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Recueil Rougeur

Recueil Rougeur

Pubblicato 11 ago 2020 Aggiornato 17 ago 2020 Cultura
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Recueil Rougeur

ROUGEUR.

Recueil de récits

Suite de récits  sur la poétique de l'érotisme.

A Aubervilliers, mars  1996. Révision 2020.

1er récit ROUGE-BAISER

1ere séquence ici

Dédié à Benjamin Mimouni pour la chanson de Louise Féron qu'il a si bien traitée dans son article (ses creative rooms sont ici et ici : n’hésitez pas à butiner parmi ses bizarreries vous y ferez de drôles de découvertes sur la musique (Pop)ulaire).

 

 

"Et surtout se rappeler que faire des poèmes,

c'est comme  faire l'amour : on ne  saura jamais si sa joie est partagée."

Cesare PAVESE. LE METIER DE VIVRE.

 

 

 

 

 

INTERLUDE.

La phobie

des murs

t'a déjà pénétrée.

Tu es poignardé

de haut en bas

tu entends ses pas.

Ceux faiblissants

et les autres lassants

qui ne se lassent pas

d'ancrer leur sonorité

vague dans tes tympans.

Tu te vois défiant

le moment crucial

où le pal

de son corps s'enfoncera

infailliblement

dans tes chairs

à peine reconnues

oscillant

de bas en haut

insensiblement

creusant

à chaque mouvement

plus profondément

un chemin

vers ton âme.

Sa propre fin.

 

 

ROUGE-BAISER

" Elle regardait ailleurs, au-delà de l'agitation des hommes, vers ces contrées radieuses, réservées aux amants, où le mot n'existe pas."

Philippe S. HADENGUE.

PETITE CHRONIQUE DES GENS DE LA NUIT DANS UN PORT D'ATLANTIQUE NORD.

GENERIQUE.

 

Comme une trace irrévocable, le rouge-baiser laissait un dessin humide qui embrasait ses joues et leur donnait une teinte plus franche, moins indécise que d'habitude. C'était une habitude dont il n'avait su se déprendre, conserver les traces de chacune de ses  nuits : ses rêves... ses femmes...

 

Derrière lui, son rouge-baiser lui servant de voile, parure dissimulatrice qui lui permettait d'être prise pour ce qu'elle n'était pas, une femme avalait goulûment chaque instant, chaque voix qui passait. Pour elle, cet homme qui s'éloignait n'était qu'un de ces fantômes, propres à nourrir les vagues territoires de son existence. Un ectoplasme sans nom pour remplir sa collection d’oripeaux.

 

La porte s'était refermée. Alors qu'il dévalait les escaliers en titubant, elle avait lâché la poignée. Elle avait regardé la silhouette tremblante tourner sans fin autour des spirales. Puis, lorsqu'elle n'aperçut plus que sa tête, qui oscillait, fil si mince de la réalité, elle s'en retourna à son monde caverneux, tiède et moite, où le reste de la journée elle errait sans trouver nulle paroi à caresser ou à palper, ne serait-ce que pour affirmer sa propre réalité.

 

Elle désirait déjà rejoindre sa caverne, cette chambre, lieu d'errance privilégié et jalousement préservé hors de la portée du moindre regard. Mais, comment expliquer cela, elle ne se dissimula point dans ce ventre tiède, où, habituellement, se déshabillant - pour être nue absolument -, elle se couchait ; au contraire, elle demeura sur le seuil, humant l'odeur de l'homme qui, dans ses tréfonds, l'imprégnait. Et, sans se changer, sans même prendre le temps d'observer sa face dans le miroir, elle laissa la marque inexpugnable de son rouge-baiser, trace ineffaçable sur ses lèvres, et sortit.

 

Elle avait déjà rejoint la rue et laissait son regard s’égayer de part et d’autres. La lumière drue du jour la surprit. Elle n’appréciait guère cette clarté foudroyante qui la révélait aux regards de tous. Alors que la nuit, elle pouvait se faufiler parmi la masse sombre sans qu'on la remarque, le jour, lui, paraissait traquer son image. Elle devenait réelle. Un être de chair comme les autres pris par la pesanteur. Tout en marchant, elle se dévisageait face à ces fenêtres encore lisses qui paraissaient, en échange, lui renvoyer un sourire. Et elle se laissait envoûter peu à peu par cette atmosphère légèrement humide. Derrière, on s'affairait, on se préparait : les mêmes actes quotidiens, même rituel, mêmes personnes ; réitération de chaque mouvement, jusqu'au moindre cillement, le moindre sourire ; invariablement, les corps s'apprêtaient pour leur entrée dans le monde, et les témoins de la nuit disparaissaient.

 

Ici et là, les rideaux s'ouvraient, des mains comptaient, sortaient une clef de la serrure ou glissaient un instant sur le dos lisse d'un corps, d’autres emmêlaient une mèche et dessinaient sur une paupière une trace pâteuse et noire... d’autres encore, en s’appliquant, ornaient leur lèvre de rouge carmin.

 

Son rouge-baiser si lumineux accroché à ses lèvres, elle continuait à déambuler le long des rues et des trottoirs qui s’animaient. Autour d’elle de-ci, de-là, des têtes se soulevaient, peignées et rasées de près. Des lèvres écrivaient sur la peau des traces fluettes et muettes. Des doigts nus enlaçaient une jambe, un bras, se resserraient autour d’une lame, autour du pommeau, humide et froid, d’une douche. Là-bas, des corps avançaient, d’autres fumaient, couraient et riaient, buvant leur café, leur thé ou leur chocolat. Certains embrassaient à pleine bouche la lèvre ci-devant qui s’offrait à leur regard embrumé, douloureusement fatigué.

De l’autre côté, des ombres se muaient, altérées par la lumière qui pénétrait sous les interstices et qui parcourait les draps livides où s’enlaçaient quelques corps toujours endormis. Une multitude de sons matinaux s’engouffrait au creux des tympans, heurtant le silence d’alors et les rais lumineux rampaient, effaçant les traces de la nuit. Puis des cercles de lumière implacables achevèrent de se déposer, tant sur le ciel que dans les rues. Recouvrant par place l’étendue plane d’un bleu pur et blessant, le soleil réfléchissait violemment ses éclats d’acier sur les vitrines nues.

 

Brusquement, la femme s’arrêta. Une tension nerveuse étirait ses lèvres rouges, si luisantes. Elle était médusée et contemplait fixement ce qui se présentait face à elle. Il y avait là des arbres dont les branches frémissantes s’élevaient et s’étalaient. Sur les feuilles et le long de leur nervure, une teinte ocre s’inscrivait et plaquait les lames franches de leurs couleurs.

Un instant, elle crut voir sur l’une d’entre elles, comme en un miroir, l’image de ses propres lèvres irradiées de rouge baiser. Passé ce moment de stupeur, elle siffla tout en chantonnant le refrain d’une chanson.

 

" Tomber sous le charme comme sous la mitraille/ irradié se rendre, à nouveau tout comprendre/ découvrir, surprise, de l'eau sur mes cils/ s'avouer fragile, en être émerveillée.” [1]

Sa voix enflait, continûment, et modulait les notes avec gourmandise. De sa bouche goulue, les vocables s'évasaient et se creusaient, effleurant les lèvres peintes. Une seconde, elle demeura ainsi, figée, puis elle s'assit. Et, comme prise par on ne sait quelle folie, elle releva prestement les pans de sa robe et croisa fébrilement ses jambes nues. Une main sous le menton, elle était en attente, si sauvage...

 

[1] Louise FERON "Tomber sous le charme."

Et à suivre... 1ère séquence à venir

 

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