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Chapitre 1 - La nuit des temps... au bord d'une forêt pronfonde

Chapitre 1 - La nuit des temps... au bord d'une forêt pronfonde

Pubblicato 20 gen 2022 Aggiornato 3 gen 2023 Cultura
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Chapitre 1 - La nuit des temps... au bord d'une forêt pronfonde

Je cours !

Du moins j’aimerais courir, courir à perdre haleine. Mais mes pas sont lents, difficiles et l’air ne semble plus rentrer dans mes poumons... Je ne sens pas l’air s’engouffrer en moi, je ne m’entends pas respirer. Je n’entends pas non plus le vent qui fait valser les hautes herbes où je me fraie un chemin. Je ne sens pas mes jambes, mes bras…    

Je ne ressens plus rien.

Je n’entends plus rien.

Je progresse mais j’ai cette horrible impression d’être dans un film où la scène d'horreur est montrée au ralenti. La lune, ce soir, est ma seule aide pour me diriger, ma seule aide pour avancer dans la nuit et ce monde vide que le silence crée autour de moi.

Le silence ?

Non. Pas tout à fait. J’entends quelque chose. Cela résonne dans mon être tout entier, bat au rythme beaucoup trop lent de mes pas...

Les battements de mon cœur.

Le son tape fort à mes oreilles et je ne pourrais pas me sentir plus hors du monde et du temps qu’à cet instant. Face à ma fatigue grandissante et ma progression infime, l’angoisse m’envahit. Mon corps est si engourdi, presque invité au sommeil mais les émotions en moi bouillonnent et sont loin de me laisser dormir.

Je dois avancer plus vite ! Il le faut. Car ils sont derrière moi !

« Ils »…

Penser à eux me fait tressaillir.

« Ils » sont trois, je le sais. Ils m’ont déjà poursuivie la nuit dernière.

Je distingue plus nettement l’orée de la forêt. Les arbres en face sont immenses et s’étalent sur des kilomètres. Entourés d’une brume épaisse et sous la lumière blafarde de la lune, ils projettent des ombres menaçantes… terrifiantes. Je réprime un frisson et me fais violence pour continuer à aller de l’avant. Bien que ces créatures étranges et haineuses me poursuivent pour une raison que j’ignore encore, mon instinct me dit d’atteindre cette obscure végétation pour leur réchapper. Alors j’avance. J’avance ! Je ne me retourne pas. Je rassemble toute mon énergie pour lutter contre cet effroyable effet de temps distordu.

Je ne suis PAS dans un film. Ni dans un cauchemar où je suis la seule à ne pas pouvoir courir. Tout ça se passe dans ma tête. Je dois me BOUGER !

Soudain… le déclic. Je sens.

J’ai reçu un impact sur l’une de mes chevilles. Une sorte de petite roue dentée métallique y a été propulsée. Ma chair est entaillée sur plusieurs centimètres ! La douleur afflue mais cela a le mérite de me sortir de ma torpeur. Une énorme quantité d’air s’engouffre dans mes poumons provoquant le réveil immédiat de tous mes membres et organes. Je me mets enfin à entendre le souffle du vent… tout comme les cris avides et inhumains de mes poursuivants. La tête me tourne, tout résonne.

Ce changement brusque de sensation, mêlé à la douleur de ma plaie, me fait vaciller. Je me retrouve dans l’herbe humide, le souffle coupé. Je me relève tant bien que mal et vois arriver vers moi à toute vitesse « l’un d’entre eux ». Ses yeux rouges sont glaçants et le son qui sort de sa gorge tout autant. Mon cœur rate un battement mais je ne reste pas paralysée. Je me remets à fuir et pour de bon cette fois ! L’adrénaline me donne des ailes et ce n’est pas pour me déplaire. Je traverse comme une furie la plaine où je me trouve, en essayant d’ignorer cette cheville blessée qui me lancine.

J’entends pourtant toujours la chose derrière moi. Je supplie intérieurement qu’elle ne me rattrape pas et je hurle « À l’aide ! », complètement désemparée. Mais je sais bien que personne ne vient jamais dans ces parages...

Je ne veux pas mourir maintenant. Je ne veux pas mourir ici, seule…

Après cette sombre pensée, j’entends la créature sauter. Sans avoir le temps de réagir, elle atterrit sur moi et nous roulons à terre, emportés par son élan. La chose pèse une tonne, m’écrase les côtes et ses ongles d’acier me lacèrent un bras dans le tumulte. Je m’exclame de peur et de souffrance. Les roulés boulés terminés, je réussis à me dégager prestement. Quand je me relève, tremblante, mon assaillant semble sonné et il ne m’en faut pas plus pour y voir ma chance. Je repars à toutes jambes vers la forêt qui est toute proche à présent.

Je suis si terrifiée ! Je hoquète en pleurant et des larmes brouillent ma vue. Mon corps agit encore mais je sais qu’il a pris cher lors du choc.

Je ne tiendrai plus longtemps…

Je chasse aussitôt cette pensée et me concentre sur mon objectif.

Encore quelques mètres. Allez !

Après avoir dévalé une légère pente, finalement, je réussis à atteindre les premiers arbres. L’herbe se fait plus rare sous la frondaison et j’y vois encore moins. Je sens de la mousse sous mes pas mais j’ai peur de trébucher sur des branches ou de m’empêtrer les pieds dans du lierre, tomber dans un trou... J’en suis là dans mes réflexions, courant toujours, quand une intuition me traverse. Tout en continuant de détaler, je jette un coup d’œil derrière moi puis je m’arrête. Oui… Plus rien. Pas même une ombre. Aucun bruit non plus.

Je semble seule.

Je reste pourtant en alerte, tournant sans arrêt sur moi-même, détaillant les fourrés épais alentour, prête à voir surgir une meute de ces monstres de métal.

Au bout de plusieurs minutes, complètement tendue, je me décide enfin à respirer calmement, profondément, la main appuyée contre l’écorce d’un arbre. Ce n’est qu’à cet instant que je me rends compte que quelque chose a disparu : ma douleur. Je regarde ma cheville et mon bras notamment. Plus la moindre égratignure ! Plus la moindre goutte de sang…

Sidérée par les évènements, perdue et légèrement nauséeuse, je relève la tête pour me recentrer sur la réalité.

Je suis dans une large clairière entourée de résineux gigantesques et touffus. Je me sens insignifiante ici avec mon pauvre un mètre cinquante… Sur le pourtour de l’espace déboisé, des menhirs s’élèvent en cercle, imposants et parsemés de quelques lierres. Leur présence en ce lieu et leur taille impressionnante ne suffisent pourtant pas à retenir mon entière attention. En effet, très vite, mes yeux sont attirés par autre chose… Une colonne en granite sculptée, de ma taille et recouverte de pierres translucides, trône au centre de la clairière. Je m’en approche et je reconnais du quartz à la surface. Je passe ma main dessus, fascinée… Dommage qu’il ne fasse pas jour pour que je puisse mieux admirer le tout. Je lève la tête : plusieurs nuages s’accrochent à la lune qui est aussi ronde qu’hier.

Je m’écarte de la colonne et m’assoie par terre contre un menhir, épuisée. Je sens que je suis incapable de rentrer chez moi pour le moment. Après cette fulgurante montée d’adrénaline, mon corps se relâche à présent.

Je décide d’en profiter pour mettre de l’ordre dans mes pensées.

Bon, je récapitule.

J’expire un grand coup, pas encore bien remise de mes émotions.

Hier, je pars en vélo de chez moi pour voir Aline.

Aline est ma seule et unique amie. On se connaît depuis l’école primaire et on se voit quasiment tous les jours en ce moment car ce sont les grandes vacances.

On profite toute la journée ensemble mais bon, un peu trop. Du coup je pars de chez elle à l’heure où j’avais dit à papa que je rentrerai. Et donc c’est là que j’ai l’exceptionnelle et brillante idée de prendre le raccourci…

Je me renfrogne. Ce raccourci, je n’avais encore jamais eu le courage de le prendre car il longe une forêt. La forêt. Celle que personne dans la région n’ose approcher, même de loin. Je ne connais même pas son vrai nom car tout le monde la surnomme le « Refuge du Diable ». On m’a raconté tant d’histoires étranges et glauques à son sujet… Et c’est pourtant là que je me trouve en ce moment ! Je frissonne rien que d’y repenser et jette un coup d’œil stressé autour de moi. Mais non. Rien. La clairière est plutôt calme exceptée quelques hiboux qui hululent.

Donc… Je pédale vers chez moi et je longe cette forêt, clairement pas rassurée. Puis je vois de la lumière qui jaillit de derrière des arbres. Alors, qu’est-ce que je fais ? Je rentre chez moi au plus vite ? Non, bien sûr. Je descends de mon vélo et je vais voir ce qui se passe… parce que je suis la pire des imbéciles !

Je suis certes de nature peureuse mais je suis aussi abominablement curieuse, il faut bien le reconnaître. Cela me perdra peut-être un jour... J’espère que ce ne sera pas pour aujourd’hui.

J’avance, je pénètre un chouille dans cette forêt donc et… bim ! Je tombe nez à nez sur les trois monstres qui ressemblent à des humains. Corps de métal, yeux rouges et vifs… De vrais Terminators quand j’y pense !

Je resserre mon sweat autour de moi en ayant à nouveau cette vision cauchemardesque. Je crois que je n’ai jamais rien vu de si effrayant de toute ma vie.

 J’hurle ensuite, normal. Et je décampe ! Les bestioles me poursuivent mais je remonte sur mon vélo dès que je peux. Et ô miracle, je les sème.

En vitesse de pédalage, à ce moment, j’ai dû très probablement battre un record du monde.

J’arrive enfin chez moi et en un seul morceau. Je vois pas comment raconter cette histoire à mon père et encore moins à ma mère sans être prise pour une folle. Donc je me fais engueuler pour mon retard, je dis rien, je prétexte que j’ai pas faim et hop, dodo illico.

Mes parents… Je grimace. Il faut que je rentre vite ce soir car ils vont s’inquiéter. Mais je n’ai vraiment pas la forme pour l’instant. Je baille. Je suis épuisée… Oui. Encore un peu de repos avant de repartir. Par contre interdiction de m’endormir ici !

Où j’en étais… ? Ah oui, ce matin. Je me réveille. Je repense à ces humanoïdes. J’essaie de me calmer et de me convaincre que c’était qu’une hallucination, un cauchemar.

Je n’y croyais pas mais il fallait bien me rassurer si je voulais parvenir à sortir de mon lit.

Je retourne chez Aline l’après-midi. Je fais comme si de rien n’était. Je me borne à rire et sourire dès que l’occasion s’y présente...  Bref. Je fais tout pour me détendre. Tout !

Je voulais oublier, effacer, RAYER cette balade nocturne en forêt avec ces yeux rouges angoissants. Sauf que bien sûr ce n’est pas le genre de choses qui s’oublie facilement.

Je repars de chez Aline ce soir mais pas détendue comme j’aurais aimé. Je finis par reprendre ce fichu raccourci parce que je suis complètement obnubilée et que je veux voir qu’il y a rien d’anormal dans ce refuge du Diable. Et tadam ! J’ai la preuve du contraire !

Avec le recul, je me sens si amère. Mais ce qui est fait n’est plus à changer. En tous cas, voilà. La boucle est bouclée…

Et me revoilà dans cette satanée forêt !

 

 

Je me réveillai en sursaut. J'étais toujours dans la clairière contre un de ces menhirs. La lune était encore là, voilée par de fins nuages. J’avais froid. Mes vêtements étaient humides. Depuis quand étais-je ici ? Je regardai ma montre : 2h16 ! Je frissonnai et pensai à mes parents. Il fallait absolument que je rentre. J’allais me lever mais un incroyable scintillement fut visible alors, identique à ceux qui m’avaient fait pénétrer dans le Refuge du Diable la nuit dernière. Tout mon corps frémit. Était-ce un signe du destin pour que je reste ? Allais-je enfin avoir une explication de tout ce que je vivais depuis la veille ?

Me raccrochant à cette idée, j’ouvris bien grand les yeux. Et en effet, une partie du mystère s’éclaira…

« Éclairer », c’était le bon mot. L’astre de la nuit, libéré à l’instant des nuages, projetait ses doux rayons sur la colonne sculptée devant moi. Le quartz à sa surface brillait maintenant intensément, tout en réfléchissant dans toutes les directions des rais de lumière aveuglants. Extraordinaire non ? Et pourtant, ce qui suivit l’était encore plus…

Les faisceaux lumineux semblaient en vie, mouvants, tournant, disparaissant… Soudain, l’un d’entre eux atteignit un menhir qui fut alors comme déchiré. Et de la fente, surgit… une spirale ! Petit à petit, aléatoirement au gré des jets de lumière, d’autres mégalithes « s’ouvrirent ». Les spirales formées libéraient devant moi des personnes et même des animaux aux allures étranges. Un asiatique vêtu d’un habit traditionnel ancien, un esquimau, un homme poilu déguisé avec une peau de bête, une sorte de crocodile qui ressemblait plus à un dinosaure, un chevalier en armure, un jeune homme à la mode napoléonienne et même… des robots à l’allure d’humains. Clones quasi parfaits des « créatures »…

J’observais ce phénomène effarant et une idée farfelue germa dans mon esprit. Tous ces individus semblaient venir d’époques diverses.

Ces spirales seraient-elles des portes temporelles ?

Cette perspective me noua l’estomac… De stress ? D’excitation ? Peut-être les deux. Devais-je m’enfuir au plus vite ? M’approcher de ces apparitions pour vérifier qu’elles étaient réelles ? Après tout, même ces humanoïdes terrifiants qui avaient surgi en début de soirée avaient fini par disparaitre tout comme mes blessures… Mais tout cela paraissait si réel ! Et pourtant impossible. La folie me guettait-elle ?

Accaparée par toutes ces réflexions, je n’aperçus pas le rayon de lumière qui se dirigeait de la colonne de quartz jusqu’à moi… Mais soudain je fus éblouie. Une pensée cruciale fit alors surface : j’étais actuellement assise contre un menhir ! Je voulus me relever, prise de frayeur, mais la pierre se fendait déjà en une spirale dans mon dos et je fus comme aspirée. Je voulus crier mais aucun son ne sortit de ma bouche. Je basculais dans un tunnel coloré et flou tandis qu’un poisson monstrueux était rejeté vers la clairière du Refuge du Diable. Je chutais vers l’inconnu encore et encore, tout en ayant l’impression de flotter. Face à moi, des milliers de couleurs défilaient beaucoup trop vite pour que je puisse y distinguer des formes reconnaissables. C’était cependant d’une beauté incontestable. Mille émotions me traversaient : l’émerveillement, la peur, la frénésie, la fatigue, la solitude, la frustration, la curiosité… Et puis bien sûr, le doute.

Était-ce un rêve ?

 

 

 

Texte : Estelle Lahoussine-Trévoux

Illustration : Zaza

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