La nuit est tombée depuis plusieurs heures déjà. Pourtant, elle ne dort pas. Impossible de fermer les yeux avec cet orage, là, dehors, qui fait trembler les vitres à chaque détonation. La pluie n'en finit pas de tomber et elle se demande si la rivière quittera son lit pour emporter les vieilles masures du village. Elle sait à quel point tout ici est bancal et fragile. Alors elle guette, depuis sa fenêtre, le niveau de l'eau, le nez emmitouflé dans une écharpe qu'elle vient tout juste de tricoter à la lumière de quelques bougies parfumées à la myrtille et au citron. Il n'y a plus d'électricité. Elle souffle sur la fenêtre pour faire apparaître un peu de buée et y dessine un smiley souriant, comme elle le faisait enfant lorsque l'orage l'effrayait. Les flammes effectuent leur ballet hypnotique et font danser les ombres des bibelots poussiéreux tandis que la vieille horloge donne la cadence. Les sourires sur commande, encadrés et exposés sur le living rustique, semblent davantage figés que d'ordinaire. Toute une vie sous verre pour se souvenir du chemin parcouru. Ne pas oublier, malgré l'absence, le silence, la solitude. Un éclair illumine la pièce, l'espace d'une fraction de seconde. Le smiley dégouline, une bougie vient de s'éteindre...