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On est ensemble

On est ensemble

Publié le 30 nov. 2023 Mis à jour le 9 janv. 2024 Culture
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On est ensemble

Dès mon arrivée à Tombouctou avec un équipe mixte de chercheurs et techniciens d'un projet UNESCO-CNRS qui avait démarré en 2003 et qui s'était poursuivi jusqu'en 2010, je m’étais dit que j'avais fait un voyage dans le temps, non pas dans l'espace. Rien ne semblait avoir changé depuis la fondation de Sankoré, la plus grande université d'Afrique sahélienne du moyen âge, qui trônait au milieu de la ville. À peu près aussi ancienne que les premières universités anglaises, italiennes ou françaises, cette Sorbonne du désert avait formé des générations d’érudits, de théologiens, d’astronomes, médecins, historiens musulmans. Mais à la différence des universités d’Oxford, Padoue, Montpellier, Sankoré avait été effacée des circuits du savoir de l’humanité. Seuls les grands spécialistes d’études islamiques étaient au courant de son existence, tout comme de l’existence de sa bibliothèque datant du XVIème siècle.

La ville de Tombouctou vante une cohérence de fonds manuscrits unique au monde qui se ramifie à partir de l'université dans un dédale de bibliothèque privées, dont certaines ne contiennent que quelques volumes, d'autres sont de taille monumentale. Visiblement les collections d’ouvrages avaient été constituées avec un but très précis, mais tellement éloigné dans le temps que l’on en avait perdu toute traçabilité. Peuplée de textes aussi inédits que précieux, Tin-Buktu se dressait, imposante, devant mes yeux, parfaite et intègre, immense de mots cachés, dans son désert de pierres et de poussière. Environ sept-cent mille ouvrages manuscrits, conservés dans une ville de moins de cinquante mille habitants, dont seulement une poignée connaît l'arabe - langue dans laquelle les textes sont écrits - parmi le peu de monde qui sait lire et écrire sur place. Des bibliothèques manuscrites d’une valeur inestimable parfois à l’usage d’une seule et unique famille, souvent même pas fortunée, mais qui a su cumuler – comme toute autre marchandise transportée par les caravanes – la sagesse humaine de son époque. Et elle s’était couchée, cette sagesse, in folio, après avoir dit ce qu’il y avait de mieux à dire, dans un hic et nunc révolu depuis des siècles, mais indépassable comme tous les hic et nunc.  Par définition. Finie l’époque d’or de Sankoré, ce savoir s’était tût dans son silence d’encre, gardé par un peuple d'analphabètes vouant à l’écriture le culte qu’on doit à tout Dieu dont on ne connaît rien d’autre que la capacité de garder les choses dans l’Être, en les arrachant au néant auquel elles auraient été promises en son absence. 

 

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