Prologue - Risquer sa vie pour un pantalon
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Prologue - Risquer sa vie pour un pantalon
Une silhouette se dessinait lentement dans la brume matinale. Le silence régnait sur les lieux qui étaient déserts. La terre nue et sèche s’étendait à perte de vue, sa couverture craquelée surmontée d’un léger brouillard masquant les pierres. Quelques arbres morts aux branches recouvertes de mousse s’élevaient du sol tel des spectres menaçants. Une odeur âcre et persistante flottait dans l’air. Cet endroit n’en devenait que plus lugubre tout en répandant une atmosphère de danger et de misère.
— Merde !
Ce juron, crié sur un ton visiblement très énervé, brisa le calme des lieux et parvint aux oreilles de Cedrik. Il passa une main dans ses cheveux courts d’une magnifique couleur châtain clair en soupirant doucement. Un petit sourire amusé étira légèrement ses lèvres. Ses yeux noirs, malgré la teinte sombre, semblaient briller comme éclairés par des étincelles. Son visage avait des traits jeunes, mais trahissait cependant une certaine lassitude.
Il remonta le col de sa veste dans l’espoir de couper le vent froid qui s’engouffrait dans ses vêtements. Le bas de son manteau s’envola doucement, porté par la brise glaciale. Intérieurement, l’homme maudissait son pantalon bleu foncé usé, qui en plus d’être inconfortable, ne retenait en rien sa chaleur corporelle. C’était sans compter les bottes en cuir râpé qui semblaient avoir été taillées dans du bois tant elles étaient dures.
Mais c’était la loi de ce monde : il ne pouvait pas espérer mieux au vu de sa situation. Et encore, il n’était pas le plus à plaindre, certains n’étaient pas aussi bien équipés que lui.
Soupirant contre son infortune, Cedrik se dirigea vers l’origine du juron. La brume épaisse l’empêchait de voir bien loin, mais il n’avait pas besoin de regarder pour savoir où il devait aller. Ses sens le guidaient d’eux-mêmes. Effectivement, il discerna progressivement une ombre gris foncé sur le sol se dessiner à travers le rideau de poussières.
Ce voile céda rapidement la place à une forme humaine aux cheveux noirs mi-longs ramenés en arrière. Tournant le dos au nouveau venu, l’homme était accroupi devant des caisses en bois défoncées et des sacs en tissus déchirés qui avaient été abandonnés au pied d’un arbre mort. Manifestement, il fouillait les ordures pour une raison qui ne resterait pas longtemps inconnue à Cedrik.
— Salut Shao ! lança ce dernier d’une voix enjouée.
L’intéressé se retourna brusquement et fit un bon de trois mètres en arrière sous le coup de la surprise. Reconnaissant la tête de son visiteur, il laissa ses épaules retomber, se détendant légèrement. Ses yeux bruns et brillants trahissaient encore un reste de peur, tout comme son visage aux traits orientaux crispés. Cedrik lui donnait dans le début de la trentaine au maximum. Il ne portait qu’une vieille chemise sale dont il avait retroussé les manches, un pantalon taché et déchiré par endroit ainsi qu’une paire de bottillons dont la semelle se décollait.
— Tu m’as fichu une de ces trouilles ! souffla-t-il d’une voix tremblante en posant sa main sur son cœur qui battait toujours la chamade. Ne refais plus jamais ça !
— Ben mon vieux, ricana Cedrik en fourrant ses mains dans les poches de sa veste, un sourire moqueur plaqué sur le visage. Je pensais pas que tu aurais autant la pétoche.
— C’est pas drôle ! protesta Shao en se rapprochant de nouveau des détritus avant de s’accroupir pour reprendre ses fouilles. Hier, il y a trois brutes qui sont venues me chercher des noises. Tu m’étonnes que je suis sur les nerfs !
— Tu les as remballés, j’espère, lâcha son interlocuteur en haussant un sourcil interrogateur, bien qu’il connaisse déjà la réponse.
— Tu m’as bien regardé ? rétorqua amèrement le noiraud en tournant la tête pour lui lancer un regard assassin par-dessus son épaule. Je suis taillé comme un fétu de paille ! Ils m’ont réduit en charpies !
— T’as l’air plutôt en forme, pourtant, fit remarquer Cedrik en s’adossant à l’arbre mort, observant attentivement son ami.
— Les blessures étaient superficielles, marmonna Shao en vidant un sac devant lui. La régénération n’a pris que deux heures, mais je t’assure que ça me fait encore mal.
Les lèvres pincées, il examinait des pièces de tissus sales et maculées de terre qui s’étalaient devant ses genoux. Son camarade le regarda faire sans dire un mot. Le noiraud attrapa un morceau sur lequel Cedrik vit très nettement une grande tache marron.
Du sang séché.
Shao le lança plus loin avec une grimace dégoûtée.
— Beurk ! s’exclama-t-il avant d’essuyer sa main sur son pantalon avec répulsion.
— À quoi tu t’attendais ? interrogea l’homme aux cheveux châtains en haussant les épaules. C’est les ordures que tu es en train de fouiller. D’ailleurs, pourquoi tu fais ça ?
— J’ai pas envie d’en parler, rétorqua Shao avec froideur, le visage soudainement fermé.
— Allez, dis-moi, insista Cedrik d’un ton implorant. Je peux peut-être t’aider.
Le jeune homme aux traits asiatiques soupira longuement avant de tourner la tête pour le regarder dans les yeux. Ses iris marron montraient un fond de colère mal contenue.
— Si tu veux tout savoir, mon pantalon s’est déchiré quand je me suis battu hier….
— Et alors ? Ça arrive à tout le monde, l’interrompit son ami d’un ton plat, pas besoin d’en faire un drame.
— Si tu me laissais terminer, tu comprendrais, abruti ! siffla Shao en fronçant les sourcils, serrant les poings sous la colère. Ce qu’il y a, c’est que j’ai actuellement très froid au derrière !
Cedrik resta silencieux quelques secondes avant de comprendre.
D’accord, la déchirure de son pantalon est particulièrement mal placée !
Pour se retenir de rire, il se mordit violemment la lèvre inférieure, à tel point qu’il eut l’impression qu’il allait en saigner. Mais en croisant le regard noir de son ami, il ne put se contenir et explosa de rire. Il se retourna, la tête en arrière, et frappa le tronc de son poing, hilare. L’arbre émit un craquement étrange en se pliant avant de se casser en deux et de s’effondrer dans un grand fracas. Un énorme nuage de poussières claires s’envola, d’où un rire tonitruant s’élevait, résonnant aux alentours.
— Te marre pas ! rugit son camarade dont les joues prirent une belle couleur rose vif.
— D’accord, d’accord, capitula celui aux cheveux châtains en essuyant une larme de rire. Si je comprends bien, tu veux un morceau de tissu pour le réparer et tu comptes le trouver dans les poubelles.
— C’est ça, résonna l’approbation de Shao depuis le fond d’une caisse où il remuait une masse de déchets.
Une dizaine de secondes s’écoula sans que les interlocuteurs ne prononcent un mot. Cedrik l’observa, immobile, l’air soudainement pensif. Brusquement, une idée lui traversa l’esprit :
— Dis, est-ce que tu sais si le piaf est là ? demanda-t-il avec le plus grand sérieux.
— Quoi ? s’étonna le noiraud de sa voix déformée par la boîte en bois. AÏE !
En voulant se redresser rapidement, mais il s’était heurté violemment à la paroi en hêtre. Il sortit de la caisse en massant son crâne douloureux. L’air incrédule, il se tourna vers Cedrik qui se mordait une nouvelle fois la lèvre pour ne pas rire.
— De quel piaf tu parles ? interrogea l’Asiatique, un sourcil levé.
— Celui qui t’a botté le derrière il y a deux semaines, rappela son interlocuteur.
— Mais lequel ? s’énerva Shao, frémissant de rage, agitant ses mains devant son visage. Il y en a eu deux !
— T’es vraiment pas verni, toi, ricana Cedrik avec un rictus moqueur. Je parle du numéro cinq du classement.
— Ah, le numéro cinq ! se remémora le noiraud avant de grimacer et de frissonner. Je préfèrerais ne pas me souvenir de ce satané jour ! Ce type a bien failli me tuer !
— C’est quoi déjà, son totem ? questionna celui aux cheveux châtains en se frottant le menton d’un air songeur. Je sais que c’est un oiseau, mais je ne me souviens plus lequel.
— Un corbeau, marmonna son ami avec mauvaise humeur. C’est à se demander comment il a pu devenir le numéro cinq avec ce totem pourri.
— Tu dis ça parce que t’es jaloux ! se moqua Cedrik, un sourire impitoyable sur le visage. N’empêche, il y a de quoi quand on sait que ton animal totem est la fourmi.
— Boucle-là ! cracha Shao en détournant les yeux, embarrassé. D’ailleurs, je peux savoir pourquoi tu me parles de lui ? demanda-t-il, étonné du changement de conversation.
— Je me demandais simplement s’il était ici.
— Je ne pense pas, marmonna le noiraud en se remettant debout pour s’étirer les jambes avec un gémissement de douleur. Il y a quelques jours, j’ai entendu un gars dire qu’il était reparti à la fin de la semaine passée.
— Encore ? s’étonna Cedrik, les yeux écarquillés par la surprise. J’y crois pas, il est resté seulement un mois ?
— Apparemment, répondit son ami tandis qu’ils échangeaient un regard déçu. Il a de la chance d’aller aussi souvent dans le monde des humains. Il remonte à quand, ton dernier passage là-bas ?
— Je sais plus, peut-être un bon siècle, soupira le châtain en repensant à cette période de sa vie. Ça fait tellement longtemps que je ne me souviens même plus du goût du sang. Et toi ?
— La dernière fois, c’était il y a cent cinquante ans, se remémora Shao avec nostalgie avant de soupirer de déception. C’était aussi la seule…
— En plus, le piaf y reste des années, marmonna Cedrik avec envie et jalousie. C’est bien là qu’on voit la différence entre lui et nous. Quand j’y pense, ça me fout la haine.
— Ça, c’est sûr, souffla Shao en s’accroupissant à nouveau. Mais personnellement, je n’ai pas trop envie de me frotter de nouveau à lui. Il est bien trop fort pour moi, et même pour toi. Bon, excuse-moi, mais j’ai autre chose à faire que de parler de ce prétentieux. J’ai toujours un pantalon à réparer, moi.
L’homme aux cheveux châtains regarda son ami reprendre ses fouilles. C’était ça, la loi de ce monde : les plus forts dominaient les plus faibles. Un classement officiel avait été établi pour savoir qui étaient les meilleurs. Pour les plus vulnérables, comme eux, il était bon de connaître les vingt premiers noms de la liste qui en comptait un peu plus de dix milles. C’était toujours utile, afin d’éviter de se heurter aux plus dangereux. Cedrik occupait pour sa part la sept mille six cent quatre-vingt-quatrième place, et le pauvre Shao n’était qu’à la neuf mille huit cent trente-deuxième position. Cela faisait d’eux des proies faciles pour les plus forts, des défouloirs de premier choix.
À cette pensée, Cedrik bouillonnait de rage. Voir son ami être réduit à écumer les ordures pour réparer ses vêtements lui rappelait qu’il était également passé par ce stade. À présent, il n’en était plus à ça, mais ses conditions de vie n’en restaient pas moins difficiles. Et savoir que les chanceux comme le Corbeau n’avaient jamais connu la misère lui donnait des bouffées de colère.
— Et si on allait chez lui ?
Shao tourna brusquement la tête vers lui, les yeux arrondis de surprise. Dans un premier temps, il crut qu’il avait mal entendu, mais le regard qu’il reçut en retour le détrompa rapidement. Il était stupéfait que Cedrik ait une telle audace. Il n’arrivait simplement pas à imaginer que quelqu’un puisse émettre cette possibilité.
— Tu plaisantes ? demanda-t-il, espérant que son ami allait éclater de rire en lui annonçant que c’était une blague.
— Pas du tout, répondit Cedrik avec le plus grand sérieux. On pourrait aller chez lui pour lui « emprunter » un pantalon neuf et…
— Attends un peu ! coupa le noiraud en tendant une main pour lui faire signe de se taire. Est-ce que tu viens de dire que tu veux aller chez le Corbeau, alias le numéro cinq du classement, pour lui voler un pantalon ?
L’absurdité de ce qu’il venait de dire surprit Shao lui-même. Cette idée était non seulement stupide, mais aussi très dangereuse, voire suicidaire. Il n’aurait jamais pensé qu’un homme du rang de Cedrik fasse cette proposition. Le Corbeau avait la réputation de ne pas se montrer tendre et de toujours régler ses problèmes par les coups.
Le mot « diplomatie » ne fait pas vraiment partie de son vocabulaire.
— Ben oui, pourquoi ? interrogea celui aux cheveux châtains avec un haussement d’épaules désinvolte, comme s’il venait d’annoncer la météo du jour.
— Euh, on n’est pas vraiment bien placé pour jouer à ça, rappela son ami d’un air pincé. Si on était le Scorpion, je ne dirais pas, mais là, c’est tout bonnement de la folie pure. Je dois te rappeler nos positions dans le classement pour que tu t’en rendes compte ?
Le Scorpion, numéro huit du classement, était sans doute la personne la plus audacieuse qu’il connaissait. Hormis le numéro un, rien ne l’arrêtait. Pour résumer, c’était un grand mégalomane comme l’étaient tous ceux qui étaient dans le top dix. Cependant, Shao n’avait ni sa bravoure ni sa puissance, et il ne voulait pas risquer sa vie pour un pantalon.
— Je ne vois pas où est le problème, insista Cedrik avec nonchalance. S’il est dans le monde des humains, on peut aller chez lui sans souci. Il n’y aura personne.
Son ami détourna le regard, hésitant. Le Corbeau n’était peut-être pas chez lui, mais il avait encore quelques doutes. Cependant, il n’avait pas vraiment d’argument pour dissuader son camarade d’aller au bout de son expédition aussi dangereuse qu’absurde. Il ne savait pas ce que c’était, mais quelque chose le dissuadait de se rendre là-bas.
— Allez, continua l’homme aux cheveux châtains. On en aura que pour cinq minutes et puis on repart.
Cette simple phrase eut raison de Shao qui soupira, laissant sa tête retomber en avant. Il serra son pantalon déchiré entre ses doigts.
— Bon, d’accord, souffla-t-il, vaincu. Mais cinq minutes et pas une de plus !
Il se leva et épousseta son vêtement, soulevant un nuage de poussières brunes. Il passa une main dans ses cheveux noirs pour les ramener en arrière avant de se mettre en route en compagnie de son ami. Shao n’était toujours pas sûr que voler un homme aussi important soit un très bon plan. Mais il savait également que son camarade était très têtu. Lorsqu’il avait une idée derrière la tête, il ne l’avait pas ailleurs.
Après tout, pourquoi pas ?
Il valait peut-être mieux qu’ils soient à deux, plutôt que Cedrik y aille seul. Ils pourraient se défendre plus facilement en restant ensemble…
Les deux amis marchèrent longuement sur la terre nue. Le soleil se levait à peine, diffusant quelques reflets ocre sur le sol. Il n’y avait pas un brin d’herbe à l’horizon, la terre étant sèche et craquelée. Échangeant un simple regard, ils comprirent qu’ils pensaient à la même chose : dans le monde des humains, il y avait des pelouses si grandes qu’elles s’étendaient à perte de vue. Et cela leur manquait…
Cedrik et Shao avancèrent à pas furtifs en pénétrant dans la zone où habitait le Corbeau. Le malaise du noiraud ne faisait qu’augmenter de plus en plus au fil des minutes, comme s’il pressentait un danger quelconque. Bientôt, les contours d’une maison se dessinèrent dans la brume. Dans leur monde, seuls les plus forts avaient le luxe d’avoir un toit sur la tête. Posséder une demeure était un signe de puissance. Bien évidemment, ni l’un ni l’autre n’en avait une.
Voir ce bâtiment leur rappelait qu’il existait un fossé entre eux et l’élite.
Cedrik, plus confiant que son ami, s’avança en premier pour entrer. Les murs étaient en pierres taillées : d’autres avaient sans doute travaillé d’arrache-pied pour la construction cette maison, tout cela au profit d’un seul homme. Le châtain posa sa main sur la poignée et entrouvrit la porte en bois. Pendant une seconde, il avait trouvé suspect que les lieux ne soient pas mieux protégés, avant de se rappeler que personne n’avait eu autant d’audace que lui pour se risquer à la mise en œuvre d’un plan aussi tordu.
Cedrik jeta un rapide coup d’œil à l’intérieur. Le rez-de-chaussée semblait désert et le silence régnait. Apparemment, rien à signaler. L’homme aux cheveux châtains fit un petit signe de la main à son camarade pour lui dire que la voie était libre. Ils se glissèrent dans la maison et refermèrent la porte le plus précautionneusement possible. Cette demeure frappait par son aspect dépouillé de meubles et l’absence totale de décoration. Mais elle était tout de même très propre. Le sol était en pierre également et le mobilier en bois. Une maison banale, en réalité. Cependant, il y avait une atmosphère lourde et pesante sur leurs épaules qui glaçait l’air ambiant.
Shao se sentit immédiatement très mal à l’aise et jeta un regard inquiet à son ami. Son impression de ne pas être à sa place avait atteint des sommets inimaginables. Ses doigts tremblèrent imperceptiblement tandis qu’un frisson parcourait son dos, le long de ses vertèbres.
— Montons, murmura Cedrik, sans savoir pourquoi il baissait la voix. Il faut qu’on trouve sa chambre.
Les deux hommes grimpèrent les escaliers en gravissant les marches quatre à quatre. Il ne leur fallut même pas une demi-minute de recherche pour trouver la chambre à coucher. Elle était presque vide, comme les autres pièces de la maison. Il n’y avait qu’un lit et une armoire, toujours sans aucun élément décoratif.
Moins personnel, tu meurs !
— Ne traînons pas, chuchota celui aux cheveux châtains en s’approchant de la commode, visiblement pas très rassuré.
Shao hocha la tête et commença à fouiller les tiroirs. Il était impressionné par le peu de diversité dans ses vêtements : ils étaient tous de couleur noire et de la même façon. Ce type n’avait sûrement pas un style vestimentaire très varié. Mais il se sentait de plus en plus oppressé, avec l’impression grandissante qu’il allait lui arriver des bricoles. Pourtant, le Corbeau était parti à la fin de la semaine et personne ne savait ce qu’ils faisaient.
Soudain, un bruissement retentit dans la chambre. Le noiraud tourna brusquement la tête en reculant en un bond jusqu’au mur, effaré. Avec soulagement, il vit qu’il ne s’agissait que d’un oiseau qui s’était posé sur le rebord de la fenêtre ouverte. Son plumage était d’un noir de jais, brillant aux rayons du soleil. Un très bel animal se tenait assurément là en fier maître des lieux.
— Calme-toi, souffla Cedrik qui avait sursauté à cause de son geste brusque. Ce n’est qu’un oiseau.
— Désolé, murmura Shao, la voix tremblante, mais j’ai un mauvais pressentiment…
Les deux hommes soupirèrent pour évacuer la pression qui bloquait leur respiration dans leurs poitrines. Ils reprirent leurs recherches tandis qu’une brise traversait la chambre, semblant rafraîchir et alléger l’air alourdi par l’appréhension. Portée par un souffle, une plume noire de l’oiseau vint se poser doucement sur le sol en bois devant eux, bientôt suivie d’une autre… et encore une autre…
Shao fronça les sourcils, suspicieux. Ce n’était pas normal pour un volatile de perdre autant de plumes. Stupéfait, il échangea un regard avec Cedrik qui s’était immobilisé, et vit le visage de ce dernier se décomposer.
— Un… corbeau ? chuchota le châtain, catastrophé.
D’un même mouvement, ils se retournèrent pour regarder l’oiseau. Celui-ci avait disparu du rebord de la fenêtre, ne laissant sur place qu’une silhouette plus grande, de laquelle s’échappaient des plumes noires de corbeau.
— Que faites-vous chez moi ? interrogea une voix qui aurait pu paraître agréable si elle n’était pas chargée de menaces.
Shao tenta de reculer, mais ses genoux se dérobèrent sous lui et il s’effondra piteusement sur le sol. Sa respiration devint plus saccadée et laborieuse, la peur le prenant aux tripes. La silhouette, qui semblait de plus en plus humaine, était assise à la fenêtre comme le corbeau une minute plus tôt. Malgré l’aura noire qui l’entourait, Shao le vit décroiser les jambes et se lever. Cet homme dégageait une prestance et une élégance dangereuse. Ses déplacements étaient souples et s’accordaient parfaitement à sa silhouette svelte. Cependant, l’attirance que le nouveau venu leur laissait ressentir n’ôtait en rien la répulsion de la peur qu’il inspirait aux deux amis.
Le Corbeau se leva et s’approcha. Les douces plumes noires caressèrent le visage de Shao qui sentit ses membres trembler de manière incontrôlable. Deux yeux brillants de rage se posèrent sur lui et sa respiration se bloqua dans sa gorge. Ces iris à la fois splendides et terrifiants semblaient pétiller d’un rouge vif qui contrastait avec une pupille en fente d’un noir non moins inquiétant. Une main aux doigts longs et fins terminés par des ongles noirs saisit Shao par la gorge et le souleva de terre. Son souffle en fut coupé, sans savoir si la peur ou la pression sur son cou en était la cause.
— Je répète ma question, reprit cette même voix furieuse, qui semblait résonner dans son crâne. Que faites-vous chez moi ?
En un rapide regard sur le côté, le noiraud vit que son ami était lui aussi en pleine lutte pour échapper à l’étreinte du Corbeau. Dans l’incapacité de répondre, les deux camarades ne purent que lâcher des gémissements plaintifs et étranglés. Ils n’avaient pas pensé un seul instant que le Corbeau, censé être parti depuis quatre jours dans le monde des humains, reviendrait chez lui au moment où ils avaient décidé de s’introduire dans sa maison. La pression s’accentua sur sa gorge tandis que Shao se sentait examiné avec attention par les yeux prédateurs du maître des lieux.
— Je ne reconnais pas vos visages, marmonna celui-ci, à la fois pensif et dégoûté. Cela veut dire que vous n’êtes pas en bonne position dans le classement.
Son ton était hautain, méprisant et même condescendant. Il trahissait cependant aussi un peu de surprise et de curiosité.
— Je suis étonné que vous ayez osé vous introduire chez moi, continua l’homme en secouant la tête. Je ne me doutais pas qu’il suffirait que je m’absente deux jours chez une connaissance pour que l’on essaye de me voler.
— Nous… commença Cedrik d’une voix étranglée. Nous pensions que vous étiez reparti… dans le monde des humains…
— Erreur de stratégie, commenta le Corbeau avec un amusement narquois. C’est idiot, vraiment. Vous seriez passés trois heures plus tard que je n’aurais rien su…
Après quelques secondes de silence, l’homme lâcha brusquement Cedrik, le projetant contre un mur. Le châtain le heurta de plein fouet et glissa le long jusqu’au sol, sonné. Shao se sentit lentement redescendre, et ses pieds touchèrent doucement le plancher. Le visage à quelques centimètres du sien, le Corbeau se mit à le toiser sévèrement. Une odeur très agréable, mais également non identifiable et indéfinissable monta aux narines du noiraud, en même temps que la panique inspirée par une telle proximité avec le numéro cinq.
— Tu me dis quelque chose, toi, murmura ce dernier, l’air songeur. On ne se serait pas déjà croisé, par hasard ?
— S-si, bredouilla Shao, affolé, ne sachant pas si sa réponse allait atténuer ou empirer sa situation. Il y a deux semaines…
— Ah oui, je m’en souviens, maintenant, chuchota le Corbeau avec douceur. Tu es Shao Fang, alias la Fourmi, n’est-ce pas ?
L’intéressé hocha la tête et sentit l’emprise sur sa gorge se desserrer lentement. Son interlocuteur laissa son bras retomber le long de son corps et lâcha un profond soupir.
— Je n’ai pas pour habitude de tuer mes semblables, marmonna-t-il en se pinçant le haut du nez. Mais pour ce que vous avez fait, j’ai toutes les raisons de vous réduire en bouille.
Shao retint sa respiration : est-ce que sa dernière heure était arrivée ? Il en était sûrement aux ultimes secondes.
— Seulement, j’ai d’autres projets plus urgents. Donc je vais vous laisser filer. Vous avez très exactement trois secondes pour quitter ma demeure.
Le noiraud ne posa aucune question, se précipita vers son ami et l’aida à se relever. Au moment où les deux compères allaient franchir la porte, le Corbeau reprit :
— Shao Fang !
Il se retourna juste à temps pour se ramasser un pantalon neuf en plein visage. Il retomba dans sa main, avant que le noiraud ne lève les yeux vers le numéro cinq. Pourquoi faisait-il ça ? À quoi jouait-il ?
— Prends-le, c’est pour ça que tu es venu, non ? Mais ne t’avise pas de reposer un seul de tes orteils ici, espèce de rapace ! Si je retrouve la moindre trace de toi ou de ton complice dans cette maison, tu vas regretter d’avoir été envoyé dans ce monde ! DÉGUERPISSEZ !!!
Les deux amis prirent la fuite sans demander leur reste. Ils s’enfuirent le plus rapidement possible et au loin. Ils avaient certes un pantalon, mais le prix était terrible : ils étaient traumatisés. Plus jamais Shao ne prendrait le risque de recroiser son chemin.
Ils m’ont fait perdre un temps précieux, songea le Corbeau avec amertume avant de baisser les yeux sur sa main gauche qui s’éclairait d’une lumière rougeâtre et de soupirer. Allons bon, on m’appelle déjà. C’est reparti pour un tour dans le monde des humains !
Panodyssey hace 1 año
Bonjour, pouvez-vous citer les crédits de la photo s'il vous plaît. Nous en avons besoin pour programmer votre newsletter de bienvenue ;-)
Elysio Anemo hace 1 año
Bonjour, j’ai moi-même dessiné chacune des images présentes dans cette Creative Room
Panodyssey hace 1 año
Fantastique. N'hésitez pas à ajouter ce crédit pour protéger votre propriété intellectuelle. Bravo, vous êtes talentueux.