Des coeurs à la mer
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Des coeurs à la mer
C’est un mardi ou un jeudi que je fus jetée à la mer. Pas d’une plage ou d’un endroit romantique, mais d’un cargo. Cela faisait six mois que nous avions embarqué, quand je dis « nous », je parle de mon propriétaire et moi. À la base, j’étais une bouteille de rhum, mais les soirées alcoolisées s’enchaînant et je fus bientôt vide. Cependant, j’eus un destin bien différent de mes camarades. Un soir, alors que j’avais servi mon dernier verre, mon maître s’approcha et me cacha dans son sac. Le jour où il me sortit, je crois que c’était un mardi ou un jeudi ; il faut me comprendre, je n’avais plus aucune notion du temps.

C’est alors qu’il glissa une longue lettre et un très beau collier. Mais je m’inquiétais surtout pour sa belle lettre qui, à cause de mes gouttelettes d’alcool, commençait déjà à avoir quelques taches. Et c’est alors que, sans prévenir, il me jeta à la mer. Bien qu’un peu effrayée par la chute, je me réjouissais déjà de ce voyage marin qui semblait assez paisible. N’ayant aucun repère géographique, je ne peux vous donner ma position exacte ; de toute façon, je ne connais pas grand-chose aux océans.
Je regardais encore une fois la belle lettre : elle était complètement imbibée d’alcool ; quant au petit collier, la chute l’avait fait entrouvrir. Je pus apercevoir le visage d’une grande et belle femme noire, certainement son épouse ou une amie.
Comme le temps me paraissait bien long, je fis un petit somme. Je ne sais pas combien de temps je dormis, mais quand je me réveillai, j’étais à bord d’un bateau. Il ressemblait beaucoup au mien, mais l’équipage m’était étranger. Quelques minutes plus tard, on me posa sur une table face à trois hommes qui me dévisageaient comme si j’étais un objet interdit. Le plus grand, sans doute le capitaine, vu son bel uniforme, parla le premier :
- What is this?
Cependant, comme vous pouvez l’entendre, ce n’était pas notre belle langue française, mais de l’anglais. J’étais donc dans une mer étrangère. Après avoir lu ma lettre et plusieurs minutes de débat, les trois hommes m’ouvrirent et ajoutèrent chacun un de leurs effets personnels avant de me rejeter à la mer.
Je serais bien restée plus longtemps, car fatiguée du voyage, mais je n’allais pas insister vu qu’ils avaient quand même eu l’hospitalité de me faire monter à bord. Je continuai de dériver je ne sais où, mais un jour je sentis du sable sous ma paroi de verre. L’excitation d’une nouvelle aventure m’envahit : une grande main noire me sortit de ma rêverie. La main me porta jusqu’à son visage, puis me présenta à une tribu ou un village qui attendait derrière. Ils étaient tous de la même couleur que la femme sur la photo du petit collier. Étais-je arrivée à destination ?
Dans tous les cas, ils étaient ravis de me voir : à peine m’aperçurent-ils qu’ils poussèrent des cris d’animaux avant de me remplir de sable et de me renvoyer à la mer. Choquée par l’impolitesse de ces gens, je fus quand même contente d’être relancée, même si je commençais à avoir le mal de mer.
Mon voyage se termina deux jours plus tard. Le sable menaçait de me faire couler chaque jour, si bien qu’alors que j’étais dans une eau peu profonde, les coraux brisèrent ma petite paroi et, le lendemain, malgré ma volonté, je finis par couler. Mais ne soyez pas tristes, car j’ai coulé à côté de poissons très sympathiques qui habitent avec moi. Au fait, la lettre s’est retournée en coulant ; même si l’encre est un peu effacée, je vais vous la lire :
Bonjour,
J’espère que des personnes trouveront cette lettre. Cette bouteille est pour tous ceux qui se sentent seuls. Voilà un petit souvenir de mon pays d’origine, et vous, d’où venez-vous ? Mettez quelque chose, vous aussi, et remettez cette bouteille à la mer pour qu’elle apporte du réconfort à d’autres personnes sur les mers. Vous aussi, jetez un peu de votre cœur à la mer.
Voilà un dernier mot avant de vous laisser : il faut savoir que peu de bouteilles arrivent à destination et beaucoup se perdent, mais les cœurs et les espoirs dedans, eux, continuent leur chemin et ils parviendront à quelqu’un un jour.
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