Le tournoi meurtrier - 2/5
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Le tournoi meurtrier - 2/5
Chapitre 2
Amaury renouvela ses appels devant le pont-levis, déclinant son identité. Il attendit encore quelques minutes. Son cheval était aussi épuisé que lui et sa robe dégoulinait de sueur. Il semblait souffrir de l’antérieur droit car il ne cessait de gratter le sol de son sabot. Enfin la lourde grille se souleva tandis que le pont-levis se rabattait sur le sol avec un fort bruit de chaînes et de grincements. Passé le guet, Amaury découvrit un modeste château de deux étages, au fond d’une cour carrée, entouré des communs. Deux tourelles, l’une à chaque angle de la façade, encadraient la rangée des quatre grandes fenêtres du deuxième étage. Un tout jeune homme vint accueillir Amaury et se saisit des rênes de son cheval. Puis il indiqua la porte d’entrée où un homme d’une trentaine d’années lui fit signe. Amaury s’avança. Le jeune homme se présenta.
— Jacques de Thieuras, Seigneur de Cauzac, pour vous servir.
— Amaury de Chamfort. Mes respects Monseigneur.
Le Maître du lieu était jeune, bien bâti, mais possédait un regard dur souligné de noirs sourcils. Il fit entrer Amaury. Le vaste hall pavé de grès multicolores comportait un escalier majestueux en son centre s’ouvrant en deux volées de marches à mi-étage, desservant à gauche et à droite les pièces du bâtiment. Alors qu’Amaury complimentait le châtelain de la beauté de sa demeure, il vit descendre de l’étage une sorte d’ange d’une beauté inouïe. Elle avait un visage rond aux sourcils fins entourant de grands yeux bleus. Ses cheveux d’un blond très clair étaient bouclés et descendaient jusqu’à la taille. Amaury crut rêver quelques secondes tant l’image de cette beauté qui lui était parvenue semblait si irréelle. Jacques de Thieuras se retourna.
— Je vous présente ma fiancée Blanche de Septeuil. Blanche, voici Amaury de Chamfort, le fils d’un ami de mon père.
— Damoiselle, mes hommages. (Puis s’adressant à Jacques) : Je n’ai pas l’honneur de connaître votre père, Henri de Thieuras.
— Mon père est mort depuis deux ans déjà. Il s’était engagé dans la reprise du conflit des Armagnacs contre les Bourguignons pour commander une troupe de mercenaires. Et votre père, Amaury ? Je sais qu’il a sauvé mon père à la prise de Constantinople et il lui vouait un grand respect.
— Hélas ! Mon père est aussi décédé depuis quelques mois d’un mal qu’il a sans doute attrapé dans ces régions lointaines.
— Navré. Mais ne restons pas là. Mes gens vont vous faire visiter notre humble demeure.
Jacques de Thieuras claqua des mains. Aussitôt, une jeune fille venue du fond du hall s’approcha et vint prendre les sacoches d’Amaury. Jacques s’adressa à elle d’un ton agressif.
— Allons, dépêche-toi, souillon. Porte les bagages de Monsieur dans la chambre d’hôte. Fissa !
C’est à ce moment que le garçon d’écurie revint.
— Enfin, te voilà, toi ! T’es-tu occupé du cheval de Monsieur ?
— Oui, Monseigneur, répondit-il, j’ai fait un bandage à son antérieur droit car il boitait et je lui ai donné un bon picotin.
— C’est bon. C’est bon. Va t’occuper de Monsieur, maintenant. Qu’il puisse faire ses ablutions. (Puis, se tournant vers Amaury) Nous dînerons dans une heure. Vous nous raconterez votre voyage.
Amaury suivit le garçon dans le grand escalier. Il n’avait pu s’empêcher de jeter un coup d’œil en arrière vers la belle Blanche de Septeuil qui s’était toujours tenue à l’écart sur la première marche, légèrement troublée. Au premier étage, un long couloir au plancher grinçant donnait sur plusieurs pièces. Le garçon d’écurie lui montra la salle d’eau où, déjà, une femme d’une trentaine d’années venait d’apporter un seau d’eau chaude qu’elle versait dans un grand demi-tonneau de bois. Puis on lui fit découvrir la chambre d’hôte meublée d’un grand lit à coffres et d’une immense armoire dans le style espagnol. Amaury posa son balluchon qu’il avait gardé jusque là. Ses deux sacoches étaient posées sur un siège de style romain. Puis, toujours accompagné du jeune garçon, il rejoignit la salle d’eau. Il se déshabilla rapidement et plongea dans le grand bac d’eau tiède où l’on avait semé des pétales de fleurs. Deux servantes vinrent alors lui frotter le dos et la poitrine avec des éponges imbibées d’eau savonneuse parfumée. Amaury ressentit alors toute la fatigue que son corps avait accumulée depuis des jours. L’action de l’eau tiède et des frottements administrés avec douceur le détendirent tout à fait. L’une des deux servantes lui tendit un grand drap de lin pour le sécher. Puis elle l’accompagna jusqu’à sa chambre où le jeune garçon d’écurie avait allumé un feu vaillant dans la cheminée. Amaury approcha un prie-Dieu de l’âtre et s’assit dessus, ôtant le drap afin que la chaleur pût le sécher totalement. La servante l’aida à se rhabiller puis le guida au rez de chaussée vers la salle à manger où le Maître de maison était déjà installé. Une immense table de chêne trônait au mitan de la pièce dont Jacques de Thieuras occupait une extrémité.
— Ne manquez-vous de rien, Monseigneur ? Mes servantes se sont-elles bien occupées de vous ? Questionna le châtelain. Prenez place à ma gauche, Blanche se mettra à ma droite.
— Tout est parfait, merci de votre hospitalité.
Blanche entra dans la pièce et s’installa à la table sur l’injonction de Jacques. Amaury raconta son périple, les villes traversées, les nouvelles de la guerre menée par les Anglois sous la bannière de la maison des Lancastre. Mais il ne dit mot de sa rencontre avec la vieille cartomancienne. Blanche n’osait lever les yeux sur lui par crainte de blesser son fiancé mais on voyait qu’un certain trouble s’était emparé d’elle. Jacques racontait dans quelles circonstances il avait recueilli Blanche après le décès de ses parents auxquels son père avait fait promesse qu’il l’épouserait. Il sentait que quelque chose se passait entre son hôte et sa fiancée et cela lui donnait de la violence dans la voix. Blanche n’avait pas ouvert la bouche si ce n’est pour répondre par des « Oui, mon ami » aux rares questions de son fiancé.
Après la fin du repas, Jacques invita Amaury à boire une tisane de verveine dans le salon attenant. Il demanda à sa fiancée de s’occuper de la tisane avec la cuisinière. Un certain froid régnait dans la pièce et entre les deux hommes. Le Seigneur de Cauzac rompit le silence.
— Quand voulez-vous partir vers Compostelle, Amaury ? Je peux vous appeler Amaury ?
— Oui, bien sûr. Nos pères étaient suffisamment proches en amitié pour se passer d’entregent inutile. Hé bien, si cela vous agrée, je compte partir dans trois jours, espérant que mon cheval sera d’aplomb grâce aux soins de votre palefrenier.
— C’est parfait. Je mets mon domaine et mes gens à votre disposition.
Blanche revint au salon portant elle-même un plateau d’argent guilloché de style catalan avec deux gobelets et une tisanière d’argent. Amaury questionna.
— Damoiselle, ne prenez-vous point de tisane ?
— Ma fiancée n’a nul besoin de tisane, répondit Jacques à sa place. Et elle est fatiguée. N’est-ce pas, Blanche ? Laisse-nous, nous avons à parler.
Amaury était surpris encore une fois de la violence du ton du châtelain. Il regarda Blanche qui, aussitôt, baissa les yeux, puis s’en alla vers le grand escalier. Amaury la regardait s’éloigner. On aurait dit une sorte de fée tant elle se déplaçait avec peu de mouvements. Jacques porta un regard sévère sur Amaury puis s’adressa à lui.
— Demain, nous irons à la chasse. Vous aimez la chasse, Amaury ?
Amaury répondit mollement. Il n’était pas vraiment chasseur mais le ton de Jacques avait été si impératif qu’il n’avait osé refuser.