Alezan Breton
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Alezan Breton
La camionnette démarre. Plus d'une heure de trajet, pied au plancher sur la voie expresse, avant de trouver une herbe verte translucide, un peu de jaune primevère. Nous voici à l'entrée du labyrinthe végétal, ancien champ de blé qui a mué sous le chant des coups de pelle d'un tracteur. Nous avançons. Je fais partie d'un groupe de personnes qui s'approche, doucement, de l'encart. Dessus, il est noté en lettres d'or : « N'entrez pas sans boussole, les énigmes vous aideront à trouver la sortie mais, en cas de perte de mémoire, attention au désespoir. Vous ne trouverez pas le verrou, et ici guère de clef ! » On rigole, mais cela ne va pas durer. Il s'agit d'une blague, sans doute. On entre sans plan, sans regret, le sourire aux lèvres, pas d'énervement. Il est midi, nous venons en sortie collective de l'hôpital de Bohars. Nous avons tous un peu perdu la tête, alors trouver le Nord, ne sera pas folichon, mais comme deux infirmiers nous dictent notre voie, c'est sans peur que nous allons au premier panneau, lire ces informations.
Moi, je suis un ancien marin amateur, plus habitué aux champs d'eau de mer, aux histoires de la ville d'Ys, et à l’hippocampe d'Océanopolis. Un peu inquiet, j'entre dans mes souvenirs en tentant de suivre le rythme de la tête du convoi de notre équipe de bras cassés. J'arrive à lire la première phrase de la journée, qui s'annonce radieuse sous ce soleil un peu froid. Surpris, je reste sans voix et le rire d'Arnaud s'élève, hurlant comme un lapin pris au collet. Il a un rire provenant d'outre-tombe – je m'y suis habitué, au bout d’un certain temps –, heureusement que nous ne sommes pas dans des catacombes ! Sur le premier panneau, il est marqué à l'encre de tes yeux, non, ce n'est pas vrai, nous rions car ils ont osé glisser la célèbre blague du cheval blanc d’Henri IV, en guise d’énigme. Je lévite, je m'exporte sur une contrée réelle, ce cours où je demandais du secours, à l'occasion d'une rare promenade à cheval. J'avais un gris, oui, une robe grise, et l'envie de rester au pas, au trot maximum, mais il n'en sera rien. Comme le dit un vieil ami, « la vie des fois..., hein ! » et je finis ici, la vie parfois est source de surprises...
J'ignore pourquoi, mais je la sens pas, cette promenade… Cette respiration en dehors de l'hôpital, bien sûr nous sommes en groupe… mais les infirmiers ne passent pas de brevets comme aux colonies de vacances. Très vite, je remarque qu'ils avancent les blouses blanches en tête de peloton, sans même penser aux membres du groupe qu'ils surveillent. Dès le premier panneau, nous sommes déjà tous dispersés. Je remarque que les règles de sécurité sont totalement absentes, et je divague, je m'exporte sur mon passé troublé, ma maladie me pousse dans mes retranchements, sur mon adolescence, sur la violence de ma rencontre dans ce centre équestre avec un étalon en robe grise mouchetée de blanc. Jeune, je ne voulais pas apprendre à diriger cet animal dans un tourniquet. Je voulais me défouler, courir, sortir du manège, je voulais respirer, entendre la respiration de mon cheval gris. Mais ce que j'ai surtout appris, c'est la chute. Je montais au bord de la mer, nous allions, pimpants, sur les dunes de sable chaud, aux genêts éblouissants, tiges marrons et fleurs citron. Je passais les étapes, les grillais semble-t-il, non sans jubiler, insistant pour aller directement en mode promenade, balade, et je discutais fermement. Alors on me donna une bombe et je pris les rênes, refermai les jambes sur le flanc de l'animal, ni noir, ni blanc, mais de ce gris qui heurte ma voix de souvenir… Je choisis cependant une certaine prudence en me plaçant résolument au fond, bon dernier, car jamais je n'avais su ou vu comment diriger une bête qui faisait trois fois mon poids, capable de manger un champ d'herbe rouge sang en un après-midi. J’étais impressionné mais un peu fou, déjà. Je montai sur la croupe de ce non poney, j’étais à dos de cheval, bien calé ; et en file indienne nous avançâmes. Je me souviens du plaisir d'aller m'aérer l'esprit sans pâlir, je me souviens de la première chute, quand l'animal osa contredire mon ordre en s'arrêtant net devant un tas de fleurs qui poussaient sur de vielles branches. J'avais beau tirer en arrière sur les fabuleuses rênes qui me donnaient cette vitalité d’Ogre, je ne pouvais rien faire contre son envie de gloutonner les bourgeons de ce vieux tronc d'arbre. Ce n'était pas un saule pleureur, mais un de ces arbres si beaux qui donnent des fleurs violettes, roses, la peinture non plus n'est pas mon truc. Alors l'évocation de cette balade me fait l'effet d'un innocent sortant de prison qui découvre l'air, le grand air, et qui ne sait poser des noms, des mots sur les merveilles de la nature. Nous allâmes sur une plage faire courir, lâcher les chevaux. Le passage à gué se passa bien, découverte du trot et du mal au fessier qui l'accompagne, seule cette chute en arrière, mais à une non-vitesse absolue, me chagrinai. Or nous rentrions, et je tenais toujours les rênes, et cette bombe qui ne cessait de descendre sur ma tête de moineau, je rêvassais un peu, faut bien l'écrire, avant d'entrer en code ridicule.
Imaginez une tête brûlée qui flambe sur son beau cheval gris et qui d'un coup ne contrôle plus l'animal qui, fort de son caractère retors, ce bien bel étalon, sort du rang, oublie l'odeur des croupes de ses confrères et consœurs qu'il supportait peu ou prou. Je l'appris en une fraction de seconde, puisqu'il partit de son plein gré courir dans un champ bordé de talus hauts coupe-vent, mode Bretagne. Dès l'entrée du champ couvert de bouse de vache, et de champignons psychotrope, je quittai le pas, le trot, pour m'installer au galop. « Jimmy » leva les sabots, pas d'alternative pour ma pomme, cette allure folle, le galop, sans les étoiles, ma bombe me heurtait le front. Le visage recouvert à chaque impulsion, je ne voyais ni le danger, ni le plaisir d'être hors-piste, j'avalais des centaines de mètres à coups de réceptions sur le terrain fertile, presque du terreau, que ce cheval au prénom d'être humain dévalait, loin d'être grisé. La peur dominait l'événement. Je me souviens encore de ces moments où le silence se faisait entre chaque réception des fers sur la terre, je sentais le vent-vitesse sur le haut de mon corps, le froid m'envahir et les frissons d'une frayeur plus que certaine, car l'animal était hors de contrôle. J'aurais voulu crier « stop, arrête-toi », ou « maman », mais pas un son ne sortit de ma gorge. Trop occupé à tenter de voir le naufrage, je cherchais à obtenir la vision, en remontant la bombe qui couvrait mes yeux. Puis, long silence… combien de nanosecondes en l'air, le grand saut pour un sot qui ne voulait pas apprendre le b-a ba de l'équitation, puis, l'arrêt. Vivant, je tirai sur les rênes, et c'est une simple chute en arrière qui se passa, le mors avait quitté sa place. Peu technique, je ne l'expliquerai pas, béotien, je dirai simplement qu’une fois en tête de la file indienne, « Jimmy », incorrigible leader des balades, avait retrouvé la tête du convoi et le bonheur de manger de l'herbe, des pâquerettes de saison, dans le fossé. Moi, je ne réalisai pas, ou très peu, la situation, puisqu'au moment fatal où j'ordonnai l'arrêt, je sentis que plus rien ne retenait ma chute sur le sol meuble et tombai pour la seconde fois de l'heure, tel un sac de quelques kilos de chair et d'os, et entendis les rires moqueurs de mes camarades.
Dans l'herbe verte, que l'animal broutait avec un certain dédain, ignorant totalement ma présence, je remarquai juste que nous étions en tête du convoi, et que je venais de subir mon premier galop traumatisant. Non pas que les sensations aient été mauvaises, cependant, celle de ne pas contrôler une furie de plus d'une tonne me contraria sur le coup et, encore aujourd'hui, la peur est forte… même les rires malins ne heurtèrent pas mon ego. Je demandai à l'instructeur si nous étions loin des boxes, je voulais rentrer, ne plus subir les quolibets, cette musique infernale quand un rire vous fait mal, et rendre sa liberté au cheval qui, de toute façon, l'entendait bien de cette oreille.
Ouf, second panneau de passé, nous nous infiltrons dans ce labyrinthe géant en rase campagne. Des murs végétaux plus hauts que nos regards, nous avançons dans une cacophonie non abstraite, prospectus à la main, et perte de repère, nous, aussi fragiles que des roseaux, nous ne voulons pas plier… Déjà des pertes, j'entends parfois la voix d'Arnaud, mais il est dans son monde, ailleurs, et ne suit plus la petite troupe que nous formons, qui s'émince à la manière d'une escalope normande. Ma voisine, souvent muette et au dédoublement de la personnalité, parle l'anglais ; ainsi elle masque sa peur de se perdre dans des considérations déplacées. Dans mes souvenirs, je m'évade, comme toujours, mais conscient par déformation professionnelle, que le groupe est ouvert à l'éclosion du printemps. Je compte mes amis d'un jour, amis d’évasion d’un labyrinthe de maïs, je compte les pas. Je compte, et je lis les pancartes, énigmes, c'est un jeu, ce jeudi, une mascarade de charade digne de ces bonbons sucrés dont je tairai le nom pour éviter de la publicité ou faire, bien malgré moi, du merchandising.
Le soleil est à l'image de notre santé, il décline. Nos pas se font lourds. Je reste longtemps à trois pas des infirmiers, mais en rencontrant un groupe d'une action solidaire, comme la nôtre, je me rends vraiment compte que notre logistique est défaillante. Aussi, n'ayant pas d'oreiller pour cette sieste printanière, je quitte notre convoi et marche seul derrière nos confrères, ils ont un plan, ça me rassure. La Turquie s'invite dans mes pensées et je me perds sur un chemin de traverse. Maintenant seul, je rêvasse à cette expérience en nature dans ce pays chaud, où j'ai failli connaître l’hypothermie, en compagnie de deux amis, Laurent et Sébastien.
Après une longue journée de plage à Patara, célébrissime pour son éclosion de tortue de mer, nous étions loin. La nuit s'installait en ce mois de Novembre, aussi, au lieu de revenir sur nos pas, nous décidâmes d'aller à travers bois pour rejoindre notre table d’hôte. Je tairai la difficulté du passage de la dune de sable, je tairai celle des deux marais, bien que ces passages fussent ardus, par contre à l’orée du bois, devant nous, des lumières artificielles, un ciel filant bleu stratosphère, le Nord en face et son étoile du berger, le froid glaçant nos peaux trop remplies d'Ultra-violet. Nous décidâmes, après étude rapide de la situation, bloqués que nous étions par l'heure, le temps, et la dépense d'énergie, de nous jeter dans une folle traversée, celle d'un champ de roseaux de plus d'une fois notre hauteur. Et c'est ainsi que nous avançâmes, en nous jetant dans ces plantes, fini d'observer les étoiles glissantes et pénétrantes dans d'autres dimensions. Nous étions trois, une petite troupe de charretiers qui se jetaient dans un mélange savant de roseaux, de marais et de ronces. Nos membres s'écorchaient, la douleur et la fatigue se mêlaient, mais nous avancions car, tel le dit le dicton : « le roseau se plie mais ne rompt pas ! » Aussi, ces mâts de roseaux, nous portaient au-dessus de cette masse molle que constituait le sol, l'eau, la boue et l'impression de nous en aller comme trois jeunes cons sans considération, vers l'au-delà ! A bout de souffle, le vent joyeux ne nous donnait pas son air, et nos corps blessés ne nous portaient presque plus, mais nous avions pris la bonne décision et, vu que l'astre jaune laissait place à la lune rouge, nous n'avions pas le choix. Alors c'est en force, tels des camions féroces, que nous pûmes traverser le champ de roseaux, et puis nous allonger sur l'asphalte, presque nus, en tenues de touristes. Nous venions de tirer au sort nos vies, car rien ne pouvait nous dire l'étendue et la difficulté du champ à traverser. Alors, après un temps de repos, nous trouvâmes un bolide, taxi de locaux, pour nous ramener à la pension, et là nous pensions à la douche, à la salle de bain. Notre ventre criait famine, aussi, et ce soir c'était poisson, pas une farce, et un autre hôte venait de prendre place à la table, un allemand cycliste qui venait d'avaler près d'une centaine de kilomètres et qui dévorait des yeux le mets du soir, fort bon, il faut bien l'avouer, à quatre nous n'en fîmes qu'une bouchée !
Retour au jour d'aujourd'hui. Mon ventre se creuse, pendant que mon esprit se vide des maux passés. Je regarde devant moi. Rien ! Rien d'autre que ce labyrinthe végétal, ce maïs qui m'obstrue la vision, et chasse le vent du jour : un noroît ? ou suroît ? Je ne suis pas une girouette de pacotille sans drapeau, sans sensation de ce courant d'air sur les sens, je n'ai aucune possibilité d'établir une rose des vents, je sais simplement qu'il ne vient pas de l'Est car il ne fait pas encore froid. Depuis peu, fatigue et stress, ma vision se déforme, chaque fois que je croise un panneau énigme, la photographie devient énergie. Sujet à la schizophrénie, j'ai aussi des hallucinations auditives, il me parle, cet alezan breton au cœur gris. Curieuse sensation, je vais tenter de l'expliquer car j'éprouve le besoin naturel de me faire comprendre. Nous sommes un groupe éteint, je suis d'autres personnes croisées sur le chemin, et je chemine sur leurs pas, sans passion, je sais que je suis perdu, complètement paumé dans cette jungle labyrinthique, et que ma maladie se réveille. J'avance dans un monde aux origines fantastiques et je communique d'esprit à esprit, en compagnie de l'étalon de mes souvenirs. Plus je m'affole, plus mon palpitant augmente l'afflux de sang vers ce truc qui me fait office de cervelle, plus mes neurones m'informent de la vie de « Jimmy » ! et oui, vous me croyez pas ! Alors, je raconte comment je sais que c'est lui qui s'invite dans mes pensées sauvages. Les chats ont sept vies, les chevaux vivent dociles dans nos contrées depuis des millions d'années, ils ont choisi de se laisser domestiquer, m'explique-t-il, pour un jour prendre les commandes du monde, et être la conscience de l'univers.
Je déraille, pensez-vous : remise en situation. Je suis là depuis trois heures environ, accompagné dans une forêt de mur de maïs. Chaque fois que nous croisons un panneau, selon les propos de notre infirmier guide, nous devons trouver une réponse et ainsi une indication pour sortir du labyrinthe de maïs. Or, dans les faits, sur chaque pancarte, nous trouvons des informations sur les chevaux de trait : robe marron, jarret puissant, antérieur racé, des forces tranquilles, des forces de la nature qui peuplent la Bretagne, le cœur des prairies de cette région que nous fréquentons puisque nous venons de la ville de Brest. Nous sommes des malades en excursion, troublés par l'abandon de raison de nos infirmiers qui gèrent le groupe comme deux benêts des villes, nous avançons dans le corps de nos troubles, les autres sont ailleurs… au début j'ai évoqué Arnaud, et ce rire sarcastique ! Maintenant, je suis dans un couloir de torpeur, de trop peur, je vois des chevaux sortir des panneaux, grands, vaillants, couverts de boue, de sang chaud, provenant tout droit d'une bataille napoléonienne ou d'un temps plus ancien encore, celle d'une bataille de notre ancêtre Vercingétorix. Je suis rouge, globule indien, cousin d’Amérique, je suis en mode fou, comment expliquer cette voix qui me poursuit et s'invite dans mes rêveries ? Je ne contrôle plus ma pensée, et c'est le cheval gris qui me guide sur la route de mes ancêtres, mon père, son père, et leurs grands-pères disparus depuis un temps clair/obscur ; revenir en mode terrien, ôter ces pleurs, revenir sur Terre, ne pas décoller vers les astres aux mille nuits, écrire un conte, sortir du couloir du temps, caresser le cheval gris qui m’a fait choir sur les pavés juste devant le centre équestre. Oui, il a besoin de tendresse, ce souvenir. Je prends en main une tête de fleur de maïs, je glisse, je dérape sur la nappe noire de mes frayeurs, « Jimmy » me parle, je communique en sa compagnie, il me demande de l'aide car il est dans un couloir du temps, où il a besoin d'un esprit humain pour en sortir. Je lui explique que moi, je suis perdu sur un hectare, que je ne peux rien pour sa vielle carcasse, qu'il me laisse seul. Alors il me raconte le galop, alors il me raconte sa vie, je l'entends, fasciné, mais je reste vigilant. Je compte le leurrer, mais ce canasson gris n'est pas un bar de ligne, ou un maquereau ; ni poisson solitaire, ni poisson de banc. Je veux un siège, je veux m’asseoir, je demande une femme, je demande une main. Demain, me répond-on !
Là, le panneau, ses explications sur les chevaux de trait, la tête envahie par mes troubles, je reste immobile, les yeux hagards, je cherche une gare, un coin où je vais me poser. Plus je fixe le point clef de l'image face à moi, plus mon imagination m'envahit, mon ego disparaît devant cette marée d'informations, de suggestions, je sais que « Jimmy » me parle. Il veut sortir du couloir étroit, où quelqu'un que je ne nommerai pas le bloque dans le vide stratosphère. Je chasse ces idées noires, et je vole vers la sortie, je veux revenir à la camionnette, je veux revoir des gens, je veux vivre normal, mais je suis obstrué par ce monde invisible aux autres, et le cheval au cuir marron du panneau se lève, grossit, devient chair et os, il va me foncer dessus. Paralysé par mes songes, mes neurones me font bouger. Je cours, or dans les faits, je vais être écrasé par une image, pas sage. Ce labyrinthe est un passage, je le crois, j'assume mes propos, un couloir hors du temps, où je me glisse… la robe marron devient fanfreluche, puis je devine ce gris moucheté de blanc. Un éléphant, non un éléphant m'écraserait du simple souffle de son pas, c'est un sac, du gris qui ressort du panneau dix-sept, c'est bien « Jimmy » que je vois. Je voyage sur le murmure de sa raison, il veut revenir dans un champ, il veut goûter l'herbe folle, il veut courir, et ne point mourir. Je vois un clan de bataille, un ordre, un plan, un cerisier, un saule avide de pleurs et de peur, je m'isole, camisole de force, déchets organiques en mode panique, je vois un chat et des souris, non je m'égare c'est un cheval gris qui éternue en reprenant vie. Je le vois, mais n'envisage nullement d'escalader son dos sans scelle, je ne veux pas remonter sur ce gris d’Alsace, ou de Bretagne, c'est une montagne, bien plus haute que les monts d'Arrées la bien nommée. Là, il stoppe ! Me regarde, et me dit dans notre langue sans accent grave ou aigu : allez, ne fais pas l’imbécile, sois heureux de me revoir, monte, nous allons sortir de là. Je lui explique que je ne veux pas monter à cheval, il rétorque que la nuit se pointe à l'horizon. Je frissonne, nous sommes loin de l'Essonne, je veux dire non mais une force me conduit vers sa chevelure grise, je tire sur sa couette, chouette le crin ne cède pas ! Ne me demandez pas comment je fais pour grimper sur son dos nu, je ne l'explique pas, je suis là, si grand que ma tête ressort du labyrinthe vert et jaune, mes épaules sont fières d’être sur mon destrier qui s'emballe, je décolle et tel une licorne, brise les brins de maïs qui sont sur ma route, route pêche, nous dévastons ce champ comme d'autres mangent des fraises tagada, tagada, tsoin tsoin, font les sabots sur le sol meuble qui se dérobe sous la furie de « Jimmy » !
Le courant d'air efface mes tracas du quotidien, je me suis évadé tel un jeune papillon à l'éclosion qui sort du cocon, et je suis surpris d'entendre une voix d'homme sortir « Ben, on vous cherchait, allez on peut y aller, nous sommes au complet ! » Arnaud éclate de rire, ce rire qui semble me dire « tu n'as pas rêvé, tu as bien monté « Jimmy ». Je suis en sueur et plein de boue, je viens juste de me rendre compte qu'enfin, je suis en dehors des limites végétales de ce labyrinthe. Le moteur démarre, rassurant, et je sombre dans une nuit noire, sans chevaux, mais pas sans surprise. Nous rentrons...