5. Bathyan : l'épave
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5. Bathyan : l'épave
Je m’attendais à une épave de navire, de bateau, de barque. Un reste échoué d’une embarcation pillée par les hommes et le temps. Il ne restait en fait qu’un énorme morceau rouillé, visiblement un côté de la proue d’un cargo, faisant mention du nom du navire, Transpacific, comme si tout était orchestré pour le tourisme. La femme m’emmena tout près de la tôle et me montra un monticule de rouille dépassant des flots.
— Un bloc moteur, se contenta-t-elle de dire.
— Super, ajoutais-je pour entretenir son manège.
— Là-bas, montra-t-elle du doigt, il y a un panneau informatif sur l’histoire du navire.
J’allais lui demander à quoi servait tout ce manège quand je compris qu’elle vérifiait les alentours afin d’être certaine de notre solitude. J’en profitais pour la détailler un peu. Plutôt petite, sous le mètre soixante, les cheveux auburns bien serrés et rassemblés sous sa casquette. Elle portait un sweat à capuche qui descendait en blousant et couvrait un pantalon battle. Des baskets au lieu des chaussures de randonnées et elle aurait pu passer pour une de ces artistes de rues, sur skates, rollers ou simplement danseuse de rue.
— OK, conclut-elle. Ici, on est bien, pas d’endroit où se cacher pour nous écouter, on peut voir et entendre si quelqu’un vient et le son ne porte pas comme en hauteur.
— Que de précautions, soupirais-je !
— Il n’en faut pas moins, dit-elle en retirant ses lunettes. Vous êtes en danger, vous allez même mourir ici, probablement. Ça vous va comme entrée en matière ?
Je ne pense pas qu’on vous ait déjà balancé ce genre de chose, comme ça, à froid, avec un sérieux et un aplomb qui ne laisse aucun doute. Ses yeux étaient plantés dans les miens, son visage était impassible et tout son être transpirait la certitude. Je vous assure que ça vous fiche un coup.
— Je sais ça fait beaucoup à la fois. Là, vous êtes interloqué, hébété, puis vous allez doucement vous laisser tenter par le classique « elle est folle » et me sourire pour vous en convaincre.
— Je n’aurai pas dit mieux.
— Je m’appelle Erin. Je peux vous le dire, car tout le monde est déjà au courant que je vous ai abordé. Je travaille à l’hôpital et ça aussi tout le monde le sait. Vous êtes un touriste, plutôt beau garçon, je suis seule et donc personne ne trouvera étrange que j’échange avec vous. Cependant, je n’étais pas seule et ça, personne ne le savait. Mon compagnon se faisait passer pour un garçon seul par contre. En visite ici, il ne travaillait donc pas, semblait sans attaches et par conséquent n’allait manquer ni à un employeur ni à un membre d’une quelconque famille. Il est mort depuis. Enfin, il a disparu, mais personne ne s’en soucie. Pour moi, il est mort, j’en suis persuadée, mais difficile à dire quand il n’y a pas de corps et pas d’enquêtes ici.
— C’est quoi ces conneries ? Et pourquoi lui et pas vous ?
— C’est bien, vos questions montrent votre intérêt. Je vous l’ai dit, moi je travaille à l’hôpital. Ma disparition aurait été gênante.
— Et vous n’avez pas signalé sa disparition ?
— Il était marié. Il était venu ici pour moi et je serai la première suspecte aux yeux de sa femme et de la police.
— Vous le devenez à me dire tout ça.
— Justement. Pourquoi irais-je vous dire ça ? J’étais venu ici pour m’éloigner de son baratinage. Vous savez le classique « Je vais quitter ma femme », « C’est toi que j’aime », ce genre de conneries qui précède les « il faut que je la préserve », « elle me fait du chantage au suicide, aux enfants… ». Bref, le blabla habituel du gars qui se satisfait de sa vie de famille tant qu’il peut tirer son coup avec fantaisie auprès de sa maîtresse.
— Je vois le genre.
— Bref. Il est venu, mais je l’avais prévenu que c’était la dernière histoire de cul entre nous. Une façon de rentabiliser son billet. Depuis notre dernière nuit, plus de contact. Il est aux abonnés absents sur sa messagerie cryptée et sur les réseaux.
— Il a peut-être compris le message.
— Non, il est aussi absent sur Facebook. Et n’allez pas me sortir que je suis sur une liste de noms qui n’ont pas accès à tout. J’ai d’autres comptes pour pallier à ça. Il ne publie plus, c’est tout. Il y a même des messages de sa femme dans des commentaires. Des questions qu’elle avait laissées, comme d’autres amis, et qui restent toutes sans réponses. Elle aussi ne publie que sporadiquement.
— C’est peut-être le signe que leur couple n’est plus. Ça fait combien de temps ?
— Un an.
— Et pas de nouvelles ? Désolé de vous dire ça, mais il a peut-être tourné la page de sa femme et de sa maîtresse. Une autre. Une autre vie. Un autre compte.
— J’en doute. Et les messages dans les commentaires étaient plutôt orientés disparition. Mais venez, j’ai autre chose à vous montrer et je vous garantis que vous allez changer d’avis sur votre page tournée.
— On va où ?
— À l’église ! Vous êtes déjà allé à celle de Miquelon ?
— Non, mais c’est dans les projets.
— Oubliez. Je vous l’ai dit, vous êtes le prochain et honnêtement je préférerais éviter. Je fais comme un transfert de culpabilité sur vous. Je n’ai rien fait pour Xavier, alors si je peux vous sauver la vie ça m’aidera à tenir les deux ans qu’il me reste à faire ici.
— Pourquoi moi ?
— Vous êtes comme lui, puis, marquant un instant d’hésitation, ajouta : je veux dire la cible idéale.
6. Bathyan : l'église
Couverture : © Jean-Christophe Mojard, 2023