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Papaver Somniferum

Papaver Somniferum

Publicado el 22, ene, 2025 Actualizado 22, ene, 2025 Horror
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Papaver Somniferum

Chapitre 2 du Livre des Péchés : La Colère


« Toi seul, tu donnes à l’homme ces trésors, et tu possèdes les clefs du paradis, ô juste, subtil et puissant opium ! »

Les Paradis Artificiels (1860), Charles Baudelaire


« Strangers in the night,

Exchanging glances,

Wondering in the night,

What were the chances,

We'd be sharing love,

Before the night was through. »

Strangers in the Night (1966), Frank Sinatra


Cela faisait maintenant quelques heures que la nuit était tombée, mais rien ne lui échappait, pas un détail, pas un mouvement. C’était un chasseur, et, comme il est coutume de dire, les chasseurs ne sont jamais aussi efficaces que la nuit, lorsqu’ils peuvent surprendre leur proie.


Thomas vint retirer de ses doigts agiles la cigarette roulée qu’il avait coincée derrière l’une de ses oreilles, et, sans même la regarder, avec dextérité, il l’alluma à l’aide de son zippo avant de la porter à ses lèvres, inhalant avec volupté la première bouffée. Cette nuit d’hiver était noire et silencieuse, d’ombrageux nuages obstruaient les étoiles et le vent avait décidé d’arrêter de souffler sur Nantes et ses alentours. Elle était aussi glaciale, mais cela ne semblait pas gêner le moins du monde le quinquagénaire, qui était emmitouflé dans un épais anorak de ski. Assis à la place conducteur de sa vieille camionnette aménagée, Thomas observait sans bouger ni ciller la grande bâtisse délabrée qui se trouvait à une soixantaine de mètres de l’emplacement où il était stationné. Son regard azur était déterminé et ferme. Aussi glacial que Nantes en cette nuit d’hiver sans étoiles.


Située à proximité de l’entrée d’un parc, la demeure donnait sur une rue passante et calme, qui dormait paresseusement à cette heure avancée, se laissant juste réveiller par intermittence par quelques chats errants. Construite dans les années soixante, la maison était victime de l’action conjuguée de l’abandon et des ravages du temps, elle était devenue vétuste et tombait en ruine. Des tuiles manquaient en de nombreux endroits de la toiture, et ses murs, jadis d’un blanc immaculé, étaient à présent balafrés de fissures et de graffitis du plus mauvais genre. À l’étage, les deux imposantes fenêtres sans volets donnaient à Thomas l’impression d’être des yeux, des yeux immenses et macabres, enflammés de colère. Une source de chaleur y luisait à l’intérieur, probablement un feu de cheminée. Ces yeux étaient-ils en train de l’observer ? Il tira longuement sur la cigarette, laissant la fumée envahir sa bouche, la savourant, puis, lentement, il la laissa s’échapper. Il scrutait la maison, mais cette dernière le scrutait lui aussi. C’était tout du moins la sensation que cela lui donnait. Et il était sûr que de la porte d’entrée entrebâillée, s’il tendait l’oreille, il pourrait entendre une sinistre invitation. Une sinistre invitation qui viendrait rompre le silence de mort ambiant et le supplierait d’entrer… Oui, s’il faisait le vide dans son esprit et se concentrait, en tendant l’oreille…


L’homme se ressaisit.


D’un geste désabusé, il actionna l’ouverture de la fenêtre côté conducteur, jeta ce qui restait de sa cigarette, puis s’empressa de mettre en branle le mécanisme de fermeture.


Il était sorti de prison il y avait de cela quelques mois, après avoir purgé une peine d’une dizaine d’années pour sa participation à une attaque de fourgon blindé commise en région parisienne plus de vingt ans auparavant. Durant son séjour à l’ombre, sa femme était partie Dieu sait où avec leurs deux enfants, et à sa libération, il s’était retrouvé seul, sans logement ni emploi, et avec la plupart de ses anciennes connaissances en maison d’arrêt, au cimetière, ou encore en hôpital psychiatrique (ou bien ravagées par l’alcool dans des bars PMU de banlieue, ce qui revenait pratiquement au même).


Un vieil ami de son frère avait fini par accepter de l’embaucher dans sa société comme peintre en bâtiment, mais décidément, non, cette vie-là n’était pas faite pour lui : Se lever tôt le matin, obéir docilement à un crétin prétentieux payé une misère pour diriger les travaux, et se casser le dos et les reins tout en supportant les conversations insipides de compagnons de galère, c’était au-dessus de ses forces. Basta. Un vrai voyou reste un voyou toute sa vie.


Et Thomas en était un.


Il avait encore un peu de temps avant de devoir passer à l’action. En prenant soin de bien contourner le cendrier noirci et bien rempli qui était coincé entre le frein à main et le levier de vitesses, il alla s’emparer d’une plaquette de comprimés qui trainait sur le siège passager. Elle était encore pleine. Chacun des huit comprimés contenait trente milligrammes de codéine associés à cinq cents milligrammes de paracétamol. C’était la codéine qui l’intéressait. D’un geste rapide, il retira méthodiquement l’ensemble des comprimés et les plaça dans une petite gourde qu’il avait à portée de main, puis, sans y réfléchir, de manière mécanique, il y broya dedans les comprimés à l’aide d’un pilon de cuisine. Lorsqu’il ne resta plus que de la poudre, il s’empara d’une bouteille de Coca Zero éventé qui était là, la débouchonna, puis en versa le contenu dans la gourde, avant de fermer cette dernière et de l’agiter avec vigueur, pour bien mélanger. Enfin, et sans attendre entre chaque gorgée, il but le breuvage d’un trait.


Le rituel était rodé, de plus en plus fréquent, à raison de plusieurs fois par jour.


Opium, laudanum, morphine, codéine, héroïne, oxycodone, fentanyl… Au fil des siècles, le pavot somnifère avait offert aux hommes mille remèdes et un réconfort n’ayant aucun pareil. La douleur du corps blessé, écorché, mutilé, il faisait disparaître, de la torture de l’âme, il délivrait. Quiconque voulait y apaiser sa souffrance, qu’elle soit physique ou mentale, en revenait transformé à jamais. Car quiconque faisait cela s’extrayait de sa condition de mortel pour vivre quelques secondes, quelques minutes, quelques heures (dans le meilleur des cas) au paradis. Tout devenait fade après cela. L’ivresse du vin le plus fruité prenait des relents acides, la saveur du met le plus goûtu devenait amer en bouche, l’étreinte amoureuse avec la femme de son cœur ne s’éprouvait plus qu’avec une déprimante banalité. Tout devenait fade, également, car les premiers vertiges qui transfiguraient l’âme de manière indélébile ne revenaient que plus difficilement ensuite, l’augmentation des doses n’étant d’aucun recours pour les raviver.


Le paradis auquel on avait goûté, qui s’éloignait, et finissait par se dissiper au loin, finalement, n’était-ce pas cela l’enfer ?


Thomas ferma les yeux un instant, respirant intensément, de plus en plus lentement.


Mais il les rouvrit en sursaut. « Dépêche toi de faire ce que t’as à faire mon pote, laisse toi pas aller, dans moins de trente minutes, tu ne seras même plus capable de sortir ta bite et de la tenir pour pisser droit », pensa-t-il.


Il se saisit d’une enveloppe en papier kraft située dans la poche intérieure de son anorak, puis il l’ouvrit sans attendre : elle contenait divers documents – factures de gaz et d’électricité, coupons de réduction… — mais il trouva rapidement ce qu’il cherchait.


Il s’agissait d’une simple feuille photocopiée, pliée en quatre.


Durant une bonne minute, ses yeux se plongèrent sur l’homme qui y était représenté, enregistrant des détails qu’il connaissait déjà par cœur : la trentaine vieillissante, les cheveux courts et châtains sur les côtés, dégarnis sur le toupet, le visage émacié au teint blafard, le corps maigre et sec, enveloppé par des vêtements trop amples pour son gabarit. Et le regard intense, mauvais, enfoncé et assombri par des cernes bruns et prononcés, causés aussi bien par un rythme de vie décousu que par la consommation d’héroïne, que l’homme, qui vivait de squat en squat, trafiquait.


Plus pour longtemps.


Thomas allait s’en charger.


Il avait été payé pour le faire.


De la main, il fit une boule de papier de la feuille, la porta à sa bouche et l’avala sans y penser. Après avoir enfilé des gants en cuir noir, il s’empara du revolver – un Colt 45 de calibre 11,43mm – chargé situé dans la boîte à gants désordonnée de la camionnette, la referma, réajusta son anorak, puis déverrouilla la portière de son véhicule avant de sortir, le fermant à clef de nouveau une fois dehors.


Immédiatement, le froid glacial mordit chaque centimètre de peau qu’il avait à découvert, mais cela le revigora et le pressa à agir vite. D’une démarche souple et aérienne, il se dirigea avec rapidité vers la maison où se tapissait sa proie, la main droite fermement serrée sur la crosse du revolver qu’il avait camouflé dans l’une des poches cousues à l’avant de son anorak.


L’entrée de la demeure était précédée d’un minuscule jardin envahi d’herbes folles et couvert de détritus — cadavres de bouteilles, seringues souillées, papiers d’emballage… — laissant à peine entrevoir, par manque d’entretien, le minuscule passage dallé qui reliait le portail à la porte principale.


Arrivé à mi-chemin, une fois encore, il se retrouva comme hypnotisé par la demeure et se stoppa net…


« Hé m’sieur, z'auriez pas un p’tite cigarette pour moi ? Allez, z'uste une ! »


La voix nasillarde qui l’avait interpellé de manière soudaine et inattendue le fit sursauter et il se retourna aussi vite que l’éclair, la main crispée sur son arme. Un homme était planté là, à quelques mètres. Cependant, immédiatement, il se ravisa et se détendit, regagnant un peu de contenance : le vagabond qui venait de sortir de son sac de survie, un caddie de supermarché où s’entassaient ses effets personnels à proximité, ne constituait pas une menace, ni pour maintenant, ni pour le futur. Son expérience du monde interlope le lui avait appris : ces gens-là n’entendent rien, ne voient rien et ne parlent jamais, ignorés par la société et ses composantes. Plus détendu, il s’attarda un instant sur le visage au sourire éthylique et édenté du clochard, puis secoua la tête en guise de négation, pensant en lui-même : « Désolé vieux, j’ai pas une seule pièce pour toi. »


Sans y réfléchir à deux fois, il hâta le pas et avala le reste de chemin qui lui restait à parcourir avant de s’engouffrer dans la maison, passant sans encombre par la porte d’entrée entrebâillée.


À l’intérieur, le froid encore plus frigorifique qu’à l’extérieur fut ce qui le marqua en premier. Puis ce fut l’odeur rance de la crasse, de la sueur, de l’urine et des excréments. Ses commanditaires lui avaient appris que sa cible dormait à l’étage, mais, par sûreté, il balaya du regard la pièce dans laquelle débouchait l’entrée de la demeure : des tables et des chaises renversées et cassées, un canapé éventré, un sol jonché d’immondices, et, comme à l’extérieur, des graffitis sur les murs et des fissures traversantes. Il y avait aussi ces bougies qui éclairaient les lieux, allumées et disposées dans la pièce d’une manière qui lui parut presque cérémonielle. Bien que couvert en partie par les effluves nauséabondes du squat, il en sentait le curieux parfum. Cette senteur devint de plus en plus forte au fur et à mesure qu’il gravissait les marches de l’escalier qui menaient à l’étage et à l’antre de sa proie. Qu’était-ce donc comme encens ? Il n’avait jamais rien respiré de tel, et il se sentait, il se sentait… Comment dire... Dans une sorte d’état second, comme s’il assistait à ce qui se déroulait devant ses yeux sans en être véritablement l’acteur…


Son esprit commença à tourner au ralenti…


Thomas se vit tourner la poignée de la porte de la chambre qui se trouvait immédiatement à droite de l’escalier en bois pourri qu’il avait emprunté, puis pénétrer dans la pièce. Dès qu’il fut à l’intérieur, il le vit, et dès qu’il le vit, il le reconnut : Il était installé au fond, assis dans un fauteuil à bascule, une chaise inoccupée lui faisant face. Thomas eut le sentiment qu’il l’attendait, car il le fixait sans surprise. Son regard était toujours aussi mauvais.


Comme dans un rêve (ou un cauchemar), Thomas fondit sur lui, dégainant son revolver. Il courut et courut encore, ses foulées illuminées par les innombrables bougies placées au sol. La chambre pouvait-elle être si grande qu’il ne puisse pas la traverser en quelques pas ? Puis, à bout de souffle, les muscles de ses jambes endoloris, il arriva et s’assit soulagé sur la chaise vide. Combien pesait donc ce satané revolver ? Devenue trop lourde, l’arme lui glissa des mains.


Suant à grosses gouttes et soufflant comme un bœuf, il leva enfin les yeux vers lui.


Le trafiquant de drogue le fixait de ses yeux sombres, inertes et inexpressifs. Son visage était lui cadavérique, blême et insondable. Et il le vit. Il n’aurait pas pu l’ignorer plus longtemps. Un curieux dragon était tatoué sur son cou décharné, juste au-dessus du col de sa chemise. Malgré sa torpeur, Thomas ressentit de la stupéfaction. Du dégoût également. Réalisé à l’encre noire, le tatouage représentait la créature vue de dessus. Cependant, la tête du monstre, elle, était curieusement dessinée : disproportionnée et énorme, elle faisait face à Thomas, comme si le dragon s’était livré à un étrange numéro de contorsionniste. Elle avait quelque chose de primitif et de grotesque, mais, surtout, de cruel et de malsain… Une langue fourchue sortait de la gueule de la bête, et les deux fentes reptiliennes qui lui servaient pour voir ne se détachaient pas des yeux de Thomas, non elles ne les lâchaient plus, pas un instant, pas une seconde, et rien ne leur échappait, pas un détail, pas un mouvement…


De la bave commença à couler de la commissure des lèvres de Thomas et vint s’étaler sur son anorak. Dans un état presque catatonique, il s’empara du revolver qui était au sol, le souleva de ses mains fébriles et il s’enfonça le canon de l’arme dans la bouche… Sa respiration avait ralenti, son corps ne répondait plus à sa volonté, qui, elle, semblait avoir complètement disparu… Seuls ses yeux paraissaient encore en état de marche, et ils étaient plongés dans le regard enflammé de la bête, dont le corps écailleux avait pris les teintes cendrées du feu et de la colère… Son index, moite, se déplaça vers la gâchette… Et il vit bouger le dragon sur le cou du trafiquant… ses pattes horribles s’activèrent, sa tête immonde ravala sa longue langue fourchue… Le regard du monstre était toujours aussi ardent de colère… de la colère brute…


Thomas hurla malgré le canon de l’arme dans sa bouche, et ce fut ce qui le sauva, lui insufflant une bouffée d’air et de lucidité.


Revenu à lui, il dégagea le revolver et le pointa vers l’homme qui lui faisait face avant de faire feu à trois reprises – boum, boum, boum –, chacune des balles touchant sa cible. Tel un pantin désarticulé, le corps du trafiquant s’affaissa sur la chaise à bascule.


Instantanément, Thomas prit la fuite, les muscles revigorés par l’influx d’adrénaline. En deux enjambées il fut hors de la chambre et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il se trouva dehors, haletant, le cœur battant la chamade, après avoir dévalé l’escalier. À aucun moment il ne s’était retourné. C’était irrationnel, mais tant qu’il avait été dans la maison, lors de sa course vers l’extérieur, il avait eu la sensation que quelque chose le suivait de près… Les pas rampants, enragés et frénétiques d’un animal… Cela n’avait pas de sens. Plus il respirait à pleins poumons l’air glacial de cette nuit sans étoiles, plus cette idée lui semblait irréelle, complètement folle, ridicule. Petit à petit, il reprenait ses esprits.


Il se retourna.


Rien.


À quoi s’était-il donc attendu ? Soulagé et remis de ses émotions, après avoir rangé son arme, il dénicha dans l’une des poches de son pantalon une vieille cigarette roulée et la porta à sa bouche…


« Faut vraiment que t'arrêtes la défonce mon pote, t'es en train de devenir un putain de camé... », soupira-t-il en lui-même.


« Menteur ! »


Alors que son cri de rage déchirait la quiétude des lieux, le vagabond attaqua Thomas par surprise et lui asséna trois violents coups à la tête – poc, poc, poc – à l’aide d’une brique. Le premier lui rompit les cervicales et les deux suivants lui furent fatals.


Avant que les ténèbres ne l’emportent, Thomas eut le temps de voir une main fiévreuse de colère, sale et crasseuse lui arracher sans ménagement la cigarette qui était restée collée à sa bouche.


Un hideux dragon de couleur rouge y était tatoué.

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