Il est des êtres dont la naissance résonne à travers l’éternité, dont la venue au monde porte en elle un fracas silencieux qui ébranle les fondations même de l’existence. Ainsi naquit Mullonga, dans une nuit sombre du 15 mars 1771, au sein des terres sacrées du peuple Eora, là où les forêts bruissent des murmures du serpent arc-en-ciel, l’antique Ngalyod. Sa mère, Andjulya, donna sa vie en échange de ce souffle nouveau ; son père, le sage et grave Barediak Souffle-Rêve, vit dès cet instant dans le regard de son fils un destin lourd comme une montagne.

L’esprit Azhmalyon, serpent totem aux écailles d’ombres et d’argent, prophétisa dès cette nuit :

« Cet enfant porte en lui la force noire du rêve. Quand viendra la fin des Papillons de Lune, quand sombreront nos âmes dans la grande nuit, Mullonga choisira : devenir offrande suprême aux esprits sauvages, ou marcher solitaire, porteur immortel du rêve jusqu’au prochain Tjukurrpa. »

L’enfant grandit, nourri de solitude autant que de mystères. Autour de lui flottaient d’étranges lumières, de sombres flammes visibles seulement aux yeux des esprits et des initiés. Dès son plus jeune âge, il apprit des chants anciens, il traqua les ombres souillées au cœur de l’Umbra, devenant rapidement un guerrier sombre, invincible mais solitaire. Chaque coup porté, chaque blessure reçue, était un pas supplémentaire vers ce destin qu’il ne pouvait fuir.

Et puis, en l’année terrible 1789, venu de terres étrangères avec une ambition froide et cruelle, débarqua Darkriver d’Azmyrne, sombre vampire dont la soif de pouvoir n’avait d’égale que la noirceur de son âme. Avec lui vinrent ses chevaliers, « La Vérité par l’Épée », et dans leur sillage, l’ombre du progrès, le feu de la conquête, l'atroce marche des mondes modernes sur la sagesse ancienne.

Le 13 septembre, à l’aube pâle d’un matin funeste, la tribu fut massacrée. Mullonga, guidé par son père et Azhmalyon, fut emmené loin du carnage vers un lieu sacré, une grotte souterraine, baignée d’une lumière bleue et froide comme les souvenirs des disparus. Là, face aux eaux argentées, Barediak murmura :

« Mon fils, voici l’heure redoutée. L’heure où l’âme se brise ou se sublime. Accueille ce sombre voyageur qui dort en toi, deviens ce que tu dois devenir ! »

Azhmalyon ajouta, grave et serein :

« Choisis, Mullonga : le sacrifice qui renforcera les esprits, ou la lutte éternelle et solitaire, gardienne du rêve. »

Mais Mullonga, dont l’âme était déjà brisée mille fois par la solitude et l’attente, répondit avec une détermination farouche :

« Je suis le sombre voyageur. J’embrasse mon destin. Je deviendrai Mandragorash, dieu d’un nouveau monde, souverain d’une lune féconde née de mes rêves. Je combattrai jusqu’à la fin des temps. »

Une puissance terrifiante se déversa en lui. Mullonga se releva, non plus homme mais dieu, non plus chaman mais seigneur suprême de l’Umbra, incarnation vivante de ce destin dont le poids immense, désormais, lui appartenait pleinement. Mullonga était mort, Mandragorash était né.

Mandragorash et le Trio Funeste

Sous ce nom nouveau, Mandragorash marcha longtemps sur la terre, rassemblant à ses côtés deux compagnons terrifiants :

1. Toxinessence, esprit magnifique de beauté corrompue, issue des étoffes du célestin Argoboldh, maîtresse redoutable des arts occultes.
2. Abroglyar, âme tourmentée née du Ver, tortionnaire cruel, génie sombre des douleurs infinies.

Le trio funeste sema terreur et fascination dans toute l’Europe du XIXe siècle. À Paris, en 1914, ils vendaient leurs services horribles au plus offrant, scandant avec arrogance :

« Nous tuons même les dieux, pourvu qu’on en paie le prix ! »

Chaque meurtre était rituel, chaque mort une offrande macabre à la grandeur sombre du dieu nouveau, Mandragorash, dont le nom faisait trembler les initiés et pâlir les esprits célestes.

La Vision de la Fin

Mais la nuit du 1er septembre 1914, Mandragorash reçut en rêve la vision prophétique d’une humanité déchirée par la guerre, broyée par l’acier des machines et l’orgueil aveugle des hommes. Hanté par cette apocalypse à venir, il confia à ses deux acolytes :

« Mes amis, voici que le monde va sombrer. Mais une mission m’attend encore, au-delà des siècles. »

Le trio disparut soudainement de la surface du monde, retiré au cœur même de la Lune Féconde, royaume spirituel que Mandragorash façonna à partir de ses propres rêves.

Le Retour à Lutèce

Bien des décennies plus tard, en 1990, sous une identité voilée et étrange, Mandragorash revint à Paris sous les traits énigmatiques du « professeur Mandragore ». Ses actions, discrètes et subtiles, visaient désormais à contrecarrer les excès dangereux d’une technocratie aveugle qui menaçait le subtil équilibre cosmique.

Le dieu devenu homme un instant marchait ainsi parmi les humains, portant en lui l’éternelle douleur d’une solitude choisie, héritier silencieux d’une mémoire immense, veillant sur l’équilibre précaire du Tjukurrpa.

Mandragorash, Seigneur du Destin

Aujourd’hui encore, quelque part au-delà des frontières humaines, Mullonga-Mandragorash veille depuis la Lune Féconde. Son regard perce les âmes, son jugement reste sans appel. Autour de lui gravitent toujours Toxinessence et Abroglyar, compagnons fidèles d’une tragédie éternelle.

Et si d’aventure un initié ose lever les yeux vers la nuit étoilée, il entend parfois dans le murmure du vent ce nom ancien, devenu légende et crainte sacrée :

Mandragorash, dieu des songes noirs, gardien éternel du rêve primal, porteur immortel de la Lune Féconde.