Whiplash (Damien Chazelle, 2014)
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Whiplash (Damien Chazelle, 2014)
Whiplash offre un vrai paradoxe. Les instruments envahissent le cadre, les morceaux jazz (très beaux au demeurant) joués en live saturent l'espace sonore. Mais la vision de l'art et de l'artiste est complètement tordue, biaisée. Le jazz est instrumentalisé, vidé de son identité et de sa substance (à commencer par son terreau afro-américain. Les noirs sont relégués aux marges du film au profit des blancs dominants) Au lieu d'être l'expression d'une sensibilité ou d'une passion, la musique devient objet d'un affrontement musclé entre un professeur sadique et particulièrement retors (vu la façon abjecte dont il feint l'empathie pour soutirer des confidences qui lui servent ensuite à mieux asseoir son pouvoir castrateur) et un élève masochiste qui en redemande. But noblement affirmé de ces séances de tortures psychologiques et physiques: faire sortir le génie qui est en lui ("c'est pour ton bien mon fils.") But inavoué: transformer un "puceau" trop tendre en vrai mec... de boîte gay SM vu les insultes sexistes et homophobes qui pleuvent sur les épaules d'Andrew sommé de s'extirper de sa peau de "tarlouze sodomite" tout en devant se livrer corps et âme à son bourreau. Le réalisateur lui-même affirme s'être inspiré de l'instructeur psychopathe de Full Metal Jacket pour le personnage du professeur. Sa classe ressemble en effet plus à un terrain d'entraînement militaire ou à un ring de boxe qu'à un orchestre. Quant aux élèves terrorisés, ils sont au garde-à-vous, regard à terre, pétrifiés par la peur. Mais on pense également aux jeunesses hitlériennes et au discours que tenait Hitler sur elles "Il ne doit y avoir en elles rien de faible ni de tendre. Le fauve libre et magnifique doit briller dans ses yeux." Andrew adhère si bien à cette idéologie de la virilité (et ses paradoxes cachés mis à jour par Visconti dans Les Damnés), de la (force) brute, de l'individualisme et de la compétition à outrance que l'élève finit par dépasser le maître. On le voit suer sang et eau, sacrifier sa vie personnelle à son objectif mais aussi écraser les autres et finir même par piétiner son maître. Celui-ci en est ravi d'ailleurs. Il a fabriqué un monstre à son image. Et la mise en scène intense, (trop) fascinée finit par distiller une intolérable ambiguïté comme si elle justifiait l'injustifiable au nom d'un prétendu intérêt supérieur. Aucun recul, aucune réflexion, aucun esprit critique possible avec ce genre de mise en scène immersive (une plaie du cinéma contemporain) qui flatte les pulsions en endormant la raison. On est à des années-lumières d'un Kubrick.