L'enfant de Rosporden - 5/6
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L'enfant de Rosporden - 5/6
Une nouvelle publiée dans mon recueil "Adagio Affetuoso"
Chapitre 5
Le lendemain, ses collègues de bureau lui firent des réflexions quant à son air absent et inquiet. Vers seize heures, son téléphone sonna. Marc se jeta sur l’appareil et décrocha. C’était Stéphanie. Devant ses collègues, ses joues s’empourprèrent mais dans son for intérieur c’était une explosion de joie comme s’il avait eu seize ans. Il se leva et s’isola dans un couloir désert pour parler plus librement. Stéphanie avait été embauchée comme vendeuse au rayon vêtements, layettes et accessoires de bébé. Elle venait juste de sortir de l’ASE où elle avait discuté avec une assistante sociale. On lui avait interdit de voir le bébé qui, selon l’interlocutrice, serait rapidement placé chez une assistante maternelle. On lui avait fait comprendre qu’elle était ridicule de s’attacher à un enfant qu’elle ne connaissait pas, d’autant qu’elle-même allait bientôt devenir mère. Mais Stéphanie ne pouvait accepter cette attitude pleine de morgue et d’idées préconçues. La seule possibilité de s’occuper de ce bébé était qu’elle fasse une demande d’adoption en règle, a priori vouée à l’échec vu son jeune âge et l’absence d’autorité paternelle. Stéphanie était en colère et en voulait à la terre entière. Elle trouvait l’attitude du personnel de l’ASE à son égard inacceptable.
Il n’avait pas fallu longtemps à la police pour faire le tour des maternités de la région de Rosporden pour retrouver la trace du petit Cédric abandonné dans le train par une certaine Sandrine. En fait, la jeune mère, si elle avait pris soin de ne pas donner la date de naissance de son enfant, avait signé de son vrai prénom. Deux jours après, les policiers avaient obtenu de la maternité toutes les coordonnées requises. Elle se nommait Sandrine Paradier et son enfant, né le 15 mars, déclaré de père inconnu, avait à peine deux mois et demi. Deux policiers débarquèrent alors à l’adresse que la mère avait donnée à la maternité : un petit studio au premier étage d’une maison du centre ville. Sans réponse aux coups de sonnette et aux heurts, les policiers posèrent des questions aux voisins. Ceux-ci ne l’avaient pas vue sortir depuis l’avant-veille et avaient remarqué qu’elle était rentrée sans son enfant. Le temps de réquisitionner un serrurier, la porte fut vite vaincue. C’est alors que les trois hommes virent le corps de la jeune femme allongé sur son lit et sans vie. Sur la table de nuit, plusieurs tubes de somnifères vides. Il s’agissait apparemment d’un suicide bien qu’une inspection rapide ne put déceler de lettre expliquant son geste. Après avoir fait enlever le corps, la brigade quitta les lieux et posa les scellés. Il s’agissait maintenant pour eux de retrouver trace de la famille et d’informer l’ASE de Paris qui avait en charge l’enfant. L’enquête de voisinage permit aux policiers de reconstituer la vie récente de Sandrine Paradier. Depuis la mort de ses parents dans un accident de voiture datant de quelques mois, la jeune femme avait paru très dépressive à ses voisins. Ce comportement fut confirmé par ses collègues de travail de la bibliothèque municipale, bien que ceux-ci affirmèrent qu’elle était déjà dépressive bien avant son accouchement. On ne connaissait pas de compagnon à Sandrine et personne n’avait idée du père de l’enfant. L’inspecteur chargé de l’enquête retourna le lendemain au studio de Sandrine pour y trouver d’autres informations lui permettant de boucler son enquête. Après avoir vidé armoires et tiroirs et lu quelques lettres sans intérêt, il s’assit dans une bergère poussiéreuse au tissu déchiré sur les bords et sortit de sa poche un paquet de cigarettes. Il mit la cigarette à la bouche et extirpa son briquet de sa poche qui soudain lui échappa et roula sous le lit. L’inspecteur se pencha alors et aperçut une feuille de papier. La feuille avait dû glisser des doigts de la jeune femme et atterrir là. Il la ramassa et lut :
"Je m’appelle Sandrine Paradier. J’ai vingt-cinq ans et j’ai décidé de mourir. Je travaille à la bibliothèque municipale de Rosporden. Mes parents sont décédés le 21 février dans un accident de voiture et je n’ai pas d’ami. Mon enfant s’appelle Cédric et je l’aime de toutes mes forces mais je ne peux pas l’élever. Il est le fruit de l’inceste, mon père m’ayant violée en rentrant d’une beuverie. Et cela, je ne puis le supporter. Je ne supporte plus non plus les questions que l’on me pose au sujet de son père « inconnu » et mes mensonges permanents me rendent folle. L’enfant n’est pas responsable et je veux qu’il vive. Et je ne veux pas lui mentir. Depuis une semaine, je déambule sur les quais de la gare pour y trouver une mère. Hier, j’ai rencontré une toute jeune femme enceinte et je l’ai suivie en faisant croire que je voyageais. Je lui ai laissé mon bébé dans les bras et suis descendue à Auray, certaine que Cédric sera heureux avec elle. Elle m’a parue très douce et très maternelle. Je désire absolument que mon fils soit élevé par cette jeune femme si elle-même l’accepte. Vous qui lirez cette lettre, je vous supplie de retrouver cette jeune femme et de ne pas abandonner mon bébé. Merci et pardon."
Sandrine, le 26 juin 2008
L’inspecteur resta un moment atterré par l’émotion. Il plia la lettre avec précaution et quitta le petit appartement. Au commissariat, il tapa son rapport sur l’ordinateur et envoya un courrier électronique au bureau de police de la gare Montparnasse ainsi qu’à la personne de l’ASE responsable du dossier pour les informer. Rentré chez lui, il ne put s’empêcher de parler de cette lettre désespérée à sa femme pour avoir son avis. Elle lui dit qu’il s’agissait d’une dernière volonté et lui conseilla de contacter très vite la jeune femme qui avait recueilli l’enfant le temps du voyage.