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Petite philosophie de la pluie

Petite philosophie de la pluie

Publié le 6 oct. 2025 Mis à jour le 6 oct. 2025 Aventure
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Petite philosophie de la pluie

Chapitre 1: le bulletin météo, une éthique du trempé


Un bulletin météo....


Voilà des années que je n’ai plus écouté de bulletin météo! Ni d’informations, ni de télévision, ni d’émission de radio… A quoi ça sert un bulletin météo? Si je veux savoir quel temps il fait, j’ouvre les yeux, la fenêtre, j’ouvre les narines et me voilà renseignée. Je ne prévois rien de spécial.


Cette attitude m’a déjà valu de nombreuses déconvenues, comme me faire surprendre par un orage froid et soudain en haute-montagne, contrainte de trouver refuge au milieu d’un troupeau de bovins, à dix kilomètres de la vallée. Dix pauvres petits kilomètres qui, sans la présence de ces vaches, auraient suffit à me refroidir, dans tous les sens du terme.



Pourtant, les prévisions météorologiques sont souvent fallacieuses.


N’étant ni exploratrice ni navigatrice, qui plus est, je me fous des orages. Ou plutôt non: je les adore. Comme j’adore les canicules et les grêlons. J’aime ces excès et ces douceurs imprévisibles de la nature, aussi majestueuses que dangereuses, fascinantes quand on les observe depuis un abri douillet. Et lorsque je me fais avoir, imprudente, et bien tant pis pour moi. Cela donne des aventures à raconter, des rideaux d’eau à traverser à cheval au galop, à vélo avec mes enfants que je ne distingue plus, aveuglée par la violence du déluge (je suis une mère indigne), cela donne des kilomètres de souffle court, de fatigue, de soleil brûlant les pierres et le maquis et une marche lente et intérieure. Il faut alors s’économiser. Ralentir. Cela donne des tempêtes de neige et mes cheveux transformés en stalactites qui me fouettent douloureusement le visage.


Je passe mon temps dans la nature. Je randonne, je pédale, je chevauche et je bivouaque. L’essentiel est de trouver suffisamment d’herbe et d’eau pour les chevaux à l’étape. Le reste est accessoire. Tout le reste. Alors, le bulletin météo… Quand le soleil brille, j’ai chaud, je cherche l’ombre, je ralentis. La soif et l’insolation me guettent? Je m’arrête. L’eau, c’est la vie dit-on.. Oui, c’est l’essentiel. Ce n’est ni poétique, ni joli, c’est. Je m’incline. Il pleut? Lorsque ça dure depuis des jours, que je replie mon sac de couchage et ma tente mouillés, lorsqu'un cheval a déferré dans la boue et qu’une trousse de maréchalerie de fortune doit faire l’affaire, lorsque mes sous-vêtements, mes os, sont définitivement trempés sous ma cape et ma polaire transformée en serpillière, j’ai envie de pleurer, pour ajouter quelques larmes à l’eau dont les nuages nous aspergent. Le regard doux de mon cheval m’est un baume: lui ne comprend pas ce que je trouve à redire à cette bénédiction naturelle qui glisse sur le poil, qui rend l’herbe savoureuse et si je ne portais pas tant de couches textiles sur mon corps, tant de bazar, allant du téléphone qui s’éteint sous l’eau à la frontale nageant dans ma poche, mélangée à une bouillie de biscuit et de mouchoir en papier, je ne souffrirais pas de cette désagréable sensation de colle et de froid.


C’est l’équipement qui n’équipe plus rien, l’équipement transi et gorgé d’eau, la destination obligatoire, le rendez-vous, le bulletin météo, l’horaire et l’organisation et non la pluie torrentielle qui, à ce stade, me pèsent. Les attributs de la civilisation me semblent lourds, absurdes, toutes ces parades, ces garde-fous sensés me prévenir et me protéger… Je veux m’en défaire. Il n’y a pas de parade à la versatilité des éléments. D’ailleurs, puisqu’il pleut, changeons de trajectoire. Tournons le dos au vent, aux bourrasques, aux grêlons et attendons. Attendons que ça passe.


Protégeons-nous, toujours de la même manière, en prenant soin, en nous appuyant les uns sur les autres, en nous massant en troupeau sous les arbres, en présentant la croupe et non la tête à la tornade en cours. Et attendons. S’il pleut, c’est bien et quand c’est fini, c’est bien aussi.


Recroquevillée sur mon cheval, je n’insiste pas. Je laisse faire, c’est l’occasion d’apprendre. J’observe le dos des autres chevaux collés à nous, le trajet de l’eau sur leur poil sombre, j’écoute le chant de la pluie, leurs reniflements paisibles, j’observe un mouvement d’oreille, une goutte qui rebondit sur les crinières, j’écoute mon propre souffle, tout petit, presque inaudible, intérieur. Je fais le dos rond, moi aussi. J’observe la peau fripée de mes doigts et les cache sous une mèche de crins noirs, je sens la chaleur de l’encolure et des flans se diffuser dans mon propre corps. Je reste en vie.



Chapitre 2: Un geste involontaire.


Je reste en vie.


Un geste involontaire, dicté par l’eau. Dicté par l’eau?


C’est bien au moment où j’abandonne toute velléité de contrôle et de prévision que la protection du groupe se met en place. Elle n’a pas pour but de me barricader et de m’économiser la traversée d’un évènement météorologique inconfortable, non. Elle ne me pousse pas à me défendre ni me cacher, ni à me priver de l’expérience. Non. La protection proposée, celle du troupeau, d’une sagesse simple, si simple que je n’y avais pas pensé est contenue en ce mot: accepter. Accepter la pluie, être mouillé, transi de froid, frissonner et pleurer, se résigner et se laisser aller.


Etre trempée, détrempée, humide, fripée, moisie, gelée, dégoulinante, collante, imbibée, gorgée de pluie. Etre en vie. Savoir qu’être en vie, c’est aussi cela. Remercier la terre. Remercier la boue, la glaise, la végétation, les nuages et tout le reste. Attendre, sans pour autant présenter son visage au gifles de grêle, mais sans courir, sans paniquer, laisser passer l’averse. Ça se calme un peu et nous reprenons notre marche.


Au déluge s’est substituée une bruine fine et régulière. Une persistance humide tranquille, qui se fraye son chemin à travers mes vêtements déjà vaincus. Régulièrement, j’essore le bas de mon pull qui se vide en cascade sur mes genoux. Alors que nous approchons de l’étape, je fais une halte près d’un ruisseau au bord du sentier. Le filet d’eau s’est transformé en torrent. Je desserre la sangle de la selle, enlève les rennes et accroche la longe à une ficelle bleue sous le licol de mon cheval. Nous continuons à pieds. J’ai toutes les peines du monde à attraper cette satanée ficelle, mes doigts sont gourds et mon cheval tend le cou pour brouter sans rester une seconde tranquille, il a ses priorités. L’herbe près du ruisseau l’intéresse particulièrement et je l’enjambe, campée dans la boue, un pied de chaque côté du petit cours d’eau. Ainsi, ce sera plus facile, plus à ma main. Mais l’occasion est trop belle, et je reçois un coup de tête farceur qui me précipite à plat ventre dans 20 cm d’eau froide, achevant, dans un éclat de rire, cette magistrale leçon.


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Jackie H verif

Jackie H il y a 3 heures

Brrr ! Je grelotte avec vous !! 🌧️🌨️❄️🌪️⛈️

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