Chapitre 11
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Chapitre 11
J’exhale un profond soupir en admirant le travail soigné d’Ogron. Il aime faire les vitres. J’aime bien lui laisser faire les miennes en échange de mon croque-monsieur. C’est comme un code entre nous. D’un point de vue mercantile, l’échange est déloyal mais cela lui permet d’être utile et de renforcer son sentiment d’importance. Depuis que Berniqueji a quitté la maison, Ogron vient de plus en plus souvent, comme investi d’une mission de protection rapprochée. Je laisse faire. C’est l’heure de se mettre au travail. On verra plus tard pour les vitres. Mais tout de même, j’aime l’idée de le décrire. Après l’Inde, Ogron.
C’est un grand homme des cavernes. Le crâne chauve et la barbe bien taillée. Il se promène tout au long de l’année dans la rue, avec son éternel bermuda. Il est pieds nus ou habillé jusqu’aux genoux de chaussettes dépareillées. Il refuse d’en porter deux pareilles. Dans les boutiques, Ogron ouvre les paquets de chaussettes pour les assembler lui-même de façon à ce qu’elles soient bien différentes. Un jour pas comme les autres, il réussit à se créer une dizaine de paires. Il enlève les étiquettes et les remet avec son propre assemblage. Tout ça, en ayant l’air de rien dans la grande surface. Mais son air de rien devient un air filmé par la caméra de surveillance. Le videur de la sécurité le met dehors. Ogron se retrouve sur le trottoir, pieds nus. Par chance, le magasin est excentré. Il évite ainsi une honte cuisante dans son quartier. Un jour tombé du ciel, le voisinage d’Ogron parvient à lui faire comprendre qu’il peut acheter une dizaine de paires normales pour les assembler librement chez lui sans enfreindre la loi. Tout simplement. Depuis que son voisinage lui a ouvert les yeux, il passe plus de temps sur ses vitres, il rationnalise son temps.
Entre temps, la nouvelle mode est sortie à Capcity-le-Soubresaut avec le port presque obligatoire pour tous de chaussettes dépareillées, sous peine d’être étiqueté dans le groupe des ringards. Les ménagères sont devenues dingues de cette mode. Elles n’ont plus à appareiller les chaussettes ni à les pincer en se mutilant le doigt. En observant l’engouement de tout le monde pour son idée, Ogron se détourne très vite de ce style vestimentaire. Il porte des bermudas en été comme en hiver et maintenant il dépareille les jambes de ses bermudas. Le travail est long et minutieux. Il doit défaire les coutures pour les assembler autrement, entreprise fastidieuse pour le grand public. Mais Ogron a une vision anticipatrice de la mode et quand il se concentre sur sa tâche de couture, support de concentration dans son travail, il réfléchit et mûrit sa créativité.
Une taupe dans l’immeuble pille peut-être les idées d’Ogron pour les commercialiser. Jambes de bermudas et de pantalons commencent à se vendre dans les magasins. Choix de la jambe puis assemblage par fermeture éclair selon les humeurs de chacun.
On note d’ailleurs à Capcity-le-Soubresaut un réveil explosif de l’activité des couturières dont la mission majeure est de coudre et de réparer les fermetures. Pour ma part, révolutionnaire parfaite dans le conformisme confortable de la société, je suis la mode. J’emmène avec moi pendant mes vacances une valise pleine d’habits à réparer ou à coudre, cela occupe ma mère. Mère-Grand est ravie d’aider à habiller dignement ses petits-enfants en brodant au coin de sa cheminée bretonne. J’avoue que cela m’arrange également.
Ogron vit en dehors du monde. Il se moque des agissements lunatiques de la masse. Sa tête est toujours en ébullition, proche de la surchauffe. Il cherche à innover. Il dessine. Plus c’est inutile, plus il est décalé et plus ses illustrations de graphiste déjanté respirent le délire et inspirent son public.
Ogron est un illustrateur caricaturiste de renom. Sa marginalité détonne et plaît. La municipalité fait appel à lui. Attention toutefois ! Ogron est tellement féru de sa liberté professionnelle qu’il daigne travailler avec les services municipaux seulement sous l’étiquette de free-lance et avec sa signature brevetée. Ses caricatures sur les affiches et les papiers de communication sont convoitées par toutes les villes voisines. Elles donneraient une grosse part de leur budget aux ancêtres pour dynamiter la langueur ambiante grâce aux dessins corrosifs d’Ogron.Il vient de commencer un atelier de dessin dans les écoles de la ville avec pour thème la caricature du monde des grands. Les enfants sont ravis d’expurger leurs sentiments ambivalents envers le corps adulte. Ils apprennent la technique du trait grossier pour représenter le maître ou la maîtresse. La mode de l’exagération du coup de crayon se répand aussi dans les entreprises. Les auteurs restent anonymes. Ils règlent leurs comptes avec les collègues à coups de caricatures placardées. On y reconnaît les défauts physiques et moraux. Dérapage.
Car dans le concept d’Ogron, la caricature n’est pas anonyme. Il réfléchit à la manière d’allier franchise, bonnes relations de travail et coup de patte. Tout cela au travers d’une bonté matelassée d’empathie. Indifférent aux répercussions de son charisme, Ogron n’a pas conscience de son potentiel avant-gardiste. Et là, il réfléchit.
Je me mets au travail.