Une mortelle mascarade...
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Une mortelle mascarade...
Lisbonne, 1928, palais du gouverneur
À l’occasion des cinquante ans du gouverneur, de grandes festivités furent organisées au palais de Lisbonne. Trônant au-dessus des maisons colorées, diverses lumières répandaient leurs paillettes d’or sur la capitale portugaise. Les voitures des hommes les plus riches de la ville se pressaient aux portes de la demeure, impatients de pouvoir se pavaner, s’exhiber devant leurs confrères.
Dans la grande salle de bal, les couples tournoyaient au rythme de la seconde valse de Shostakovitch, interprétée par l’orchestre symphonique viennois, qui malgré la guerre, terminée depuis bientôt dix ans, n’avaient aucun mal à se faire embaucher tant ils étaient doués et prisés. Les lieux, évidemment, grouillaient de monde venu parfois de pays étrangers, car le gouverneur était réputé pour la magnificence de ses réceptions.
C’était d’ailleurs une mascarade, inspirée des traditions vénitiennes, donnant alors aux invités l’occasion de se parer de masques multicolores et de tenues rivalisant de joyaux et d’ornements, tel un carnaval féerique, miroir de l’orgueil de ses participants.
Au milieu de tout ce beau monde, deux personnes se distinguaient. Tout d’abord le gouverneur, facilement reconnaissable à son habit blanc aux épaulettes rouges, qui valsait avec sa femme au centre de la piste, et régulièrement abordé par divers convives venus s’attirer ses faveurs grâce aux nombres de présents plus onéreux les uns que les autres, qu’il appréciait d’un hochement de tête et des quelques mots de remerciement.
La deuxième personne à attirer les regards était une femme aux cheveux ornés d’une parure d’obsidienne, le visage dissimulé par un masque comme fait de plantes sauvages, et à la robe lilas brodée au buste de fils noirs et argents. De fins gants de dentelles recouvraient ses mains, s’étendant jusqu’aux coudes et complétant sa tenue pour le moins atypique.
Ce n’est pas tant cela qui faisait tourner les têtes, mais plutôt son incroyable beauté, et le fait qu’elle soit accompagnée d’un nouveau partenaire à chaque nouvelle pièce, ce qui ne manquait pas d’attirer admiration, curiosité, voire jalousie.
-Mais qui est cette femme au bras du ministre des armées ?
-Je crois qu’il s’agit d’Édith Sinclair.
-La célèbre valseuse autrichienne ?
-Tristement célèbre vous voulez dire.
-Elle a réussi à garder son influence après l’accident ?
-Le mot accident me semble mal choisi, mais oui.
-Ce n’est pas surprenant ! Non seulement elle est excellente danseuse, mais sa beauté ne trouve pas d’équivalent en Europe.
-La meilleure dans son domaine, la dernière des valseuses de Vienne.
-Il y en a qui n’ont pas la vie difficile hein ! Tous les hommes sont à ses pieds, prêts à exaucer ses moindres désirs.
-En même temps, vu la marchandise…
-Je dois l’avouer, je la rejoindrai bien dans un lit pendant la soirée.
-Pour une telle créature, je pourrais succomber des centaines de fois au péché de chair.
-Mais qui ici oserait lui demander ce type de danse ?
-N’exagérez pas, elle reste une femme. Comment pourrait-elle refuser ?
-Si seulement la mienne n’était pas aussi jalouse…
Bien sûr, la jeune femme entendait ces conversations, et cela la faisait bouillir intérieurement. Mais elle devait rester concentrée. Ne pas se laisser distraire. Elle se contenta donc de sourire, de saluer son partenaire lorsque les dernières notes retentissaient afin de ne pas paraître suspecte. C’est alors qu’elle sentit une main sur son épaule. Elle se retourna. Un homme pourpre à la redingote noire se trouvait devant elle.
-Mademoiselle, auriez-vous la gentillesse de m’accorder cette danse ?
Elle hocha la tête, l’air enjoué. C’était un morceau de Vivaldi qui commençait, au tempo vif qui ne laissait au centre de la galerie que les plus aguerris des valseurs. Cela amusa la jeune femme car peu d’hommes osaient l’accompagner ainsi.
-Je dois avouer que je suis agréablement surprise monsieur ! lui lança-t-elle au bout de plusieurs minutes de silence.
-Et pourquoi donc ?
-Disons qu’il m’arrive rarement de tomber sur un aussi bon partenaire que vous.
-Je le prends comme un compliment. Mais je dois avouer Édith, si je puis vous appeler ainsi, que mes pairs se montrent de moins en moins habiles face aux femmes.
-Tiens donc ? soupira l’Autrichienne, tiquant à la mention de son prénom.
-Sans vouloir vous offenser, je ne comprends pas que l’on puisse être intimidé par la gent du beau sexe. Je suis sûr que vous êtes de mon avis.
-Je vous trouve quand même bien audacieux.
-Soit. Mais pour être franc, je ne vous ai pas approché sans intention. Car voyez-vous, je cherche à me marier.
-Félicitations à votre future épouse, mais je ne vois pas en quoi cela me concerne.
-Ne faites pas la désintéressée. J’ai besoin d’une compagne d’exception, vous avez besoin d’un homme puissant pour vous protéger.
-Et entreprenant avec ça ! Bien des femmes vous trouveraient plein de qualités, ironisa la danseuse, effectuant au passage un pas particulièrement complexe, obligeant son partenaire à la suivre.
Il se mit à rire.
-Vous êtes une dame acerbe. J’apprécie malgré tout ce trait de caractère chez vous. Me laisseriez-vous une chance de vous séduire ?
-En quel honneur ?
-Ce serait un juste retour des choses après m’avoir séduit de la sorte. Et honnêtement, sans doute que mon nom vous influencera dans votre décision.
-Il n’est pas encore minuit, ce serait une insulte envers notre hôte que de révéler nos identités avant l’heure, bien que vous sembliez connaître la mienne. Mais retrouvez-moi sur le balcon quand le clocher sonnera. Je vous y attendrai et nous reprendrons cette conversation.
-Vous me faites languir Édith. Mais soit. J’attendrais.
La pièce se finissait, et les deux partenaires continuaient de danser en silence, lorsque l’homme laissa descendre ses mains en dessous des hanches la valseuse, flattant ses courbes sans se départir d’un sourire presque victorieux.
Elle tressaillit et se crispa, mais n’en laissa rien paraître. Ils se saluèrent, chacun repartant de son côté en songeant au rendez-vous, et pensant tous deux :
-Plus que quelques instants à tenir. Quelques instants et tout sera parfait.
Peu avant minuit
L’homme au masque rouge attendait. Cette femme l’obsédait depuis son arrivée à Lisbonne, quelques mois plutôt. Il l’avait observé, fait des recherches sur elle, connaissait ses moindres faits et gestes. Quand bien même elle soit au courant, elle ne pouvait qu’accéder à sa demande.
Et outre sa renommée plus que profitable, c’était une personne particulièrement sublime, dont le corps sauvage ne demandait qu’à être apprivoisé. Il l’avait senti se tendre sous ses caresses pendant leur danse. Il l’avait senti frémir contre lui, sans pouvoir contenir la passion propre aux femmes aux mœurs légères. Et elle avait dû avoir de nombreux amants mais qu’importe, elle deviendrait sienne.
Il éteignit son cigare, par égard pour la demoiselle, lorsqu’il entendit la verrière s’ouvrir, accompagnée du claquement caractéristique de talons aiguilles.
-Je me demandais si vous alliez venir, mon cher.
-Moi, je ne doutais pas de votre présence.
Il se mit de nouveau à rire tandis qu’elle s’approchait du rebord de pierre du balcon. Elle sortit un petit miroir de poche, remettant son rouge à lèvres d’une main experte. Alors qu’il se mettait à sa hauteur, les douze coups de l’horloge retentirent, des cris de joie firent trembler la salle, et comme dans un conte fantastique, l’homme retira son masque, de même que sa compagne. Il se pencha vers elle, admirant son visage à découvert, la dévorant du regard sans dissimuler son envie croissante.
C’est alors qu’il fut parcouru d’un frisson, apercevant au fond des yeux de la jeune femme une étrange lueur, comme si elle lui disait :
-Viens, continue, finis ce que tu as entrepris.
Il décida d’accepter cette invitation avec joie, prêt à danser la plus belle des valses avec cette ravissante créature. Il se pencha vers la belle et l’embrassa, tandis qu’un feu d’artifice illuminait les jardins, la ville, la mer. L’homme goûtait les lèvres de la valseuse, lui saisissant les hanches pour approfondir le baiser. Il voulait lui ôter chaque couche de tissu, sentir sa peau nue contre la sienne, entendre sa douce voix brûler sous ses baisers, s’embrasant à deux comme il ne pourrait avec une autre femme.
Il se voyait déjà devant un autel, prononçant il ne savait quels vœux d’amour devant Dieu, qui les bénirait. Elle lui était destinée, à lui et à personne d’autre. Enfin, jusqu’à un certain temps. Malheureusement, pensa-t-il, toutes les femmes perdent leur beauté.
Soudain il sentit que quelque chose n’allait pas. Sa tête le brûlait, ses yeux semblaient fondre. Il s’écarta précipitamment, tombant à genoux pour vomir un flot de bile et de sang. Il entendit un gloussement moqueur.
-Qu’est-ce que tu m’as fait, pétasse ?
-Oh mon cher duc des Rodrigues, absolument rien.
-Comment…
Elle se pencha vers lui pour murmurer à son oreille, prenant l’allure sous le clair de la lune d’un démon sorti des enfers.
-Le poison mon cher. Le poison. La belladone pour être précise. Il serait malpoli de ne pas révéler à un mourant la cause de son trépas. J’aime avoir mes produits de beauté faits main. Et tu semblais si content de tester.
-Je…
-Je savais depuis le début qui tu étais. Je n’avais juste pas encore choisi ma cible. Mais qu’importe.
L’Autrichienne sortit des plis de sa robe un petit glaive orné de ronces d’étains, qu’elle leva au-dessus de la tête du Duc toujours agenouillé. Elle eut un instant de réflexion, et finit par lui remettre son masque, un air satisfait sur son visage. La laideur devait être dissimulée, c’était bien connu. Puis elle se redressa, son regard se durcit et prononça d’une voix grave :
-Dom Mendoza des Rogrigues, pour crime envers la gent féminine, viols, agressions et promesses non tenues, je te condamne à la peine capitale : la mort.
À ces mots, elle trancha le cou de l’homme d’un coup rapide et précis, qui s’effondra dans un dernier râle. La danseuse se détourna, s’accoudant à la balustrade pour admirer la ville, encore ignorante de ce crime. Elle avait laissé couler remarquablement peu de sang et ne s’était pas tachée, par rapport aux dernières fois. Le satin était tellement compliqué à laver.
Perdue dans ses pensées, elle suçotait distraitement ses doigts enduits du liquide vermeil. L’assassinat de l’un des hommes les plus importants du pays allait forcément faire parler. On allait la suspecter, dans la mesure où elle était l’ultime témoin de cette affaire. Mais elle ne s’en souciait guère.
Après avoir essuyé les lèvres de Mendoza pour ôter les dernières traces évidentes de belladone, elle agrandit la plaie béante présente sur le corps de l’homme. Elle traîna ensuite le cadavre jusqu’au bord du balcon pour le jeter dans le vide. Les experts de la police ne verraient que les traces du poison dans son œsophage et sa salive. Quant à la blessure, la chute camouflerait son travail. Elle serait soupçonnée un temps, mais serait bien vite innocentée grâce à quelques larmes et regards de biche apeurée.
En arrivant à la soirée, sa cible n’était pas encore désignée. Cependant, elle avait une liste de potentielles victimes, ce qui lui donnait le choix. Après tout, il n’était question que de se défouler, mettre un terme à une vie loin d’être innocente pour son plaisir malsain, mais aussi par vengeance. Vengeance de quoi ? Ce n’était pas le plus important. À nouveau elle se mit glousser. « La soif de sang et celle de justice ne font décidément pas bon ménage » pensa-t-elle.
Elle sentait s’enlever un poids de son cœur, celui présent parfois pendant des jours, et l’obsédant des nuits entières. Des petites « crises », des envies meurtrières qui surgissaient sans prévenir.
Elle goûta une dernière fois à son crime, sentant les effluves de sang se répandre dans l’air nocturne, puis laissa rouler sur ses délicates joues de porcelaine des pleurs, pouvant être attribués à l’horreur. Et quand elle fut satisfaite, elle hurla, rameutant sur les lieux convives et gardes.
Dans l’agitation de la foule, la Viennoise ne put remarquer une silhouette perchée dans le hêtre du jardin. Une silhouette qui avait assisté à toute la scène et s’amusait du jeu d’acteur plutôt remarquable de la valseuse.
Mais elle se tairait, ne voyant pas l’intérêt de dénoncer la jeune femme. Il fallait qu’elle reste libre, ou du moins en vie, pour que le Jeu ait lieu. Il n’y avait plus qu’à tous les contacter. Une nouvelle mascarade, bien plus sanglante, pourrait débuter. Et peut-être ne jamais se terminer.