Dans ce livre, je raconte mes colères. Celles qui, encore aujourd’hui, me rongent et me submergent. L’alcool, évidemment, mais aussi la violence. Car nous vivons une époque où ces deux sujets sont banalisés. Deux parmi d’autres…
La violence a été banalisée dès l’enfance. J’ai grandi dans les années 90. À cette époque, le politiquement correct et le wokisme n’existaient pas. Elmer chassait le lapin et le canard, fusil sur l’épaule, et Pépé n’en finissait pas d’harceler une pauvre chatte. ‘‘Les dix petits nègres’’ s’appelaient ‘‘Les dix petits nègres’’, et j’en passe… Le monde n’était pas encore soumis aux règles de la ‘‘cancel culture’’. En effet, nous, les enfants, commencions notre journée avec Dragon Ball, les Chevaliers du Zodiaque… Le cinéma, les jeux vidéo, les dessins animés,… offraient leur lot de violence gratuite, de clichés racistes, misogynes, pour notre plus grand bonheur. Et, bien inspirés par cette culture de la guerre, du meurtre, du sang et des coups de pied dans la gueule de Chuck Norris, nous prenions plaisir à rejouer quelques scènes mythiques, à endosser les rôles de flics, de voleurs, de cow-boys, d’Indiens. D’ailleurs, les magasins de jouets, les grandes surfaces et autres commerces, proposaient en rayons de nombreuses panoplies en tous genres, afin de parfaire notre jeu d’acteur. Des répliques de mitraillettes aux revolvers pétaradants, des tenues de militaires aux matraques de police, les arcs, les couteaux, les sabres et les épées… tout un arsenal en plastique à la portée de n’importe quel gamin aux parents psychologiquement limités.
Alors oui, personnellement, le politiquement correct qui sévit de nos jours m’agace, mais puisqu’il est désormais coutume de censurer les classiques, histoire de gommer toutes allusions pseudo-racistes chez Disney et consorts, je m’interroge sur le fait de trouver dans les rayons des magasins, ou sur les étals des forains, des armes fictives parfois plus vraies que nature alors que même Sam le pirate se retrouve totalement désarmé.
Que les cartoons se tapent sur la gueule ! Cela me dérange bien moins que de voir un enfant de 5 ans brandir une kalachnikov et mimer une exécution de masse…
Je vous partage un extrait du livre dans lequel j’évoque ce sujet.
Du plomb dans la cervelle
Nous étions embusqués dans les hautes herbes, scrutant les moindres faits et gestes de l’armée ennemie.
Les pieds dans la boue, pataugeant dans la merde, nous étions tous atteints du mal du pays.
Lorsqu’il m’arrivait de songer aux retrouvailles tant espérées, loin du champ de bataille, avec ma bien-aimée,
j’avais le cœur lourd mais battant comme jamais, martelant comme un sourd tandis que je rêvais
à ses bras, à sa peau, à ses doigts, à ses mots, qui s’en viendraient panser mes blessures, plaies ensanglantées de mon corps criblé de plomb.
Et puis je rampais, en silence… Fusil chargé, baïonnette fixée… Paré à faire parler la poudre.
C’était pas ma guerre, mais il m’a obligé. J’avais l’âge du coloriage, de dompter le pastel, de tremper le pinceau dans la gouache, l’aquarelle. Mais mon dessein fut tout autre.
À qui la faute ?
Aux dirigeants ? Au bon Dieu ? À la putain de cathodique qui diffuse à outrance des images de violence à des mômes incapables de faire la différence entre réel et fiction, et qui se croient militaires au milieu du salon, brandissant la kalash en plastique, fidèle réplique, tout en sons et lumières, et pointant le canon sur des soldats de plomb, parfaitement alignés pour être exécutés. Le gamin, armé par ses pères, s’amuse à tuer ; simulacre de guerre.
Jeu à la con…
Dans quel cerveau malade a germé l’idée de vendre à des gosses flingues et mitrailles.
La mort n’a rien à foutre dans les mains de la marmaille.
Mais où sont donc passés les châteaux de sable, la pâte à modeler, les briques de Lego, les dessins abstraits qu’on aimante sur le frigo ? Que sont devenus les parents responsables ?
Sont-ils morts pour de faux de la main de leurs marmots ?
J’étais soldat d’alliage et j’avais pour mission d’infiltrer les bas étages des hauts dégradés, histoire d’y laisser matière à penser ;
« Du plomb dans la cervelle », comme le dit l’expression.
Extrait de "Nous n'avions que la vie devant nous"