là à son intention.
Ronan n'avait pas réapparu.
— Alors ? demanda Julie.
— Rien, répondit Valentin, absorbé par un début apparent de création littéraire.
Sous ses efforts laborieux, des lignes de peu d'intérêt s'inscrivaient sur son écran.
— Tu vois, dit-il, il suffit de connaître le nom d'une chose ou d'une personne pour lui donner vie.
Julie ne semblait pas partager le tout nouvel enthousiasme de son mari. Lui qui n'alignait jamais plus de trois mots au revers d’une carte postale se prenait aujourd'hui d'une passion tardive pour l'écriture ; le conditionnement auquel Ronan voulait les soumettre devait avoir commencé. Valentin n'était déjà plus tout à fait le même.
— Essaie, toi ! dit-il, en glissant le clavier vers sa femme. Tape quelque chose, n'importe quoi !
Julie soupira, s'approcha de ces forceps de l'intellect et écrivit la première phrase qui lui passa à l'esprit, sans réfléchir.
« Ronan, la vaisselle t'attend.»
Valentin se mit à rire, Julie sourit, elle-même surprise. Une étrange audace lui vint soudain.
— Et si nous écrivions à notre tour sur notre géniteur, dit-elle, si nous lui rendions la monnaie de sa pièce ?
— Tu crois que…
— Essayons, reprit-elle, nous verrons jusqu'où ce petit jeu nous conduira.
Valentin resta aux commandes, et dans l'œil de Julie apparut une certaine lueur d'impertinence.
— Faisons-en notre créature. Je l'imagine bien en homme d'intérieur, s'occupant des affaires de la maison pendant que sa femme travaille à l'extérieur.
« Ronan enfile son tablier ménager, prêt pour une nouvelle journée d'un labeur acharné. »
Pour commencer, Valentin retint uniquement des phrases simples, de construction classique : sujet, verbe, complément. Tout au présent. Assez vite, pourtant, il se hasarda à glisser au hasard de sa prose un adjectif ou un adverbe. Il revint sur ses mots, tentant des synonymes plus ou moins heureux.
Tout doucement, Julie commençait à prendre goût à la situation, comme si ces mots pouvaient l'aider à surmonter sa rancœur.
« Depuis sa table à repasser, il affronta les deux tas de linge ; le petit, le sien – et le gros, celui de Mathilde. Devant lui, sur le mur, un tableau de liège avec, à gauche, la photo de Mathilde, souriante, et sur la partie droite, en lettres capitales et en marquage indélébile, cette seule phrase : « Aujourd'hui, mon chéri, j'ai pensé que tu pourrais : », suivie par des propositions hâtivement annotées entre deux urgences.»
Cette fois-ci, Julie y mettait tout son cœur ; la valse des tâches ménagères ne laissa aucun répit à Valentin. Ses deux index, main gauche, main droite, martelaient les touches, l'un derrière l'autre. Il avait déjà enregistré une petite partie du clavier, il ne perdait plus son temps à chercher le « e », le « s », le « a » ou le « t », ses doigts connaissaient le chemin :
« Tiret, faire le repassage, tiret, faire le ménage, tiret, s'occuper des courses, tiret, sortir le chien ».
Valentin riait. Lui ne possédait pas de chien, rien de tout cela ne pouvait le concerner. Plus compliqué à présent :
« Tiret, faire les vitres, tiret, cirer le parquet, tiret, ranger l'armoire. »
Ronan arriva juste sur ces entrefaites ; il eut un sursaut en apercevant sur son écran le portrait que Valentin avait fait de lui sur le sien. Une telle inversion des rôles était-elle possible ?
Se pourrait-il qu'il puisse finir ses jours écrasé entre les lignes d'un roman comme une fleur séchée ou un marque-page ?

