Félicitations ! Ton soutien à bien été envoyé à l’auteur
Chapitre 1 - Reconstruction

Chapitre 1 - Reconstruction

Publié le 23 août 2024 Mis à jour le 2 oct. 2024 Humour
time 8 min
0
J'adore
0
Solidaire
0
Waouh
thumb 5 commentaires
lecture 27 lectures
3
réactions

Sur Panodyssey, tu peux lire 30 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 29 articles à découvrir ce mois-ci.

Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit ! Se connecter

Chapitre 1 - Reconstruction

- Il est où l'urinoir à vinasse?

Vautré sur son nuage, le cul offert au vent, le ventre bien au chaud sur son épaisse brume bleue, humide et cotonneuse, les deux bras engloutis au sein même de son lit, plongés au plus profond de son cœur shamallow, Cupidon observe.

- Cupilcolo! dit Saint Pierre en hurlant, la bave aux lèvres, la rage aux dents, car tout saint qu'il fût, Saint Pierre était de nature hargneuse. Tu me fais quoi, là? Montre-moi tes mains!

Il ôte avec peine ses deux bras engourdis du milieu mi-aquatique mi-ouaté, mi-sucré qui constitue son nid, les projette vers l'avant, étire vers l'arrière ses deux jambes amaigries tout en cambrant son dos, dans une imitation pitoyable et grotesque d'un superman à prix réduit. Par ce mouvement idiot, ses ailes tachées et déplumées se redressent avec peine pour pointer vers le haut, tandis que vers le bas, c'est un bout de chair rose qui dépasse mollement de son petit cumulo-nimbus.

- Tu es vraiment ignoble Cupilcolo. Tu matais quoi encore? Et où sont ton arc et tes flèches?

- L'arc? je l'ai échangé contre une bouteille de Gin et les flèches, contre de la crème hydratante. J'ai horreur de me toucher avec les mains sèches. Pas toi? Et arrête de m'appeler Cupilcolo s'il te plait. Je ne suis pas alcoolique. J'arrête quand je veux. Et je ne veux pas.

- Si tu le dis. En attendant va te laver et te raser, même si tu as probablement plus de poils sur les testicules que sur ta trogne couperosée. Tu as du boulot.

- Rien d'urgent.

- Comment cela rien d'urgent? Tu n'as pas l'impression d'avoir fait preuve d'une certaine incompétence depuis un siècle ou deux?

- Et toi depuis deux mille ans, et l'autre depuis...

- Ce n'est pas la question! l'interrompt sèchement Saint Pierre. C'est quoi cette nouvelle manie de n'envoyer qu'une flèche à la fois?

- Economie budgétaire, tu devrais me remercier. Ça te paye la lumière sur ta putain d'auréole. Au fait je ne t'ai jamais demandé: ça ne t'empêche pas de dormir la nuit?

Saisi par le sérieux de la question et un peu étonné que l'on s'intéresse à lui, Saint Pierre commence à répondre avec application.

- Non, en fait, pas vraiment, il y a un…

Se ravisant soudain, il reprend le fil de sa céleste rage.

- Mais bordel, ne change pas de sujet! Et le pauvre con qui se retrouve seul amoureux, tu en fais quoi?

- Il peut toujours s'acheter de la crème hydratante, c'est plus utile qu'une flèche. Réponds Cupilcolo avec désinvolture.

- Tu te fous de ma gueule!

L'univers s'assombri, la création se tend, le continuum exhale une odeur de rat mort de plus en plus marquée au fur et à mesure que la colère du Roi des Saints se développe et s'exprime en hurlements quasi divins.

- Easy San Pietro. Ça va finir par puer encore plus que moi. Regarde un peu en bas avant de te chatouiller, dans ce coin, là.

Il perce de son ongle crasseux et à moitié rogné un point nanoscopique de la matrice cosmique avec une précision angélique (chérubine pour être précis, séraphique même peut être). Une image déformée apparait.

- Je ne vois rien, zoom.

Cupilcolo presse alors la pulpe de son pouce sur celle de son index et d'un mouvement lascif écarte ses deux doigts, grossissant d'un seul coup la photo distordue, la transformant alors en un cliché d'une parfaite netteté.

- UHMTPCP (Ultra Haute Méga Terrible Putain Ça Pète) définition. Je parie que tu ne sais pas faire ça!

 Saint Pierre s'approche doucement et du même mouvement amplifie les détails, révèle chaque pixel dans sa complexité, multiplie les couleurs au-delà du visible, explose la profondeur et superpose les plans à l'infini, puis détoure tout objet qui peut se révéler au milieu d'une scène plus réelle et vivante que ne sera jamais la moindre réalité.

- UHMTPCPDTC définition.

- OK, je m'incline, dit Cupilcolo avec respect.

- Et je dois voir quoi, pour le coup? demande Saint Pierre.

- Regarde bien, regarde mieux.

Un homme de petite taille, la cinquantaine fragile, son regard intérieur affolé tourné vers un passé insipide, un présent inutile et sa suite sans intérêt fait face à un écran. Ses mains s'agitent doucement sur un clavier noirci par les souillures du temps.

- Zoom sur le moniteur, et regarde ce qu'il écrit.

Saint Pierre s'exécute et commence à lire: "Tu vas gouter ton sang, mélangé à ta crasse, aux abcès de ta bouche, ta merde au bout des doigts. Et tu vas avaler. Et tu vas t'en nourrir. Tu comprendras alors à quel point tu n'es rien, que ta vie ne compte pas, que tu n'es même pas.".

 - Il n'a pas l'air en forme. Je suppose que tu y es pour quelque chose? Saint Pierre semble calmé, même un peu résigné.

- Attends, tu vas rire. Prends un siège. Il désigne du menton un strato-cumulus passant juste à côté. Saint Pierre le saisit, s'assoit et puis observe à son tour.

- Tu n'as pas une bière?

Cupidon sort de son nuage une bouteille en verre au contenu jaune bistre légèrement angoissant. Il l'essuie sous son aile.

- Tiens. Elle est tiède et elle colle peut-être un peu. Mais c'est tout ce que j'ai.

- Pas grave, donne.

Saint Pierre s'en empare, la décapsule d'un coup net et tranché avec son auréole et s'abreuve goulument.

- Ben dis-moi mon cochon, tu caches bien ton jeu!

- C'est bon, le Vieux est parti pisser. Il en a encore pour plusieurs siècles. La prostate, c'est moche.

- Shiva n'est pas censé assurer l'intérim?

- Le Dieu de la destruction? Celui qui passe sa vie à tirer sur des joints et qui ne sait rien foutre de ses vingt doigts? Laisse tomber. C'est moi qui compense, comme d'habitude. Bon, maintenant explique moi, il a quoi ce con?

- Une victime de ma mono flèche!

- J'avais déjà compris. Mais encore?

- Continue à lire sa prose. C'est nul, mais c'est instructif.

- Comme la bible?

- Non, c'est moins nul quand même.

Saint Pierre reprend sa lecture. Il se demande vraiment comment ce pauvre bougre a pu en arriver là. Il décide alors de consulter son dossier, sort de sa poche un petit rectangle translucide et commence à l'effleurer. Une lumière azurée s'en échappe projetant des données partout sur le néant.

"Il n'a pas l'air si con. Il n'est pas vraiment beau (je reconnais quand même que Dieu n'a pas fait beaucoup d'effort sur ce coup-là), mais il compense au mieux en prenant soin de lui. Des parents juste utiles, mais pas vraiment aimants, mais pas vraiment absents, pas vraiment un peu tout, mais vraiment pas assez sur absolument tout. Une sœur ainée humiliante à la moindre occasion, aujourd'hui comme avant, avec condescendance et une fausse affection, mais rien de si perturbant. Une vie plate comme un pain qui refuse de pousser malgré un bon levain et une température à peu près adaptée, voilà tout. Il a beau essayer sans cesse depuis bien des années de croire un peu en lui, à sa chance de s'élever, il n'y arrive pas. Et le cœur n'y est plus. La routine.

Et puis, il se plaint de quoi? Un boulot très tranquille et pourtant bien payé. Une femme intéressante, il n'est pas mal tombé. Mais pas faite pour lui, qui a force d'espérer préfère le détester. Au moins le mépriser. Mais rien à lui reprocher. Et des enfants fabuleux (il faut que je les garde à l'œil ces deux-là). Et de belles rencontres, la dernière est sublime, assurément. Et...c'est quoi ces conneries Cupidon?"

- Oui, tu as vu, c'est marrant ça non?

- Marrant? Une flèche isolée dans la vie d'un homme, passe encore. Deux flèches, c'est une coïncidence. Trois c'est de l'acharnement. Mais quatre, c'est du sadisme! Tu es un putain de fils de pute!

Sa colère reprend. Et avec elle l'odeur de charogne qui l'accompagne souvent.

- Ouaaaiii, dit Cupilcolo avec délectation, vice et un sourire baveux. Mais n'oublis quand même pas qui est ma mère!

"C'est ce que je viens de dire. Tu es une crevure Cupilcolo. Si si. Vraiment. Mais il avait renoncé bordel! Alors, pourquoi tu l'as forcé? Tu as vu le résultat? Des mecs mutilés par les guerres, des enfants maltraités, des femmes violées et torturées, cela fait déjà suffisamment de désespérés, tu ne crois pas? Et un désespoir acceptable, compréhensible, légitime au moins. Mais lui, lui...lui, rien n'est justifié! C'est juste un sachet de thé qui se plaint que l'eau est trop tiède!  Il est fadouille, insipide, mou du genou, comme à peu près tout le monde. Il aurait dû finir heureux et confiné à bouffer des compotes dans l'Ephad d'à côté, à roter et grogner, remplir ses couches et se souvenir du souvenir de l'idée fantasmée de ses belles années. Et au lieu de cela, tu lui offres quoi?"

L'odeur est écœurante. Elle sature tous les cieux, dans toutes les dimensions. Cupidon y semble pourtant insensible.

"Je lui offre une peine à taille humaine, un moteur efficace pour le faire avancer. Pas de celles qui déchirent toutes nos ambitions, les peines insurmontables, les affres en rébellion. Une peine à sa portée. Je lui offre une douleur acquise à moindre coût. Je lui offre une souffrance qui ne tient bien qu'à lui, qu'il peut combattre seul sans dépendre d'autrui. Ou alors pas beaucoup. Si quelqu'un l'aide un peu, ça peut se concevoir, à lui d'en décider. Mais Dieu ne l'aidera pas, il n'a pas à prier, il n’y est pas obligé. Et c'est là mon offrande, en tout cas la première. Car je lui offre aussi mon carquois et mes flèches. Je lui accorde le droit de tirer à ma place la seconde des deux. Et de choisir sa cible. A lui de viser juste et d'essayer encore, encore, encore, encore... Et s'il renonce alors, ce sera par son choix. Il veut se déconstruire? Eh bien il a raison. A condition, bien sûr, et pour toute ambition, de vouloir reconstruire. Et s'il le veut vraiment, je lui offre la brique, le mortier et l'enduit de sa reconstruction. C'est là mon dernier don."

Sur ces mots il se retourne et cale bien son dos sur sa couche éthérée, allumant un cigare sorti d'on ne sait où, sa nuque soutenue par ses bras repliés, son havane brun fumant serré entre ses dents et le sexe raidi d’une splendide érection perçant le firmament.

lecture 27 lectures
thumb 5 commentaires
3
réactions

Commentaires (5)

avatar

Luce il y a 24 jours

You’re welcome !

avatar

Luce il y a 24 jours

C’est raide ! Surtout la fin 😂! Mais quel style… ! Classe !

avatar

Arthyyr il y a 24 jours

Merci Luce.

avatar

Arthyyr il y a 24 jours

Merci Luce.

avatar

Luce il y a 24 jours

J’aime bien mettre parfois des petits passages trash au milieu de mes niaiseries mais là… on est dans la haute voltige 😉

Tu peux soutenir les auteurs indépendants qui te tiennent à coeur en leur faisant un don

Prolonger le voyage dans l'univers Humour
CHAPITRE XV
CHAPITRE XV

CHAPITRE XV : Où les combattants se découvrent   Après r&eac...

Cedric Simon
8 min
CHAPITRE XIV
CHAPITRE XIV

CHAPITRE XIV : Où il est indispensable de connaître l’Art de la Guerre

Cedric Simon
6 min
CHAPITRE XIII
CHAPITRE XIII

CHAPITRE XIII : Où l’information fait le pouvoir et inversement. Le lendemain mat...

Cedric Simon
6 min
Challenge - Mon ami Mike
Challenge - Mon ami Mike

  Consigne : vous devrez partir d'un brouillon d'histoire que je vais écrire dessous, qui sera un flo...

Aurore Dulac
4 min
CHAPITRE XII
CHAPITRE XII

Où il est démontré que la politique est un monde féroce Le 3&egra...

Cedric Simon
10 min
LE CHEVAL CABRÉ
LE CHEVAL CABRÉ

Le cheval se cabre et ses antérieurs s’agitent au-dessus de l’homme. Un geste, et l'homme fragile s'&eacu...

Cedric Simon
3 min

donate Tu peux soutenir les auteurs qui te tiennent à coeur

promo

Télécharge l'application mobile Panodyssey