Le prix de la gratuité
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Le prix de la gratuité
19 Oct 15
Revenons à la mission (bien que mon précédent article n'est pas sans lien avec celle-ci, qui en est l’illustration, et que je vous invite donc à relire).
Nous avons préparé la semaine dernière la MAP, la mise à plat du projet. Il s'agit d'un bilan réalisé par chaque pôle d'activité pour faire la critique de ses actions, analyser ses difficultés, et faire des propositions pour l'année à venir. C’est l’occasion pour les membres du terrain de faire remonter au siège à Paris ce qu’ils ont constaté durant leur mission. C'est aussi le moment de s'interroger sur la pertinence du projet et de réfléchir avec plus de recul de l'évolution qu'on souhaite lui donner. Fort de cette base et des échanges qui vont suivre, le Desk décidera des prochaines directives.
Au niveau de l'U.P, les regards se sont avant tout portés sur la structure même du projet. En effet, nous sommes un projet vertical, qui se cible sur une pathologie donnée, le paludisme, et fonctionnant de manière totalement indépendante du reste de l'hôpital, et en particulier du service de Pédiatrie. Au final, une structure gratuite coexistant avec une structure payante. Une structure bien dotée en matériel, en personnel et en médicaments face à une structure sous dotée à tous les niveaux, malgré un appui régulier de MSF (je vous rappelle qu’une seule personne est rémunérée par le ministère de la santé pour faire tourner un service de 20 lits 24h/24,7j/7). Un système de transport des patients gratuit des centres de santé vers l'hôpital (prise en charge du moto-taxi que nous appelons clandoman, ce qui est le plus coûteux pour les familles) soumis à un examen, le TDR Paludisme, définissant qui peut en bénéficier et qui n'en bénéficiera pas. Et un constat général : à l'UP, on fait de la Pédiatrie générale, on prend en charge toutes les pathologies, les infections respiratoires et cutanées, les fièvres, les diarrhées, les parasitoses, la malnutrition sévère, à condition que l'enfant ait un taux de parasites suffisamment important dans le sang pour positiver notre test. Cela ne veut pas dire que son problème du moment soit un accès palustre ; cela veut juste dire qu’il a un seuil suffisant de parasites dans le sang pour potentiellement déclencher un accès palustre.
D'où de nombreuses difficultés rencontrées : bataille sur les critères d'admission à l'UP, pipotage pour pouvoir bénéficier du référencement gratuit (TDR annoncé positif et recontrôlé négatif, fausses déclarations de convulsions infirmé par les parents à l'admission,...), difficultés relationnelles avec la pédiatrie qui cherche à tout prix à se débarrasser de ses cas les plus graves, quitte à nous adresser un patient avec un problème chirurgical urgent sous prétexte que son TDR est positif... Et un grand dilemme éthique : Un enfant ne pourra bénéficier d'une prise en charge gratuite et de qualité qu'à la condition qu'il soit impaludé.
Enfin, une dernière question : que laisserons-nous à Moissala une fois partis ? Nous aurons permis de préserver une génération d'enfants de 5 ans du paludisme ; mais quel transfert de compétences et quelle amélioration du réseau sanitaire existant aurons-nous accomplis ?
D'où l'idée de proposer que quitte à faire de la pédiatrie générale, autant prendre en charge toute la Pédiatrie, de 0 à 5 ans (la catégorie la plus fragile), cela éviterait tous ces problèmes et permettrait d'assurer à tous les jeunes enfants une égalité de soins et de réduire la mortalité toutes causes...qu’ils aient un TDR positif, ou non.
Belle idée, en effet, que je partage à priori. Mais il faut savoir prendre plus de recul et réfléchir à la vocation même de MSF, de manière générale et spécifiquement ici à Moissala.
MSF est une association d'urgence médicale. Elle vise à apporter un soutien médical en cas de situation de crise où les structures sanitaires locales sont dépassées. Catastrophes naturelles, conflits armés, épidémies, déplacements massifs de population…sont ses terrains de prédilection. Elle a choisi aussi ces dernières années de s'orienter vers des projets de plus long terme, comme la prise en charge du VIH ou de la tuberculose, mais cela obéit à une autre conception du projet, qui se rapproche plus d’une logique de développement que d’une logique d’urgence (les 2 grands axes en matière de travail humanitaire).
Ici à Moissala, le terme d' « urgence programmée » a été utilisé pour justifier notre action concernant ce pic épidémique saisonnier, durant lequel les structures sanitaires existantes sont incapables de répondre correctement à l'afflux massif de patients et notamment d'enfants impaludés, avec une augmentation franche de la mortalité infantile. Le projet a été conçu comme tel : MSF arrive avec tous ses moyens, s'occupe de tout prendre en charge, avec une unité de prise en charge des cas de paludisme grave (l'UP), et un travail de prévention avec la distribution de la CPS, des campagnes de pulvérisation de répulsifs dans les foyers, la sensibilisation aux mesures de prévention, déchargeant ainsi le Ministère de ce fardeau.
Et nos interlocuteurs ne s'y trompent pas : ils cherchent toujours à savoir comment tirer un peu plus sur la vache à lait que représente MSF.
Donation exceptionnelle initiale de médicaments pour combler des ruptures qui se transforme in fine en approvisionnement régulier de l'hôpital et des centres de santé ;
construction de bâtiments et installation de générateurs d'électricité pour l’UP qui servent désormais à alimenter tout l'hôpital, et pour lequel le médecin chef de l'hôpital revendique inlassablement le rattachement de son domicile personnel à ce réseau ;
système de primes systématiquement exigées par nos collaborateurs pour toute action initiée par MSF, même si elle est censée leur faciliter le travail : prime pour assurer le dépistage et la prise en charge du paludisme ; prime pour la mise en oeuvre de la CPS, soulageant pourtant la quantité de consultations aux centres de santé ; primes pour toutes les formations organisées par MSF...
D’un côté les soignants réclament une prime de compensation, car MSF par sa présence diminuerait le nombre de consultations et le nombre d’hospitalisation, et générerait ainsi "un manque à gagner" ; de l’autre, ils réclament aussi une prime pour la charge de travail que MSF leur délègue, comme partenaire de ses actions. Et même si ces responsables sont pour quelques jours en formation avec l'Unicef, ils revendiquent leur prime mensuelle complète pour un travail qu'ils n'ont de fait pas effectué. Dernière en date : le médecin chef de district qui demande à ce qu'on lui paye 20L de Gasoil pour nous accueillir au District afin de discuter du projet, dans le but de faire fonctionner le générateur d'électricité de son propre batiment…
A aucun moment on ne trouve des interlocuteurs qui ne se sentent concernés par le bon fonctionnement et l'amélioration de la qualité de leur système de santé. C'est pourtant leur travail et leur raison d'être ! Ils ne perçoivent pas MSF comme un appui pour les aider à faire face aux difficultés qu'ils rencontrent, mais comme une aubaine pour se décharger d'un certain nombre de tâches qui leur incombent, et dont ils cherchent à tirer le plus possible profit. C'est encore et toujours l'histoire du pêcheur à qui l'on apprend à pêcher plutôt que de lui donner le poisson ; mais si le pêcheur préfère le poisson et ne voit pas l'intérêt d'apprendre à pêcher, cela complique forcément les choses.
Pour exemple : dans une partie du district, devenu depuis le district de Bouna, il avait été envisagé une reprise de l'activité de CPS par le Ministère de la Santé. Tout avait été organisé pour les soutenir financièrement et dans la mise en œuvre opérationnelle, mais la direction de cette action leur revenait désormais. Deux mois avant, le Ministère reconnaît ne pas avoir réuni de fonds suffisants ; MSF se propose de les aider financièrement à hauteur de 50 puis 80 % du projet. 15 jours avant le début, ils déclarent ne pas avoir les moyens d'assurer ce travail, et demandent à MSF de s'en charger intégralement. MSF décline, et est désormais accusée d’avoir abandonné la population de Bouna à son sort.
D'où la question toujours de se poser la question des modalités de la fin de la mission et du retrait dès qu'on ouvre une mission. Je crois que MSF paie aujourd'hui le prix de la façon dont elle s’est présentée initialement. En utilisant le terme d'urgence programmée, elle a conçu son projet dans une logique de prise en charge et non d’appui à l’existant, et sans perspective de reprise progressive par son interlocuteur le plus concerné. Le jour où MSF va partir, l’opprobre sera jetée sur elle, accusée d'abandonner la population alors que le paludisme sévit encore, sans qu’il n’y ait de prise de conscience que c’est d’abord au Ministère de la Santé d'assurer cette mission de service public.
Oui je trouve aberrant et source de nombreux problèmes de coexister indépendamment à côté de la Pédiatrie ; et oui, je pense qu'on devrait travailler de manière intégrée pour une meilleure cohérence de notre action et pouvoir espérer laisser quelque chose à notre départ. A condition de trouver des interlocuteurs qui se sentent concernés par l’amélioration du système de santé, et enclins à travailler avec nous plutôt que souhaitant se décharger de leurs propres responsabilités et seulement intéressés par l’augmentation de leur propre prime.