Valérie se répète plusieurs fois la même phrase :

— Ce n'est pas possible ! Ce n'est pas possible !

Une douleur se réveille dans sa chair de toutes ces années de silence. Didier s'éclipse. Peu hardi pour lui transmettre en mains propres cette enveloppe, il la laisse seule dans son intimité. Ce filament entre eux a fondu brutalement avec sa famille. Représentée comme un démon avec un jugement sévère de sa personne, partir a été une libération pour elle.  Elle n'a pas obtenu de réconfort par sa fratrie. Les larmes lui viennent. Elle déchire l'enveloppe avec un couteau. Ses mains sont tremblantes. Elle n'a pas oublié le graphisme d'Hélène qui ne change pas. Valérie s'agite dans une marche d'aller venue incessante.

Ma chère Valérie,

Cela fait bizarre de t'écrire. Mes yeux sont embués et je frémis. J'aurais dû franchir cette étape depuis longtemps, mais au lieu de cela, je t'ai écartée de ma vie. Je ne vais pas être brève, car j'ai tant de choses à te dire.

Nous t'avons abandonné depuis la naissance de Matthieu à mon plus grand regret. Cela nous a écrasés sous un poids de culpabilité, mais agir à l'encontre de notre mère s'avérait une forme d'insulte et de mépris. Cette situation inconfortable nous a coupés de toi. Tu n'étais pas un exemple à suivre et crois-moi, cela n'a pas été aisé. J'étais encore jeune lorsque tu es partie de la maison. Je ne comprenais pas l'ampleur du problème. Cependant, dans sa toile, la suprême araignée régnait et nous tenait prisonniers dans ses règles. On me prenait pour une nunuche en me cachant ton histoire. Toi, une femme fatale, ton absence a pimenté nos conversations avec les phrases assassines de nos parents. Quelle bonne idée et finesse de quitter ce nid de morpions ! Au départ, c'était gérable pour eux, mais c'était le début de la chute finale. Des dominos qui s'écroulent un à un. Le comportement de maman nous a énervés. Tu ne dois pas t'en souvenir, mais un jour, nous étions au château de Combourg, Simon s'était souillé sur son tee-shirt avec la confiserie et le chocolat qui fondait à la chaleur. Un véritable démon, il s'était mouillé avec de l'eau de l'étang en s'éclaboussant. Par miracle, le soleil chaud l'a séché sans que nos parents s'en aperçoivent. Et en jouant, Simon a trouvé un revolver chargé de balles. Un coup est parti et il n'a blessé personne. Depuis, Simon aime les armes et il exerce comme militaire.

Denis est devenu cybernéticien un spécialiste dans le domaine de cybernétique. Cela te paraît compliqué comme mot et ne t'évoque rien sans doute. c'est une étude des dispositifs de régulation et de communication chez nos chers êtres vivants. Ainsi, c'est mieux donc peut-être ? Un vaste programme mais passionnant. Il n'a pas eu à peaufiner son projet de son futur métier. C'est en regardant monsieur André à tanner la neige. Bizarre me dirais-tu ? Nos vacances en montagne évoquent tant pour moi. Tout ceci me parait si loin que j'ai l'impression qu'une éternité est passée. Ce serait si bien si nous pouvions nous revoir tous ensemble et revivre ces moments. Je suis peut-être rêveuse. Je sais. Tu dois nous en vouloir qu'on n'ait pas essayé de te recontacter depuis tout ce temps. Je crois que nous n'étions pas encore prêts. Toutefois, un événement nous a rappelés à l'ordre pour nous signaler que la vie est si courte et fragile. Notre père a été renversé par une voiture. Son front a cogné le trottoir avec un traumatisme crânien. Il a été un coma pendant six mois. Tu as le temps de cogiter dans ta tête. Il a perdu une partie de sa réminiscence et nous lui remémorons chacun notre tour des épisodes notre histoire. Il aurait pu mourir.

Avec Marc, c'est parti en crescendo à peine si notre mère ne le prenait pas pour le messie. Il est parti trappiste. On est gâté ! Il a rattrapé nos cumuls de nos impairs.

J'ai connu un drôle de lascar notre cher cousin Paul. Il m'a mise enceinte et je ne l'ai plus revu. Je suis une louve pour ma fille.

La loi des séries qui nous divisent en deux camps, mais j'ai été tenace avec notre mère avec de nombreux éclats pour que ma fille ne  devienne pas la pupille de l'État. Elle exigeait que je la renie, comme si elle me disait : à la niche ! Elle ne voulait pas que je la garde. J'ai résisté. Je suis restée sur les rails, car je continue à persister à me battre avec elle. Je me suis sentie laide et fétide pendant longtemps. Les choses se sont aplanies depuis mon nouveau compagnon vit avec moi. Mon acte et tien sont impardonnables. On aurait pu s'associer ensemble. J'ai toujours voulu te rassembler.

Je parle beaucoup de chacun de nous et toi ? Je sais que notre mère t'a rejeté, mais je me dis ceci : si j'ai vaincu avec elle, tu peux garder espoir d'une réconciliation. C'est dommage de ne pas renouer avant qu'il ne soit trop tard. Va les voir, ils vieillissent. Ils perdent leurs vergognes, ils ont plus de souplesse. Ne reste pas engoncée dans ta douleur. Tu es peut-être réservée et tu lui tiens encore rigueur après qu'ils t'ont éjecté et irradié. Certes, tu conserves une certaine rancune. Ils ont dressé un sacré costard sur ta personne avant ton départ, mais je peux coopérer à raccommoder sans ramper devant eux pour autant. J'espère que tu seras reçu comme il se doit avec respect. Alors, ça se tente ?

Je sens mes poils qui se redressent et j'ai des frissons. Elle a dû vider sa marmite à force de bouillir. Penses-tu être une maso, rêveuse ? Tu t'es casée avec quelqu'un trois ans après et tu es toujours avec lui. Il paraît qu'il aime la bonne bouffe et c'est un solide dîneur. Tu es une drôle chipie tout de même.

J'espère que tu vas réfléchir à tout cela et te revoir. Incessamment, ils quitteront cette terre pour rejoindre Dieu, ils sont bientôt au bout de cette poutre. Ne vis pas avec le regret de ne pas avoir essayé. Donne-moi de tes nouvelles. Tu m'as manqué et nous allons retrousser nos manches toutes les deux pour parvenir à nos fins.

Je t'embrasse Hélène