Après la pluie
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Après la pluie
Après la pluie ?
Eh bien, encore de la pluie…
J’ai eu espoir de sortir pour ce premier jour de repos mais ce temps gris au lever m’a ôté toute énergie alors j’ai décidé de rester au chaud.
Face à la vitre, avec mon petit déjeuner, je regarde le paysage humide et boisé du jardin : des sapins, des chênes, des châtaigniers, de l’herbe, des ronces, des fougères, du lierre, de la mousse… Tout ce petit monde semble se redresser de bonheur sous l’eau et offrir ses plus beaux verts après l’été sec. Les rouges-gorges, eux, sont cachés sous des feuilles, bien à l'abri. Les écureuils sont plus discrets que d’habitude. Finis leurs courses poursuite et va-et-vient incessants ; il faut avouer que j’en suis un peu déçue. Seul mon tigre de poche ose se balader dans la jungle environnante. Il n’aura pas grand-chose à traquer à part quelques crapauds ou escargots mais il montre qui est le maître des lieux.
Ma tasse à la main, les yeux rivés sur le jardin, je souris. Ce petit monde dehors est si différent du mien à l’intérieur. Je me retourne, comme pour confirmer mes pensées. Je vois l’évier qui m’appelle avec la pile de vaisselle. Je pense au linge à plier, aux courses et au repas à faire. Je me souviens aussi des mails que j’ai à lire et des documents que j’ai à taper en apercevant mon ordinateur allumé. Mon sourire s'efface aussi vite qu'il est apparu et je laisse échapper un soupir.
Je me ressaisis.
« Non. Il n’y aura pas que mon chat qui s’amusera aujourd’hui et profitera de l’extérieur ! »
Mon moral remonte déjà. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis après tout.
Je pars de suite me préparer puis hop ! À moi la liberté.
Marchant dans la forêt, sous la pluie avec mes vêtements sombres, je me fonds dans le décor. Je prends exemple sur mon félin dans sa jungle et marche lentement, sans bruit. J’écoute, j’observe tout. A l’affût…
Durant ma balade, je remarque d’abord les petites toiles d’araignées. Il y en a entre les branches des arbustes mais aussi entre les hautes herbes ou les fougères. Visibles à présent grâce aux perles d’eau qui les recouvrent, je m’étonne qu’il y en ait tant. Les fils soyeux me semblent bien jolis ainsi mais je suis contente de ne pas croiser leurs créatrices. Je rencontre par contre quatre ou cinq limaces, heureuses de ce temps automnal. Elles glissent à mes pieds en m’ignorant complètement et laissent des trainées brillantes en zigzag sur le sol. Je me demande en souriant si elles savent où elles vont ou si elles aussi vagabondent là où le plaisir les conduit. Quelques oiseaux, téméraires, osent filer sous la pluie entre les hauts arbres, en gazouillant. Je m’amuse à imaginer que certains volent pour retourner vite auprès de leur famille, bien au chaud dans leur nid tandis que d’autres se lancent des défis pour voir lequel d’entre eux est le plus courageux malgré ce temps. Je finis par apercevoir un instant un chevreuil au loin. Je m’immobilise complètement le temps de son passage, cachée derrière des fougères. Il avance lentement tout en mangeant par-ci par-là quelques herbes ou ronces. Rien d’extraordinaire, il est vrai mais je trouve quand même cet animal drôlement majestueux.
Tout au long de ma promenade improvisée et hasardeuse, le bruit de l’eau qui tombe m’accompagne, bruyant et doux à la fois. Apaisant. J’entends aussi parfois des pommes de pin atterrir près de moi, signe que quelques écureuils continuent sans doute quand même là-haut leurs provisions. Je m’enivre des odeurs de terre humide, d’aiguilles de sapin. Je me délecte des « floc » que je fais dans les flaques, de la mousse moelleuse rencontrée par mes pas, des feuilles qui craquent par endroits et de l’eau qui glisse sur ma peau là où elle est nue.
Tout ici m’émerveille. Je me sens si chanceuse d’être là. Et je me sens… vivante ?
Quand bien après mes jambes me ramènent devant chez moi, il ne pleut plus. Mon premier réflexe est de chercher mon chat. Tapi dans les hautes herbes, concentré, il fait toujours le guet et cela m’attendrit. Je m’approche de lui et il tourne alors son regard vers moi. Me reconnaissant, il ôte aussitôt son masque de fauve dangereux. Je l’envie. J’ai des difficultés de mon côté à me reconnecter à la réalité après cette longue escapade.
Il trottine à ma rencontre, joyeux. Je le prends dans mes bras et le caresse. Il ronronne, me donne des coups de tête et m’aide sans le savoir à retrouver mes marques en douceur.
Nous sommes trempés tous les deux mais nous sentons bon la forêt et l’automne. Preuve que ces dernières heures n’étaient pas un rêve. Cela me rassure.
Lorsque je me sens enfin prête, gardant cette tendre boule de poils contre moi, je me dirige vers la porte de la maison, résolue.
Et nous rentrons, ensemble.
Tels deux tigres satisfaits de leur instant de chasse.
Texte et photographie : Lahoussine-Trévoux Estelle