Chapitre 3: Michel
Su Panodyssey puoi leggere fino a 30 pubblicazioni al mese senza effettuare il login. Divertiti 28 articles da scoprire questo mese.
Per avere accesso illimitato ai contenuti, accedi o crea un account cliccando qui sotto: è gratis!
Accedi
Chapitre 3: Michel
— Pourquoi l'as-tu laissée partir?
— Elle n’avait rien de plus à nous raconter.
François est encore sidéré. Il ne comprend toujours pas comment cette belle stupeur, cette joie frénétique, ce bonheur évident d'avoir retrouvé une amie disparue se sont si vite transformés en dégout véritable. Par surconsommation, ingestion fanatique d'émotions périmées? L'image d'un vieux bourgeois, un Falstaff perverti sans humour et sans charme, adipeux, malodorant, qui se gave comme un chancre le bide posé à plat sur une table de banquet, la bouche grande ouverte, les mains agitées en mille allers-retours entre des plats trop riches et une gueule béante, explose dans sa tête, lui donne la nausée. Chaque goutte de sueur qui perle de son front, de sa nuque, de toutes les parties de son corps exhale le saindoux. Il a besoin de se calmer. Il a besoin de renifler. Il a besoin de vomir.
— Comment peux-tu rester aussi...distante Annie. C'est...Claudine putain!
Il achève sa phrase en hurlant malgré lui. Annie réagit, fronce les sourcils, le mate d'un simple regard.
— Je la croyais morte, finit-il par marmonner après quelques instants de silence, presque de recueillement.
— Elle n’est pas vivante. Elle n'est que la moitié de ce qu'elle était avant. Ce n'est qu'un sac à vinasse. Laissons-la tranquille. Laissons-nous tranquille. Oublions-la.
Et ne retenant plus ni tremblements ni larmes, incapable d'endurer le regard de sa sœur, son désengagement émotionnel, son autorité ainsi que son emprise, tout son jeu de contrôle, il bondit de sa chaise, quitte la pièce en courant, le rouge aux joues, aux yeux, aux mains, trempé de larmes et de sueur. Un étang lacrymal, chaud et trouble, dans lequel il se noie.
— Comme elle nous a oubliés, chevrote Annie maintenant seule, immergée à son tour dans la même eau bileuse.
*****
Après un très long moment, François revient, calmé, un dossier à la main.
— La scientifique est revenue. Voici leur rapport préliminaire
— Résume.
«Rien de spécial. Trois cadavres, trois flingues. Un nombre de douilles qui colle avec le nombre de coups de feu entendus. Des empruntes sur un tesson de bouteille, sur la cuve du brasero, sur un bout de rampe d'escalier et sur les flingues qui appartiennent tous aux cadavres ou à Claudine, sauf sur les flingues bien entendu. Des traces de poudre et des angles de tir cohérents avec la scène de crime également. Un duel à trois. C'est pourtant particulièrement con les duels à trois. Et pas seulement textuellement. Quant au pourquoi, les seuls à le savoir sont maintenant dans le frigo. Ils se confieront peut-être au légiste. Mais pour nous, fin de l'histoire.»
Annie écoute sans écouter. En réalité, elle ne s'intéresse guère aux rapports des experts et des scientifiques, qu’ils soient préliminaires ou définitifs. Ce ne sont que des escrocs qui ne cherchent à bâtir leurs fragiles conclusions que sur le terrain mou des biais de confirmation. Architectures verbeuses sur terrain de coton et matériau de paille.
— Assieds-toi s'il te plait, dit-elle tendrement à François.
Quelle musique merveilleuse se dit-il.
Si seulement il pouvait l'entendre plus souvent. Si seulement il pouvait l'entendre sans avoir à concéder la moindre contrepartie. Mais il sait parfaitement ce qu'elle attend de lui. Il se déplace au fond de la grande pièce, à l'angle de deux murs, se pose à même le sol. Puis il repli ses jambes, croise les bras, bascule doucement sur sa droite pour se caler au mieux. Annie s'approche de lui et s'assied à son tour à la gauche de François qui se retrouve coincé entre un mur de placo sale, griffé, râpeux et un mur de chair, de soie, de velours.
Il se dit simplement que le plus doux des deux n'est pas celui que l’on croit.
Il anticipe la suite de ce pseudo-moment d’intimité familiale: d'une voix blanche et douce comme un peu de lait frais, parfaitement modulée pour pénétrer son souffle, sa spiritualité, elle s'en va réciter une comptine familiale, qu'il entend sans l'entendre, qu'il ne connait même pas. Ces quelques vers écrits par sa mère autrefois sont la clé du verrou qui bloque sa mémoire. Il décrira alors, dans un état de transe, de quiétude voire d'extase tout ce qu'il a vécu, vu senti, touché par ses mains par son corps, tous les pores de sa peau ouverts à tous les flux, absorption sans effort et sans y penser du monde qui l'entoure. Et Il décrira tout. Tous les temps, les espaces qu'il aura arpentés. Une presque vie entière resituée sur commande, où quelques trous subsistent avant ses dix ou douze ans. Un plan au 1/10eme méthodiquement croqué, un récolement suprême, parfaitement annoté. Mais un plan mis sous coffre, inaccessible à lui aussi bien qu'à tout autre qui n'en possède pas la clé.
Difficile de savoir, quand, pourquoi, comment sa mère a décidé d'installer cette serrure, l'empêchant par ce choix d'exploiter pleinement sous son propre contrôle cette grandiose aptitude. Difficile de comprendre pourquoi une fois les sceaux posés sur son propre cerveau, ils n'ont pendant longtemps jamais été brisés. Difficile enfin d'accepter que sa mère fasse don à Annie du moyen de l'ouvrir, de le dépaqueter, de farfouiller sa tête avec cette comptine et fasse don également des techniques utiles pour naviguer en lui dans cette parfaite archive pour lancer la lecture du bon enregistrement. Le don de sa mère à Annie, c'est le don du cours de sa propre vie. Qu'a -t-elle fait pour mériter un tel cadeau? Qu'a-t-il fait pour mériter une telle confiscation?
— Laisse-toi aller, libère-toi de tout ce qui te pèse et obscurcit ton esprit, je ne suis là que pour toi, tu le sais, dit Annie.
Et elle entame les quatrains attendus:
De la marmite d'abîme tout souffle s'évapore,
Quand le flan brule d'ennui, caramel d'horizon,
Et la poêle de l'esprit où le chaos fricasse,
Me papillote l’âme qui s'émiette en silence.
Sous le fouet de la nuit lorsque la crème monte,
Un soufflé d'existence nous retombe en écho,
Dans une sauce d'absence, les saveurs s'entremêlent,
Et la bisque des songes s'épaissir dans l'ombre.
La plancha du destin, là où les rêves grillent,
Et le confit des peines s'étaler en murmures,
Une soupe à l'inconnu, mijotée d'illusions,
Un crouton d'existence qui se délite enfin.
La casserole de l'idiot révèle ses secrets,
La mousse de l'absurde se diffuse au levant,
Et sur une planche salle, se tranche le néant,
Puis s'émince le salut d'un destin inutile.
Maman devait probablement avoir faim quand elle a pondu cela se dit Annie.
Et François se mit à parler, parler, parler, parler. D’une richesse lexicale inouïe, d'une simplicité rebelle son récit livre tous les secrets d'un moment théoriquement perdu et oublié. Annie relève sans peine les erreurs et contrevérités des deux comptes-rendus précédents.
La scientifique se goure.
Et Claudine s'est foutu de leur gueule.
*****
Claudine s'éloigne à grands pas du commissariat, une marche vive et volontaire mais un peu anarchique. Elle tient bien l’alcool. Elle en éprouve une certaine fierté. Elle trouve aussitôt ce propos totalement stupide. Elle se promet que plus jamais elle ne touchera à la moindre bouteille. Et elle trouve aussitôt cette seconde pensée tout aussi stupide que la première. Elle en conclu qu’elle ne tient pas l’alcool si bien que cela. Cette dernière idée lui procure enfin de l’apaisement.
Elle doit vite s’éloigner d’Annie et de François. François a l'air si niais. Il est toujours le même. Ce sont ses émotions que Claudine craint, ses émotions confuses, mal assumées, qui vont le persuader de lui courir après.
Annie a, au contraire, profondément changé. Ou pas. Finalement pas tant que cela. Elle est juste devenue ce qu'elle devait devenir: au fond d’elle papillon à l’aube de ses dix ans, aujourd’hui chenille, métamorphose inversée. Belle, intelligente oui, mais froide, sans pitié. Elle comprendra vite que Claudine a menti. Et la poursuivra, comme d’autres avant elle. Et sans le moindre doute la mettra en danger. Elle doit maintenant se trouver un autre trou, un autre terrier, un autre n’importe quoi d’autre pourvu que ce soit assez sale et repoussant pour éloigner le curieux, le quidam, le flic ou le curé qui se mettrait en tête qu’une âme égarée est venue s’y fourrer. Bien que cela ne manque pas ici, c’est trop près de François et Annie. Elle doit prendre ses distances. Elle perdra des repères, des habitudes, des rites. Mais ce n’est rien comparé à la vie. Et une banalité, un lieu commun de plus, se dit-elle en souriant. Son sourire se fige. Elle perdra un ami aussi.
Il ne faut pas se tromper. Claudine n’est pas sentimentale. Du moins assez peu. Un ami n’est qu’une ressource utile. Et une ressource utile, d’une fidélité sans faille, à l’affection mesurée et sous contrôle, c’est si rare, surtout pour une personne dans sa situation. Elle se doit, par principe, d’en user jusqu’au bout. De toutes façons elle n’a pas le choix. Il lui faut de l'argent pour un bus ou un train. Un seul ami, une seule solution.
Elle se dirige vers les toilettes publiques qu’elle a souvent fréquentées. Elle doit être prudente, ne pas se faire repérer: c’est proche de son refuge, c’est peut-être surveillé. Plus vite, beaucoup plus vite. La nuit commence à tomber, elle doit se dépêcher. Elle accélère le pas, commence à s'essouffler. Elle est enfin arrivée. Merde trop tard, c'est fermé. Elle projette son regard à droite, à gauche, auprès, au loin et fini par repérer son fidèle compagnon qui marche vers l'entrée d’une bouche de métro. Elle se remet en route, s'avance d'un pas rapide, s'essouffle un peu plus. Elle ne le rattrape pas. Elle va bientôt le perdre et avec lui l'espoir d'une cavale aisée. Elle veut l'interpeller, hurler afin de le stopper et s'aperçoit soudain qu’elle ignore son nom. La fatigue, l'angoisse, l'essoufflement, tout cela contribue assez curieusement à réduire son ivresse et remettre en fonction une partie suffisante de sa substance grise.
Tout se passe très vite. Elle s'approche d’une poubelle, puise dans ses dernières forces, la pousse avec rage au milieu de la chaussée où roulent sans précaution des dizaines de voitures, de vélos, de camions. Inévitablement, un véhicule, un autre, dix autres encore se percutent violemment en cherchant à éviter l'obstacle inattendu ou en freinant brutalement. Le bruit est magnifique aux oreilles de Claudine. Et il est suffisant pour immobiliser son ami, le forcer à se retourner. Elle réussit à capter son attention par un enchainement de gestes idiots et d'attitudes folles. Il s'avance vers elle sans la moindre hésitation, inquiet de la voir à proximité de cet effroyable spectacle. Elle remercie dieu d’une telle fidélité. Face à cette pensée, sa cervelle à nouveau se rebelle et digresse: tu ne crois pas en dieu, arrête tes conneries. Il arrive à sa hauteur. Il hurle pour couvrir le vacarme:
— Que faites-vous ici? J'ai eu si peur après ce qu'il s'est passé. Il y a eu des morts n’est-ce pas? Et vous, vous allez bien?
Elle ne répond pas. Il enchaine sans attendre.
— Eloignons-nous, c'est le chaos. L’odeur d’essence est enivrante, c’est peut-être dangereux.
Ils s'éloignent tous les deux, dans une rue attenante, calme et peu fréquentée. Claudine s'apprête à tout lui expliquer. Ou plutôt lui donner toute une explication pour porter sa demande, justifier son besoin: cinq cents billets pour tracer son chemin. Elle commence à parler quand un monstre sur roues déboule à leur hauteur: une camionnette noire d'où sort le bellâtre, une grosse arme à la main, une arme assez bizarre. Il se dirige vers eux, pointe son jouet phallique dans leur direction tout en faisant glisser la porte coulissante située sur le côté. Il fait monter Claudine, contrainte d'obtempérer. Une fois à l'intérieur, les fesses à peine entrées, il tire une fléchette parfaitement située. Claudine s'effondre aussitôt. S'apprêtant à fermer la porte, il est devancé par l'ami de Claudine qui se précipite sans hésiter à l’intérieur du véhicule. Il réfléchit un instant, recharge son pistolet à fléchettes puis tire avec nonchalance dans le cul de ce gars qu'il ne connait pas. Il se dit à voix haute:
— Il est notablement crétin ce type. Soit, je réglerai cela ultérieurement.
Il reprend le volant, s'éloigne sans encombre et sans difficulté de ce drôle de quartier où les hommes s’effondrent, les escaliers s'écroulent et les voitures s'encastrent avec célérité.
*****
Après quatre heures de route entrecoupées d'une simple pause technique au cœur d'une foret sombre, il arrive en pleine nuit dans son repère: une cabane isolée, sans électricité, sans réseau, sans confort, de l'eau au fond d'un puits. Le milieu de nulle part, le centre du monde entier, c’est bel et bien ici. Il décharge lentement sa cargaison humaine. Il sait qu'il a encore au moins deux heures à tuer avant que le tranquillisant ne fasse plus effet. Un par un descendus, un par un attachés à une chaise trop dure faite de bois et d'osier. La vielle s'agite la première. Très tôt en vérité. Ce doit être l'alcool qui loin de se cumuler au produit narcotique contenu dans la seringue en a probablement limité les effets. C'est en tout cas ce que se dit l’apollon, l’adonis, le bel homme, le top model tueur face à Claudine, maintenant complètement éveillée.
— Soumets-moi de brillants arguments. Je m’autoriserai, peut-être, à ne pas te flinguer. Tu connais mon visage et tu sais ce dont je suis capable.
— Quelle approche merdique. Si t'en avais eu envie, tu m’aurais déjà troué la peau. Arrête ton cinéma, jouons carte sur table. Tu m’as reconnue comme je t'ai reconnu.
Il sourit, soulagé.
— Merveilleux! Bonjour Claudine, dit-il enthousiaste.
— Salut Michel, ravie de te revoir. Que deviens-tu depuis ce temps? dit Claudine d’un air détaché.
— Je cultive des lentilles dans une petite commune rurale du haut Quercy, dit Michel sérieux, préoccupé.
— Des lentilles...Le Quercy.... Je ne suis pas étonnée. Tu as toujours eu le chic pour te fourrer dans de sales histoires, lui répond Claudine adoptant le même ton, la même gravité.
Michel ne relève pas et retrouve le sourire. Un sourire complexe, mélange d’inquiétude, d’impatience, d’excitation que Claudine attribue au plaisir des retrouvailles.
— Et toi comment vas-tu? Et où est Dagobert?
— Tu es aussi tarte que ton frère, dit Claudine calmement. Par quel foutu miracle veux-tu qu’un chien vive si vieux que ça?
— Je n'en sais rien. Cependant, je sais une chose: nous avons eu douze ans pendant quarante ans, vécu quarante étés à résoudre des énigmes, vivre comme des enfants, se rêver en adultes. Alors un clébard trop vieux qui devrait être claqué, nous ne sommes plus à cela près!
A ces mots il sourit. Il s'approche d'elle avec douceur pour la détacher. Et d'un baiser pudique sur le front, l'embrasser.