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21. La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I, Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre IX, La Réponse de Santem

21. La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I, Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre IX, La Réponse de Santem

Publicado el 23, abr, 2023 Actualizado 23, abr, 2023 Cultura
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21. La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I, Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre IX, La Réponse de Santem

 

Pour la première fois, dans la relation entre le père et le fils, Santem conçut contre Oramûn contrariété et désapprobation : au lieu de regarder comme une priorité de réunir une cellule de crise à Syr-Massoug, Oramûn avait choisi de faire escale à Is. Or l’urgence est telle qu’il n’est pas possible de différer les décisions. Avec autorité Santem imposa une rencontre au sommet avec Ygrem, Ols et Almira, sans attendre le retour d’Oramûn. Almira lui avait exposé la situation. Elle aussi était déçue de ne pouvoir disposer d’informations complémentaires. Mais par ses deux autres frères elle avait eu, ainsi que Santem, connaissance des tout récents évènements sur Sarel-Jad.

D’entrée de jeu, Santem se montra grave, tendu, exceptionnellement concentré et peu disposé aux préliminaires de convenance. Il s’était rendu à Syr-Massoug depuis maintenant cinq jours. Cela lui avait permis d’enquêter sur la situation économique et finan­cière, tant du côté des industries que de celui des banques, en particulier de la Banque royale. Les informations recueillies lui apparurent comme les pièces d’un puzzle, un défi pour son intelligence des situations, son aptitude à en déceler les dissonances, à tirer parti des failles. Santem ressentit une difficulté à porter une parole décisive, tant il importait de ne pas se tromper, de tout voir et prévoir, de viser juste et du premier coup, de ne pas se laisser distraire par des discussions ou des demandes d’explication latérales. C’est pourquoi il se sentit contraint d’être aussi bref que possible sur l’exposé des raisons, pour en venir rapidement aux mesures à prendre :

— Nous allons retourner la stratégie de Zaref contre lui. D’un côté, il achète massivement la réserve d’argent, détenue dans la Banque royale. Il veut la tarir pour créer la panique, détruire la confiance dans la Couronne. D’un autre côté, il prépare une attaque par les prix sur l’industrie du cristal et du diamant, afin d’en acquérir le monopole et détenir par là le secteur stratégique de l’approvisionnement en énergie.

Et se tournant vers Ygrem :

— Voici ce que je propose : Le Nurâm et nos monnaies dérivées, Sols et Mirals, auront cours forcé. Tout règlement en Féraz sera illégal. Les marchandises acquises avec cette monnaie seront traitées comme de la contrebande, et seront saisies. Que les entreprises de taille et de polissage, qui n’appartiennent pas à Zaref, forment entre elles une centrale d’achat. Elles recevront les pierres bon marché de Zaref. Elles en encourageront même la livraison massive. Une partie sera utilisée pour répondre aux commandes de l’énergie solaire. Elles déposeront le reste à la Banque royale. Celle-ci les créditera pour un montant correspondant à la valeur d’achat des pierres. L’extraction n’aura pas à craindre. J’entends : les entreprises du secteur qui n’appartiennent pas à Zaref et qu’il veut mettre à genoux par une pression à la baisse sur le prix des pierres. Elles n’auront pas à déposer le bilan. Elles devront continuer l’extraction et le lavage des pierres, comme si de rien n’était.

Ygrem posa la question qu’Almira avait sur les lèvres, mais que, par déférence, elle retenait :

— Mais comment nos entreprises d’extraction pourront-elles continuer de produire, alors qu’elles auront perdu leur débouché du côté des tailleurs et polisseurs qui seront par Zaref fournis en pierres à meilleur prix ?

— Le moment est venu d’automatiser tout ce qui relève d’activités mécanisables. C’est le cas de l’extraction. Nous y employons des Aspalans pour un travail que les machines seraient capables d’effectuer. Quant aux hommes, ils sont faits pour autre chose : surveillance, maintenance et — pourquoi pas ? — la conception et l’innovation. Discrètement, la filière devra être financièrement intégrée depuis l’extraction des pierres jusqu’à la production d’énergie. Elle doit se donner les moyens d’assurer la formation et le reclassement des ouvriers de l’extraction. En contrepartie de cet effort la Banque leur ouvrira un crédit gratuit pour financer l’achat des premiers automates.

Ygrem, Almira et Ols ne saisissaient toujours pas la cohérence et la pertinence de ces dispositions. Si, en effet, les entreprises de la filière doivent supporter les charges de la formation et du reclas­sement, étant même entendu qu’elles bénéficieraient d’un crédit gratuit pour leurs investissements dans des équipements de pointe, comment résisteront-elles néanmoins à la concurrence des entreprises de Zaref pour la livraison des pierres polies à l’industrie solaire ?

Santem aime les questions pertinentes, et celle-ci en est une. Il pria son auditoire de maintenant l’écouter jusqu’au bout, faute de quoi ils ne sauront voir la cohérence d’ensemble :

— Les entreprises de la filière intégrée devront résister à la concurrence de Zaref en anticipant sur leurs gains de productivité, escomptés de l’automation. Pour ce faire, la Banque leur consentira toute l’aisance de trésorerie. Ne redoutons pas d’émettre de la monnaie. Cela crée quelques tensions, c’est vrai. Mais aucune économie ne peut se développer sans les anticipations de la création monétaire. L’essentiel est de bien affecter les nouvelles liquidités. C’est la vérité fondamentale de la science politique à venir…

Santem laissa peser un long silence, le temps requis pour que soit bien méditée cette vérité.

— Quant à Zaref, il ne s’attend sûrement pas à rencontrer la forte demande qui émanera de la centrale d’achats de pierres. Vous avez compris qu’une partie des pierres ira à la Banque royale. Ses caisses se remplissent des achats d’argent de Zaref. Systématiquement, les recettes correspondantes devront être affectées à l’acquisition des pierres. La centrale d’achats ne sera qu’un prête-nom de la Banque pour la majeure partie de ces achats. En pratique, la centrale achète les pierres brutes et les revend à la Banque, une fois qu’elles auront été taillées et polies. Considérez que Zaref vendra ses pierres en-dessous de leur prix normal. Dans la mesure où les pierres sont sous-évaluées, la Banque pourra, sans générer des déséquilibres, créer de la monnaie pour financer la valeur ajoutée par les entreprises de taille et polissage. Celles-ci bénéficieront d’une demande exceptionnelle. Non seulement elles devront fournir l’industrie solaire, comme à l’habitude, mais elles auront en outre la Banque pour client exceptionnel. Le sur-bénéfice qui en résultera, elles le remettront à la filière qui, ainsi, pourra amortir sa dette auprès de la Banque royale.

Santem sentit monter la question toute simple : pourquoi la Banque devrait-elle acheter ces pierres ?

— Pourquoi ? — Pour constituer une réserve de remplacement : les pierres seront substituées au métal. Elles serviront de caution pour la monnaie émise. Il reviendra donc au roi des Nassugs d’an­noncer que, désormais, c’est le diamant et le cristal de quartz, ainsi que d’autres pierres, qui font office de garantie. Cela se laisse justifier par le fait que les pierres sont aussi bien un gage de dévelop­pement de la puissance éner­gétique. Elles ont une valeur économique évidente. Sim­ple­ment, il faudra établir une échelle de qualité minutieuse pour le diamant, avec des codes idoines, afin que le carat soit un étalon fiable.

Ygrem, Almira et Ols commençaient à réaliser l’ingé­niosité du plan. Tout devient clair, ou presque : Zaref achète massivement le métal ; la Banque encaisse les recettes en quantité ; profitant de ce que Zaref met sur le marché des pierres brutes à des prix inférieurs au coût de pro­duction dans le but de couler l’industrie d’extraction, la Banque se porte acquéreur de ces pierres par l’entremise de la centrale d’achats à qui elle ouvre un crédit à court terme ; la filière lui revend les pierres polies et taillées et, grâce aux sur-bénéfices, elle amortit l’emprunt à long terme contracté auprès de la Banque pour recycler l’industrie d’extraction : former et reclasser la main-d’œuvre, moderniser la production ; cependant, la Banque reconstitue le trésor qui remplacera le stock d’argent en garantie pour la monnaie en circulation…

Manifestement, Santem avait encore à dire :

— Ce ne sont encore que des paroles. Pour passer aux actes, il nous faut à présent convoquer le directeur de la Banque royale, le mettre dans la confidence. Par ailleurs, je crois, Ygrem, qu’il serait bon de créer un Conseil de surveillance pour l’énergie solaire. Il s’agit d’une industrie vitale. Le Conseil devra veiller à ce que la production d’énergie ne serve qu’à des fins civiles d’intérêt public. Il devra censurer toute déviation. Il ne s’agit pas pour la Couronne d’entrer dans le capital. Les Conseils d’administration continueront d’avoir les coudées franches et de prendre librement leurs décisions. Le Conseil de surveillance n’y sera représenté qu’à titre d’observateur. Enfin, il y aura un moment politiquement délicat : celui de l’annonce du changement de contrepartie pour la monnaie ; le passage du métal à la pierre. Cela devrait se faire au dernier moment. C’est au directeur de la Banque qu’il reviendra de retarder le plus loin possible l’échéance de l’annonce royale. Je suggère qu’il déclare publiquement que tout va bien ; qu’il ne craint pas les attaques sur l’argent ; que la Banque dispose de réserves inépuisables, etc. Zaref pensera que la Banque bluffe. Peu à peu, les indices, certes, s’accu­muleront et Zaref finira bien par soupçonner la contre-attaque. Le plus tard sera le mieux. Aussi, l’intégration financière de la filière devra-t-elle s’effectuer de la façon la plus discrète possible ; de même, la mise en place du Conseil de surveillance pour l’industrie solaire.

Qui, de Santem ou de Zaref, est le plus diabolique ? Almira éprouva à l’égard de son père un sentiment mitigé : à l’admiration se mêlait comme une crainte à laquelle Ygrem fit publiquement écho :

— Heureusement pour nous, Santem, que tu es du bon côté ! Les dieux en soient loués !

Ygrem proposa que l’on se retire. L’essentiel semblait dit en ce qui concerne les mesures d’urgence. Il faut à présent convoquer les grands responsables : le directeur de la Banque royale, les chefs d’entreprise de la filière du diamant ; former un Conseil de surveillance pour l’industrie de l’énergie solaire. L’esprit du roi entra en ébullition. Oui, Santem est un stratège de génie. Mais il faut aller plus loin que la contre-attaque. La riposte de Santem à Zaref soulève en vérité de profondes implications politiques. Elle profile les voies de la réforme radicale. Ygrem résolut d’en esquisser les grandes lignes et d’en faire part à Santem, Ols, Almira, ainsi qu’à Oramûn.

 

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