Sueurs Froides au Bout du Fil
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Sueurs Froides au Bout du Fil
Fatoumata ne se doutait pas qu’elle allait recevoir un coup de fil. Enfin, pas ce coup de fil-là. Fatoumata est tout de même opératrice téléphonique au SAV de Pizzamomix, une filiale du groupe Freiwerk. À ce titre, elle reçoit de nombreux coups de fil dans la journée. Mais la plupart du temps, ce sont des petits vieux qui ne trouvent pas une fonctionnalité dans le menu complexe de l’appareil sur lequel il leur reste dix-huit mensualités à payer…
Comme à son habitude, à cette heure de la journée, Fatoumata se gavait de chocolats en partageant ses déboires auprès de la gent masculine avec sa collègue la plus proche. Elle avait réglé le système d’attente sur quinze minutes, histoire de ne pas devoir décrocher trop rapidement. Mais le signal de fin d’attente arrivait toujours avant que Fatoumata ne soit prête. D’où le blanc auquel les appelants ont droit quand la petite musique s’arrête.
Lui, c’est Charles. Un client pas franchement satisfait par le dernier fleuron de la marque : le PMM 600 Turbo qui fait tout tout seul. Charles, avant d’appeler le service client, avait préparé sa liste de questions et un grand pichet de citronnade.
— Service Client Pizzamomix, bonjour ! Je suis Sarah ! Que puis-je faire pour vous ?
Oui, Sarah. Parce qu’il faut toujours faire croire au client que son appelle abouti dans son pays de résidence.
— Bonjour, je vous appelle car ma femme a acheté un Pizzamomix au mois de décembre.
— C’est à quel nom ?
— Untel
— Abigaïl Untel ?
— Oui, c’est bien ça.
— Je vois que vous avez fait l'acquisition du PMM 600 Turbo qui fait tout tout seul. C’est un excellent choix, Monsieur Untel.
— Si vous le dites, répondit l’homme sans grand enthousiasme.
Fatoumata ressentit un frisson glacial lui parcourir l’échine, mais s’efforça de conserver son calme et son sourire si savamment appris à l’Ecole du SAV.
— L’appareil a été bloqué à distance, poursuivit l’homme.
— Oui, je vois un défaut de paiement dans votre dossier.
— Nous avons réglé, il y a plus de quinze jours.
— Nous avons enregistré la demande de règlement hier. Quand celui-ci sera confirmé par le service recouvrement, il faudra compter quinze jours…
— Vous avez utilisé une porte dérobée pour le bloquer, la coupa-t-il brusquement. Si vous pouvez le faire, un pirate informatique peut aussi le faire.
— C’est une procédure normale pour prémunir la société Freiwerk contre les vols de Pizzamomixs et les impayés.
— Oui, je comprends. Mais vous, vous comprenez ce que je vous dit ? Si vous pouvez y accéder à distance pour le bloquer, un pirate informatique peut aussi le faire. Et il n’a pas besoin d’être trop doué.
— Ne vous inquiétez pas, Monsieur Untel. Une grosse firme comme Freiwerk prend toutes les précautions de sécurité informatique…
— Non, vous ne comprenez pas ce que je vous dit, Madame. Mais cela dépasse peut-être votre compétence et vos capacités de compréhension.
— Oui, ça dépasse mes compétences.
— Et à part les paramètre de l’appareil, à quoi avez vous accès ? Des données utilisateur ? Un micro caché ?
— Oh non, il n’y a pas de micro caché dans nos appareils ! Nous sommes une maison sérieuse !
Le ton indigné de Fatoumata n’était même pas feint. Comment pouvait-on ne serait-ce qu’imaginer une telle chose ?
— Bien.
Fatoumata ne se sentait pas seulement dépassée par les question de son interlocuteur. Elle se sentait de plus en plus mal à l’aise. Et la suite de la conversation avec Charles Untel n’allait certainement pas arranger les choses.
— Pouvez-vous me fournir les déclaratifs faits à la CNIL sur les questions d’accès à distance, demanda encore Charles Untel ?
— Je n’ai pas accès à un tel document. Et je n’ai pas le pouvoir de vous le transmettre. Pour cela il faut faire une demande par mail au service concerné.
— Et quel est le service concerné ?
— C’est le service client, Monsieur.
— Mais vous n’êtes pas le service client ?
— Nous sommes le SAV.
— Pourtant, j’ai fait le numéro du service client.
Charles commençait à perdre patience. Cela se sentait dans le ton de sa voix. L’angoisse gagnait Fatoumata.
— En fait, c’est les deux. Mais… Vos demandes sont trop pointues, Monsieur. Je.. Je ne peux pas y répondre moi-même. C’est pour cela, il vaut mieux faire un mail. Et je.. nous… Je pourrais transmettre aux service concerné qui vous répondra.
— Mmm…
Blanc. Silence pesant.
— Monsieur Untel, si vous n’avez pas d’autres…
— Et l’abonnement à Pizzamiammiam ?
— Pizza… miam… miam ?
— Oui, vous savez le truc des recettes Cookieschtroumpf ou ch’ais pas quoi !
— Vous voulez dire Coockizza ?
— Oui sûrement. Avec le blocage de l’appareil, l’abonnement actif ne sert à rien. Et du coup, ça se passe comment ? Nous allons avoir un geste commercial de votre part ?
— Posez la question dans votre mail.
— Non parce qu’on a réglé l’échéance il y a plus de quinze jours déjà et on nous a dit que ce serait débloqué au bout de quinze jours maximum.
— Monsieur Untel, je ne vois pas votre paiement dans votre dossier. Envoyez-nous la preuve de paiement par mail. Et nous transmettrons au service compta.
— Vous pouvez me passer le service compta, demanda l’homme agacé ?
— Non, je ne peux pas.
— Qu’est-ce que vous pouvez faire concrètement ?
Blanc.
— Il y a quand-même un truc que je ne m’explique pas, Sarah. Je peux vous appeler Sarah ?
Ce n’était qu’une question réthorique à laquelle il ne lui laissa même pas le temps de répondre.
— Car je ne comprend pas comment vous en êtes arrivés à avoir quatre mois de retard sur le premier prélèvement.
— Je ne suis pas certaine de comprendre le sens de votre question, Monsieur Untel.
— Et bien, ma femme a acheté l’appareil en décembre, voyez-vous. Avec un accord pour trois mensualités. Et la présentation de la première mensualité s’est faite en avril.
— Posez la question dans votre mail et je transmettrais au service concerné.
— Donc je pose toutes mes questions par mail ? Au service client ?
— Oui, serviceclient tout attaché, arrobase freiwerk.com et on transmettra.
— Ok.
— Vous avez d’autres questions ?
— Oui plein !
— Heu…
— Par mail ?
— Oui, s’il vous plaît. Parce que c’est vraiment pointu. Et je ne suis pas formée pour répondre à ce type de questions.
— Ok.
— Excellente journée, Monsieur Untel.
— Ok. Dites, Sarah ?
— Oui ?
— Vous les aimez comment vos pizzas ?
— Pardon ?
— Vos pizzas.
— Avec tout plein de fromage !
Il y eut une pause de deux secondes, cinquante dixième et un centième qui parurent comme dix-huit années lumières et sept siècles à Fatoumata.
— Vous devriez peut-être faire gaffe à celle posée sur votre bureau, non ?
— Celle…
Un observateur extérieur installé dans la même pièce que Charles Untel aurait pu entendre les hurlements de Fatoumata à travers le combiné. C’est que la pizza posée sur son bureau avait de grandes dents pointues, des yeux injectés de sang et des mains pleines des mains pleines de griffes. Une pizza monstrueuse dotée d’un appétit insatiable qui n’était peut-être pas seule, car des mouvements de paniques et des hurlements provenaient des boxs voisins, dans tout l’openspace. Dans ce brouhaha, on distinguait les ricanements pervers des monstres-pizzas…
Crédits photos et illustrations :
Photos de couverture par Andrii Shevchuk.
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