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Regardez-moi avec les yeux de Kaan 

Regardez-moi avec les yeux de Kaan 

Publié le 4 oct. 2024 Mis à jour le 4 oct. 2024 Société
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Regardez-moi avec les yeux de Kaan 

 

Cela s’est passé dans une belle bibliothèque scolaire à Istanbul. Je lisais une histoire à des enfants turcs qui apprenaient le français. Je marque une pause, je m’arrête à une phrase et je lance d’une voix forte et insistante en français puis en turc afin que le message soit compris :

  • Moi, je suis une fille et je ne rêve pas d’être une princesse. Je suis une fille et je n’aime pas les princesses.

Une voix de garçon réplique en turc sur un ton affirmatif sans aucune hésitation :

  • De toute façon toi tu n’es pas une fille !

Je sursaute. C’est Kaan, il a quatre ans. Ses yeux me fixent, un petit sourire s’affiche sur son visage, ses bras se balancent.

  • Que veux-tu dire Kaan ? Pourquoi je ne suis pas une fille ?

Il réfléchit un moment avant de répondre. Comme si je le forçais à se justifier.

  • Tu as les cheveux courts, tu portes tout le temps des pantalons et jamais de bijoux !

Un débat s’ensuit dans la bibliothèque. Certains enfants disent que ce n’est pas vrai puisqu’il y a des femmes avec des cheveux courts, des hommes qui portent des boucles d’oreilles ou des bagues comme leurs pères ou leurs oncles. D’autres estiment que les femmes généralement portent des robes et des talons.

Moi, la réplique de Kaan m’a déconcerté. Je lui pose alors la question avec l’envie de comprendre le fond de sa pensée :

  • D’accord, si je ne suis pas une fille, suis-je un garçon ? Qu’est-ce que je peux être pour toi ?
  • Non, tu n’es pas un garçon. Mais être les deux c’est possible, affirme-t-il encore. C’est une évidence pour lui.

Je m’effondre sur ma chaise. J’arrête de lire. Je suis emportée par ses mots, par ce regard d’enfant posé sur moi. Personne ne m’a jamais regardé ainsi. Personne ne m’a jamais vu ainsi. Personne ne m’a jamais dit cela. Kaan m’a juste donné la meilleure définition de moi-même : tu es les deux et c’est possible. Pas forcément une femme, pas forcément un homme, mais tu es toi.

Je n’ai jamais aimé le maquillage, les hauts talons, les vêtements dorés, les parfums trop forts, tout ce qui fait de moi une femme dans la société. Je ne suis pas non plus un homme, je le sais. Et ce choix individuel et naturel a toujours été, peut-être moins aujourd’hui, pénible. Justifier sa différence et sa façon d’être. Le vilain petit canard qui a perdu son chemin, qui n’a pas suivi sa famille c’est moi. Et c’est grâce à Kaan que je peux le dire aujourd’hui : je ne suis pas une femme, je ne suis pas un homme. Je suis moi, alors regardez-moi avec les yeux de Kaan.

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Commentaires (5)

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Luce il y a 2 mois

oui j’appelle ça le conditionnement… mais quand tu commences à le voir, tu peux mieux t’en libérer…

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Irane Belkredim il y a 2 mois

C'est ce qui est lourd à porter. Tout le reste. Il nous fixe et nous fige.

(modifié)
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Luce il y a 2 mois

il y a la biologie et il y a tout le reste …

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Jackie H il y a 2 mois

Il y a tout ce qui est imposé par la culture (quelle qu'elle soit...)

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