

Paul, Sillages
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Paul, Sillages
Quelques nouvelles de Sillages.
La maquette impression est en cours de réalisation. Je piaffe.
Le livre numérique, lui, est déjà disponible à https://www.librinova.com/librairie/iris-thaumas/sillages et dans toutes les librairies en ligne.
Je vous livre quelques bribes supplémentaires de Paul:
Que l’eau était froide ce matin. Au retour de sa baignade, ses joues et son nez rougis picotaient dans le vent. Même un dix janvier, surtout en janvier au creux de l’hiver, comme un acte de résistance, Paul se baigne. Souffrir pour se sentir vivre et se donner une faim à rassasier pour se sentir repu. Éducateur spécialisé en retraite depuis six mois, ses journées sont devenues vides. Il faut dire que sa vie active fut bien trépidante. Travail d’équipe dans un foyer de vie, sourire, paraître… pas de problème mais des solutions, discussions, réunions… le téléphone sonne… appelle untel… Harassé le soir au point de ne plus penser, mais la tête arrimée par des liens serrés avec ses collègues et les résidents ; le chaos de son travail d’éduc spé comblait son quotidien et noyait toute désagréable sensation de solitude dans un perpétuel bain d’humanité. Rupture avec sa vie active, nouveau départ, Paul a vendu son appartement à Grenoble pour s’installer aux Lecques dans un T2 d’une résidence de vacances des années 80, à cinq minutes à pied du port. La mer est là, toute proche, elle lui manquait à Grenoble. Il entrevoit son azur entre les branches de pin. Quand la vague du cap Saint Louis daigne se lever, il décroche sa planche de surf suspendue au plafond du balcon. Le spot est minuscule, mais il s’en contente entre ses expéditions en van sur la côte atlantique.
La combinaison et les chaussons en néoprène sèchent sur le balcon. Faiblard, le soleil a du mal à assumer sa besogne. Paul mâche le quignon d’une baguette de la veille tout en se réchauffant les mains au-dessus du radiateur électrique, un vieux grille-pain qui a l’âge de l’appartement. Une conserve de petit salé aux lentilles mijote dans la casserole. Trois rondelles de saucisson et une bière à température ambiante l’attendent sur la table du salon. Il se sent mieux, revigoré.
À soixante-sept ans, Paul est un célibataire endurci. Les femmes qu’il a rencontrées, aimées, il les a toutes quittées avant que leur histoire d’amour ne devienne trop sérieuse. Le seuil d’une vie conjugale, Paul n’a jamais pu le franchir. Un coup de vent, une porte qui claque, c’est pour lui le risque de rester emmuré pour le reste de ses jours, sa hantise.
Avec Séverine, sa voisine de palier à Grenoble, ils menaient tous les deux « une vie de couple, chacun chez soi » depuis une dizaine d’années. Si cela n’avait tenu qu’à elle, ils se seraient installés ensemble, et peut-être même mariés. Paul n’a jamais voulu. Il y a dix jours, il est revenu fêter le jour de l’an chez elle, à Grenoble. Elle l’a supplié une fois de plus de rester tout l’hiver avec elle ; il est parti le deux.

