Chapitre 11

Timéo, 13 septembre

      J’ai passé une bonne partie de la journée avec mon frère et ma sœur, mais je n’ai pas envie de les quitter. Je suis curieux de savoir comment se passe le retour à la maison après deux semaines d’école. Je me demande si Mamie vient toujours prêter main-forte à Maman, si Jérémy pleure moins et si les jumeaux sont plus calmes. En arrivant, je suis tout de suite happé par la quiétude qui règne dans les lieux. Mamie est là, dans la cuisine. Elle a préparé des crêpes qu’elle garnit de confiture, de sucre ou de pâte à tartiner selon les désirs de chacun. Jérémy et Célia s’empiffrent.

• A ce rythme-là, vous ne mangerez pas ce soir !
• Elles sont tellement bonnes tes crêpes, Mamie, répond Célia la bouche pleine. Hein, Jérémy ?

Le garçonnet répond par un hochement de tête. Sa bouche qui sourit et ses yeux qui pétillent parlent pour lui. Aucun doute qu’il apprécie ce goûter. Dans le séjour, Maman parle avec Frédéric et Alice tout en pliant du linge. Ils sont chacun dans un transat et se font face. Tout ce petit monde a l’air bien détendu. Les deux petits répondent à la voix de Maman en s’adressant des gazouillis. On dirait qu’ils se font la conversation. Je remarque qu’aujourd’hui encore, Maman a assorti leurs vêtements : mon frère porte une salopette jaune poussin avec un pull-over orange ; ma sœur, une robe et des collants dans les mêmes coloris. Tout à coup, j’entends Maman chantonner. Deux fusées déboulent de la pièce d’à-côté. Célia la première qui l’accompagne de sa voix, tandis que Jérémy vient se coller contre ses jambes. Ma soeur s’accroupit devant Frédéric en dodelinant de la tête. Tout excité, mon petit frère agite les mains et les pieds en tentant d’attraper les cheveux de Célia qui se balancent devant ses yeux. Jérémy imite Célia devant Alice. Cette petite séance se transforme rapidement en chatouilles et en bisous dans le cou ou sur le ventre des bébés. Tout ce petit monde rit aux éclats, même moi. Il n’y a que Mamie qui garde son sérieux. Elle a filmé toute la scène avec son téléphone portable.

• On va devoir faire les devoirs, les p’tits loups ? dit Maman pour ramener le calme.

Aussitôt, Célia s’éclipse dans sa chambre tandis que Jérémy, lui, se fait prier. Maman le prend dans ses bras et il se love dans son cou.

• Je t’aime, Maman.
• Oh, mais moi aussi mon p’tit gâté ! Tu le sais, hein ?

Jérémy acquiesce.

• Allez, assez perdu de temps, dit Maman en mettant fin à ce moment de douceur. Tes devoirs, maintenant !

Jérémy n’est pas très emballé par cette idée. Je comprends vite pourquoi. Quand Maman ouvre le journal de classe et qu’elle découvre le mot de la maîtresse, elle n’a pas l’air ravie.

• Qu’est-ce qui se passe Jérémy ? Des lions orange tous les jours et un rouge aujourd’hui !

Mon frère baisse la tête et fixe le sol. Maman le force à la regarder en poussant légèrement son menton vers le haut, mais Jérémy fuit son regard en le posant sur la tapisserie.

• Je ne te reconnais pas. Tu peux m’expliquer pourquoi tu as fait tomber Pierre ?
• C’est lui qui a commencé. Il m’a insulté.
• Ah oui ? et que t’a-t-il dit ?

Jérémy se tait. Il serre les poings et je remarque que ses yeux sont tout brillants. Maman s’accroupit pour se mettre à sa hauteur puis l’attire à elle et le serre bien fort contre sa poitrine.

• Tu ne veux pas me le dire ?

Pour toute réponse, elle perçoit des petits soubresauts contre son épaule et un reniflement se fait entendre. Elle soulève mon frère du sol et l’emporte vers la cuisine pour récupérer un mouchoir qu’elle lui tend.

• Sèche tes larmes, mon grand.
• Tu sais, Maman, moi je n’aurai jamais de lion vert.
• Ah bon ? et pourquoi donc ?
• Je le sais, c’est tout ! C’est impossible !

Je suis triste pour mon frère. Maman change de sujet pour ne pas le faire souffrir inutilement.

• J’ai vu que tu as un exposé à faire. De quoi as-tu envie de parler ?

Une étincelle s’allume dans ses yeux et un sourire illumine son visage.

• Du système solaire, bien sûr !
• Evidemment, j’aurais pu deviner, répond Maman.

Papa vient de rentrer. Jérémy quitte ses devoirs pour se jeter dans ses bras.

• Papa ! crie-t-il.
• Jérémy ! lui répond-il de manière enjouée. Célia réapparaît elle aussi dans la cuisine.
• On doit faire un exposé pour la semaine prochaine et j’aimerais bien parler de musique. Je pourrais apporter mon piano à l’école ?
• Bien sûr, répond Papa. Il est facilement transportable. C’est une excellente idée, Célia, ajoute-t-il en lui embrassant les cheveux.
• Aujourd’hui, Jérémy a dit à Valentine qui devient aveugle qu’elle avait des yeux bizarres avec ses lunettes à verres épais et il n’a pas voulu s’excuser.
• Comment ça, Jérémy ? demande Papa.

Mon frère baisse la tête bougon et fixe ses chaussures.

• Jérémy, il y a quelques minutes, tu m’as dit que tu t’étais fait insulter et là, j’apprends que toi aussi, tu fais du mal ! Je ne suis pas très fière de toi, ajoute Maman.
• Il faudra que tu trouves un moyen de te racheter auprès de cette camarade de classe. Tu m’as compris, Jérémy ? répond Papa en haussant la voix.

Jérémy hoche la tête sans relever les yeux.

• Allez, maintenant, tes devoirs ! ordonne Maman.

Sur ce, je quitte ma famille pour retrouver mes amis du ciel.

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