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Georgette et Mathilde

Georgette et Mathilde

Publié le 21 sept. 2025 Mis à jour le 21 sept. 2025 Conte
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Georgette et Mathilde

Georgette plissait les yeux. Sa bouche aussi était plissée. Tout le visage de Georgette était plissé. Georgette respirait la désapprobation.

- Georgette, vous êtes certaine que vous ne voulez pas de la gelée ?

Georgette ne répondit pas. Elle restait mutique, toisant l’aide-soignante d’un œil mauvais.

La jeune femme reposa le pot en soupirant. Georgette se détourna d’elle avec un mouvement empreint de grâce outrée. Elle regarda par la fenêtre.

- Viendrez- vous jouer au scrabble pour le café ?

Georgette ne répondit pas, se contentant de regarder les oiseaux.

- Ce serait bien si vous veniez avec nous, aujourd’hui. Cet après-midi, nous recevons les enfants du centre de loisirs. Il y a un goûter de prévu avec les tout-petits, et les plus grands feront des jeux de société avec nous.

Georgette haussa les épaules.

- Ah ! Je savais bien que cela vous intéresserait ! Allez, je passe vous chercher quand ils arrivent.

La vieille dame aurait voulu s’opposer, mais à quoi bon.


Georgette tenait une petite assiette en carton entre ses mains. Sur celle-ci était posée une part de quatre-quarts industriel. Elle n’avait pas besoin d’en manger pour savoir qu’il était infâme.

Elle regardait les enfants autour d’elle. Elle avait vaguement pensé que voir des petits lui rappellerait de bons souvenirs, mais ce n’était pas le cas. Elle n’avait même aucune idée de ce à quoi ressemblait aujourd’hui Augustin, son petit-fils.

Au milieu de tous ces cris, de tout ce monde remuant et piaillant, elle se sentait encore plus seule que dans la réclusion tranquille de sa chambre.

- Je veux rentrer, dit-elle.

Personne ne l’entendit. Personne ne fit même attention à elle.

- Je veux rentrer ! dit-elle plus fort.

Deux enfants jouant à chat bousculèrent son fauteuil roulant. Georgette leur lança un regard outré.

Agacée, la vieille dame attrapa ses roues et entreprit de quitter l’espace de vie.


De retour dans sa chambre, Georgette plaça son fauteuil près de la fenêtre. Il y avait du soleil, et le ciel était bleu sans nuage. Sans qu’elle ne sache pourquoi, cela la remuait, aujourd’hui.

Non, Georgette s’aperçut qu’elle remuait vraiment. Elle se pencha et aperçut un petit soulier qui dépassait d’en dessous de l’assise de son fauteuil roulant.

- Mais ?! Que fais-tu là, toi ?

Le petit pied disparut sous le siège.

- Hé ! Je t’ai vu ! Sors de là !

- Chut…

- Comment ça, « chut » ? Allez, va-t’en !

- Chut, sinon Sophie va me trouver.

- Je m’en fiche ! Va-t’en !

- Tu es vraiment pas drôle, toi, comme madame.

- Je n’ai pas envie d’être drôle.

- C’est parce que tu vas bientôt mourir ?

- Dis donc, toi ! Personne ne t’a appris la politesse ?

- C’est quoi, la « ropitesse » ?

- On ne dit pas aux gens qu’ils vont mourir ! Maintenant, sors de là et retourne dans l’espace de vie.

- Non, je veux pas.

- Oh, mais c’est pas vrai !

Georgette déplaça son fauteuil jusqu’au bord de son lit et essaya de se hisser pour attraper le boîtier d’appel. Elle appuya sur le bouton et se rassit, les bras tremblants, épuisée.

- C’est bon. Quelqu’un va venir pour te chercher.

- Non !

- Si. Tu ne peux pas rester ici…

- Non !

- Arrête de crier…

- Non !

La petite fille se glissa hors du fauteuil, et celui-ci remua dans tous les sens.

- Attention ! Mais… attention ! Tu me fais bouger !

L’enfant se glissa sous le lit de la vieille dame. Georgette ricana.

- Si tu crois que ça va changer quelque chose, tu te fourres le doigt dans l’œil, ma petite.

- Vous êtes méchante !

Elle réfléchit.

- Oui… On me l’a déjà dit. Tu crois que toutes les vieilles dames sont de gentilles grands-mères ? Qui font des charlottes aux fraises et des cookies ?

Georgette se pencha et aperçu un bout de frimousse et une jupe jaune à fleurs.

- Eh bien, non ! Les méchantes personnes font de méchantes vieilles personnes. Et moi…

Georgette s’interrompit. Elle entendit un reniflement. Elle se pencha à nouveau. Deux petites mains potelées plaquées sur ses yeux, la petite fille pleurait en silence. Georgette grogna.

- Hé ! Oh ! Tu ne vas pas pleurer pour si peu, quand même ! Franchement, les jeunes de nos jours…

Georgette se renfrogna et attendit. L’aide-soignante allait arriver d’un moment à l’autre, et emmènerait la petite. Ce n’était de toute façon pas de son ressort, de gérer les enfants. Elle n’avait jamais aimé les enfants. Même les siens. Alors ceux des autres…

Le silence s’étira, seulement rompu par les sanglots de la petite fille.

Georgette commença à trouver le temps long. Elle alla rappuyer sur le boîtier d’appel.

- J’ai faim, dit la petite fille.

- Eh bien, mange ta main.

Un bruit de succion se fit entendre.

- C’est pas bon.

Georgette leva les yeux au ciel.

- Eh bien, retourne là-bas manger du gâteau.

- Non. Il est pas bon le gâteau.

- Ça, je ne peux qu’être d’accord avec toi.

- Moi, ce que j’aime, c’est le gâteau au chocolat.

La vieille dame retourna vers la fenêtre. C’était une conversation qu’elle ne voulait pas avoir. Une conversation absurde avec une personne qu’elle ne reverrait jamais. Alors, elle se contenta de rester silencieuse. L’enfant continuait de babiller.

- Et puis, j’aime aussi les crêpes. Toi aussi ? Oui ? Hein, madame ?

Georgette soupira et se concentra sur les oiseaux. Elle entendit un froissement, puis des petits pas. Elle sursauta quand la voix de la fillette se fit entendre tout contre son oreille.

- Pourquoi t’aime pas les petites filles, madame ?

- Ah ! Tu m’as fait peur ! Ça ne va pas, de venir près des gens, comme ça ?!

La fillette rigola.

- T’es pas un gens, t’es la méchante madame qui va mourir !

Georgette se renfrogna. La petite fille jouait avec le cordon de sa jupe, elle avait des cheveux noirs coupés au carré et de grands yeux humides.

- Va donc te moucher ! Tu es dégoûtante !

- Pourquoi ?

- Tu as de la morve au nez !

- Ah… Oui.

La petite s’essuya dans sa manche. Georgette claqua la langue.

- Oh, non ! Mais c’est pas vrai, comment ils vous élèvent, aujourd’hui ? C’est comme ça qu’on se mouche, hein ?! Dis !

Georgette se pencha pour attraper la petite, qui bondit hors de sa portée en piaillant.

- Hé ! On doit pas laisser les inconnus te toucher !

- Non, mais… Tu plaisantes ?! Je croyais que je n’étais pas un gens ? Alors, si je suis une inconnue, qu’est-ce que tu fiches encore ici ?

La petite ouvrit des yeux ronds.

- Euh…

- Ah, tu vois ? Allez. Va-t’en maintenant.

La fillette se dirigea vers la porte. Elle l’ouvrit. Elle se retourna vers Georgette. La vieille dame tâcha de lui lancer son regard le plus terrible. La petite sortit.

Georgette se retourna vers les oiseaux. La porte s’ouvrit.

- Tiens, méchante madame.

Avant que Georgette ne puisse regarder derrière elle, la porte s’était refermée. Elle aperçut un bout de papier plié sur le lit. Avec un grognement, elle le jeta à la poubelle.


Ce soir-là, Georgette n’arrivait pas à dormir. Elle avait insisté pour qu’on lui laisse les volets ouverts car, lors de ses insomnies, elle aimait voir la lune. Mais, aujourd’hui, la lumière de la nuit la dérangeait. La vieille dame n’avait pas envie d’appeler quelqu’un, elle avait vu assez de monde pour au moins une semaine. Elle se hissa péniblement avec les accoudoirs de son lit, et entreprit de se mettre debout. Elle devrait y arriver sans tomber, le fil des stores n’était pas si loin.

Lorsqu’elle se pencha en avant, son regard tomba dans la poubelle, et elle aperçut le petit papier. Georgette n’avait pas repensé à la petite fille, elle ne s’était même pas inquiétée de savoir si elle avait pu retrouver ses camarades sans encombre.

Pourtant, lorsqu’elle vit le bout de papier plié, ces pensées lui traversèrent l’esprit. Elle les chassa. S’il était arrivé quoi que ce soit, ce n’était pas de sa faute. Ils n’avaient qu’à mieux surveiller les gosses.

Avant qu’elle en prenne conscience, Georgette s’était penchée pour attraper le papier. Se rallongeant dans le lit, elle déplia le dessin.

« Poure lé jens de la mézon de retrète. Cigné Matilde »

Le texte était accompagné d’un dessin représentant une princesse qui mangeait un morceau de gâteau au chocolat. Une flèche la désignait comme « Matilde ». En arrière-plan, on apercevait une sorcière désignée comme « Sofi ».

La fameuse Sophie, donc. Celle qui empêchait la princesse de manger du gâteau au chocolat.

Sans qu’elle ne sache pourquoi, Georgette se sentit émue. Ça lui faisait bizarre, comme une chaleur dans la poitrine, sa gorge se serra et ses yeux s’embuèrent.

Elle voulut lutter contre cette sensation, mais se ravisa. Elle posa le petit papier contre sa poitrine et pleura, comme si une digue avait cédé en elle. Georgette était un désert, un sol aride ou rien ne poussait plus depuis des années. Elle prit conscience que les remparts, qu’elle avait passé sa vie à construire pour se protéger des autres, avaient fini par s’éroder avec le temps. Ils étaient devenus le sable dans lequel elle se noyait à présent, loin du monde vivant, loin de tout. A cette pensée, les sanglots de Georgette redoublèrent. Pourtant, elle s’astreint au silence. Ces pleurs étaient comme une catharsis qu’elle devait mener jusqu’au bout sans être dérangée. Était-il possible de renaitre alors qu’on était à l’hiver de sa vie ?

Georgette se surprit à vouloir revoir la petite Charlotte pour lui offrir un morceau de gâteau au chocolat. Elle demanderait à l’aide-soignante demain quand le centre de loisirs reviendrait pour un goûter. Sachant cela, Georgette se rendormit en serrant le papier contre son cœur.



Photo de Dmytro: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/crepes-aux-fraises-et-myrtilles-sur-le-dessus-2732666/

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