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Chapitre 6: Club Internet

Chapitre 6: Club Internet

Publicado el 27, sept., 2024 Actualizado 13, oct., 2024 Crime stories
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Chapitre 6: Club Internet

Déjà décembre. Le Fuji n’est toujours pas enneigé. Le Fuji est torride. Le magma qu'il vomit distord l'atmosphère de ses émanations ardentes. Mon regard est troublé, égaré. Mon horizon appauvri. Que le sommet est loin. Pourtant, elle est ici. Elle attend, tout en haut, que je me lasse. Enfin. A distance. Et ainsi, m'oublier plus vite qu'elle ne le fait déjà. Mais je n’ai d’autre choix que celui de la rejoindre, d’insister. Oui la pente est sévère. Oui les vapeurs sulfureuses et la chaleur extrême brulent mon œsophage, cautérisent mes lèvres craquelées, calcinent mes yeux racornis, fatalement opaques à mesure qu'ils dessèchent et cuisent lentement.

Je suis mal équipé. Mes souliers de cuir brun, vernis d'huile de vison, mon pantalon léger, un tissu délicat et tramé, jaune pastel, ma chemise élégante et son blanc innocent au jabot outrancier sous un gilet vert tendre. Mais je dois continuer. Je marche dans la boue, une flaque dévorante. Car ce n'est pas de l'eau. De la roche liquide, carmin, noircie, s'empiffre de mes chaussures, mes pieds, mes chevilles, se repait des mollets, des genoux, des cuisses puis s'attaque maintenant aux portions inutiles de mon anatomie.

Mais je ne dois pas faiblir. Je suis presque arrivé. Et cette musique abjecte qui rythme mon délire. Cette chanson répugnante qui sature l’univers, oblitère tous les sons qui devrait dégueuler de la montagne hurlante. Une rengaine affligeante qui me dit que le rêve est une futilité, qu'il est temps de cesser. D'arrêter de rêver. D'arrêter de rêver. ARRETER DE REVER!

François se réveille en sursaut, une odeur de cuir brulé mêlée de soufre dans les narines. Quel cauchemar débile, quel rêve frustrant. Comme à chaque fois. A ceci près qu'il est plus habitué aux inondations ou aux tsunamis qu'aux incinérations et aux volcans, qu'il préfère le gout d'iode dans la bouche au gout de cendre au réveil. Il s’agite légèrement, les yeux encore fermés, le corps engourdi par des heures d’immobilité. Il a très mal au dos. Et au visage. Il se souvient à peine: la voiture, Annie, l'airbag, le nez cassé, Michel, Claudine, Robert, l’omelette, les récits, les corps, le thé, la chute, le nez un peu plus cassé puis la mort. Ou ce qui peut s'en approcher le plus, mais sans vraiment l’atteindre.

—Plus rien là-dessous, tout a été dégagé.

—Et Robert?

—Aucune trace, disparu également.

—Des champignons. Dans la théière. Deux têtes entières plus une moitié, mélangées aux feuilles de thé. Et des bâtons de cannelle.

—Quel fumier celui-là. Je savais qu'il ne fallait pas lui faire confiance.

—La voiture et le van sont encore là, nous ne sommes pas coincés ici.

François écoute le dialogue sans chercher à identifier ses interprètes. Il refuse de sortir de son semi-confort léthargique.

—Et ton frère, il se décide à émerger ou il continue à simuler? Je le vois tortiller du cul depuis au moins deux minutes.

Là, François reconnait bien Claudine. Il se décide à ouvrir les yeux.

—C'est bon, c'est bon. Je suis éveillé.

Il s'assied lentement, pousse sur ses deux bras pour redresser son torse, laisse passer un début de vertige, se relève en prenant appuis à la fois sur la chaise à proximité et sur le bord de la table. A peine debout, les jambes encore partiellement fléchies, il s’écroule lourdement sur le siège qui lui servait d’étai.

—Tu te sens comment? dit Michel en s’essayant à son tour à côté de lui

—J’ai mal quand je renifle, j'ai la nausée, je peine à me maintenir éveillé. Ou plutôt, je n’en ai pas envie. J’ai mal au bide aussi. Ça te va?

—Je ne me sens pas très bien non plus, reconnait Michel. C'est pareil pour Claudine et Annie.

—Je suis en pleine forme, moi! dit Claudine, avant qu'un haut le cœur ne la force à couvrir sa bouche.

Elle se précipite dehors par la porte entrouverte, démontrant ainsi que l’orgueil est incapable de soumettre les effets émétiques cumulés de l’alcool, des tranquillisants et des psychotropes, démontrant même peut-être que l’orgueil est incapable de soumettre quoi que ce soit. A son retour, elle s'assoit également, suivie enfin par Annie qui se résigne avec un soupir.

—On fait quoi maintenant? demande Claudine. Et, par pitié Michel, ne nous propose pas de becqueter quelque chose.

—Ce n'était pas mon intention. Annie?

—Oui?

Elle sait ce que Michel lui demande. A elle. A François.

—Tu en penses quoi?

—C'est possible. Même dans son sommeil, il a tout entendu, tout respiré, tout discerné. Probablement rien vu, mais ce n'est pas gênant, il a ses autres sens. Cela dit, il n'est pas en état.

Michel ne discute pas.

—D'accord. Dans combien de temps?

François, lassé que l'on débatte de lui comme s'il était absent, se lève brusquement sans prêter attention aux tourbillons naissants.

—Je vais dormir. J'ai un rêve à terminer. Après on verra. J'aimerais bien me laver également. C'est possible Michel?

—Oui, il y a une cabine sensorielle à jet hydro-massant juste derrière le hammam. Deux hôtesses t'attendent pour astiquer ton dos à coups d’huiles essentielles.

—Et sérieusement?

—Derrière le refuge, il y a une douche à clapet raccordée à un vieux fût rouillé remplit d’eau de pluie posé sur des parpaings qui circonscrivent un foyer. Prends du bois dans la remise attenante, allume un feu. Tu devrais aussi trouver une veille bassine à linge pour y poser ton cul. Il faut quelques minutes pour que la température de l’eau soit acceptable. Si tu es prêt à patienter.

—Et le savon?

—Dans la bassine.

Annie, avec autorité, habitude du commandement et des interrogatoires, intervient alors.

—Michel, toi, tu allumes le feu et tu reviens t’assoir. Pendant que l’eau chauffe, comme tu y prends plaisir, tu vas te mettre à table. Mais pas pour te bâfrer.

—A vos ordre commandant.

—Tu vois Michel, toi aussi tu t'y mets, dit François tout sourire.

*****

—Vous n'avez jamais trouvé cela étrange? déclare Michel à peine revenu.

—Quoi? demande Annie.

—Ces souvenirs.

«Ces énigmes si tordues, ces criminels si maladroits, si prévisibles, nos amis si romanesques, cette ile si pittoresque? Et la répétition? L'étrange répétition de tous ces événements? Une forme de récurrence procédurale purement artificielle. Sur une période si courte. Une année, deux années tout au plus de notre vie à nous, de notre propre temps. Eh bien moi, cela me torture depuis...depuis toujours en fait. J'ai même l'impression de n'avoir été obsédé que par ces questions, même avant mes dix ans. Comment peut-on avoir le souvenir d'être obséder par quelque chose que l'on n'est pas encore sensé avoir vécu? Alors, quand Claudine s'est…escamotée, j'ai implosé. Comme une étoile trop dense, je me suis effondré sous le poids de mes psychoses, je me suis vu réduit, concentré, ramené à une simple singularité. Un point sans dimension. Et par effet rebond, je me suis révélé. Un big bounce incongru, baroque, éloquent. Un cosmos d’évidences: nos souvenir ne nous appartiennent pas.»

—Et c’est depuis ce moment-là que tu es devenu si pédant et verbeux ? dit Claudine.

D’un sourire facétieux, d’un clin d’œil charmeur et d’un majeur tendu fermement vers le haut Michel lui répond, prenant Claudine de cours, lui fermant sa gueule pour au moins quelques minutes.

«Alors j'ai cherché. J'ai remonté le fil de tous les lieux, toutes les personnes, toutes les intrigues que je gardais en tête. Cela m'a pris vingt ans. Et devinez quoi? Tout, ou presque, mène à des impasses fuligineuses, des culs de sacs nébuleux, des ex-nihilo abscons, des incréés amphigouriques. Alors oui, il y a des réalités objectives: nous quatre, tes parents Claudine, nos propres parents, l'île, le château, les Guillou, leur ferme. Mais c'est à peu près tout. Tout ce qui date de cette époque, même avant, est biaisé, corrompu, perverti. Le reste n'existe que dans nos têtes. Les certitudes ne commencent qu'après nos douze ans, le pensionnat, nos études.»

Chacun encaisse ces révélations sans un mot, conscient que Michel ne fait qu'apporter la preuve d'une réalité que tout le monde soupçonnait et qui, jusqu'à présent, avait conditionné leur vie, leur personnalité: la perverse et amorale Claudine, la froide et autoritaire Annie, l’infatué et flegmatique Michel. Et enfin François, le frustré hypersensible.

—Tu es retourné sur l'île? Au Château? demande ce dernier.

«Oui, je m’y suis même réfugié ces dernières années. Tout est à l'abandon. Le château est en ruine. Je l'ai exploré en tous sens pendant près de de trois ans pour essayer de comprendre ce qui nous est arrivé. J'ai soulevé chaque pierre, exploré chaque donjon, creusé des cavités, excavé des tranchés, taraudé des tunnels, joué les fossoyeurs, exhumé des cadavres. J’ai tout analysé. Terres, poussières, cailloux, feuilles, écorces, pollens, arachnides, rongeurs, insectes, papiers, métaux, verre et d’autres choses encore que j’ai oublié. J'étais convaincu que toutes les clés étaient là.»

—Et tu as trouvé quoi?

—Absolument rien.

Annie explose de rage, se relève brusquement. Elle colle son visage à celui de Michel.

—Mais putain, tu vas arrêter de nous mener en bateau ! Dis-nous où tu as trouvé ces cinq corps bordel!

Sa voix stridente est douloureuse. Ses postillons et son haleine atroces, visqueux, tièdes. Pourtant adepte des colères froides, elle a visiblement besoin d'exprimer quelques émotions refoulées. Ou se conforme-t-elle au rôle mille fois joué du flic impitoyable dans un interrogatoire musclé.

—Ici, évidemment. Tu ne crois tout de même pas que je me suis amusé à déplacer ces cinq dépouilles.

—Tu me fatigues Michel, vraiment. Sois plus clair, sois directe, sois plus simple, plus court, plus…moi, dit-elle en reprenant sa place.

—Triste perspective. Mais si tu y tiens, dit-il en lui tendant une enveloppe sortie du fond d’une poche.

—Mais encore? dit Annie en la saisissant.

«Quand j'ai quitté l'île, j'ai ressenti le besoin de vous voir, toi et François. Ne me demandez pas pourquoi, c’est ainsi. Je me suis donc rendu en ville. J’ai pris un hôtel. A mon entrée dans la chambre, sur mon lit, j'ai trouvé trois choses: les clés d'un van noir garé deux rues plus loin, rempli d’armes et de matériels, une photo de Claudine au milieu de ses poubelles et une enveloppe à mon nom.»

Annie l'ouvre et lit les inscriptions:

«Claudine est vivante. Des réponses ici: 44.253048, 3.273507. Vous aurez également besoin de votre sœur et de votre frère. Mettez vos années d'entrainement et de formation à profit.»

Annie analyse la lettre puis l'enveloppe avec soin. Elle la tend à François.

—Tu peux en tirer quelque chose à chaud, hors transe ?

—Oui.

«C'est une vielle enveloppe, un vélin haut de gamme, pure coton, sans filigrane, une odeur de résine de pin pour la colle, un peu de cire pour le scellé, quelques grains tout au plus, invisibles, sur le coin du rabat. Mais je les sens au toucher. Et ton nom est inscrit à la main, à la plume…de vautour ou d’aigle. Il y a des odeurs caractéristiques. De plus, le ciselage des rémiges de ces deux volatiles est significatif. Il marque sans ambiguïté les pleins et les déliés. L’écriture est, à ce propos, tellement maniérée qu’on pourrait croire que tu l’as toi-même signée Michel. Quelqu’un la reconnait?»

Il pose l’enveloppe à plat au milieu de la table. Personne ne répond.

—L’encre ? La lettre ? demande Annie.

«L’encre est traditionnelle. Un pigment charbonneux, un liant aqueux. De l’encre de Chine, tout simplement. La lettre est différente. Papier cassant, sec, bas de gamme, récent. Un blanc un peu forcé par des bains de javel beaucoup trop concentrés. Le texte est imprimé. Une imprimante standard, une encre commune.»

—Tu en déduis quoi ?

—Que la lettre et l’enveloppe ne correspondent pas. Pour le les autres déductions, je te laisse faire Annie. C'est quoi ces années d'entrainement dont le document parle, Michel?

—C'est lié à mon activité professionnelle je suppose.

—Mais encore?

—Mon activité d'interprète et de traducteur.

—Tu peux développer, si ce n'est pas trop exiger de toi?

—Je croyais que je parlais trop?

—Ne te fais pas prier, tu vas énerver notre sœur. Quand elle est en colère, elle est désagréable.

—Comme lorsqu’elle est calme pour le coup. Malin ça pour tromper l’adversaire.

 Claudine est de retour, fin de la tranquillité.

—Ma foi François, il n'y a rien à développer. Je suis interprète.

—Quelle langue ? Chinois, Anglais, Français, Allemand? Pour qui ONU, UNESCO, UE?

—Gaélique et Gallo.

—Pardon?

—Gaélique et Gallo. Je traduis le Gaélique aux Rennais, le Gallo aux Brestois. C'est assez facile à comprendre, non?

—Ok, ok, admettons. Pour quel type de client?

—Ma foi, tous ceux qui en ont besoin, c'est quand même la moindre des choses. C’était même mon slogan: «Vos besoins avant tout, partout, pour tous.»

—Ok. Au-delà du fait que le slogan colle aussi à une entreprise spécialisée dans le débouchage des évacuations sanitaires, ceux qui en ont besoin...comment dire...ils ne peuvent pas communiquer en Français?

—Si bien sûr. Cela explique probablement pourquoi j'ai dû arrêter: je n'avais pas assez de client.

Au bout de quelques secondes, Michel et François éclatent de rire. Claudine se joint à eux. Mais pas Annie. Elle est un peu frustrée. Elle sait que pour l’instant elle ne tirera rien de plus de Michel. Malgré elle, les rires contribuent à rafraichir son âme, apaiser son esprit, provoquer une fissure par laquelle la joie et le bonheur pourront peut-être, un jour, entrer.

*****

Après trois heures, douche comprise, François réapparait, le teint à peine plus frais.

—Je suis prêt, dit-il.

—Retourne d’où tu viens. Allonge-toi à nouveau. Ce sera mieux pour toi.

François apprécie la prévenance d'Annie, malgré la rudesse du ton employé. Cela fait plusieurs fois en deux jours. Il devra se méfier du retour de bâton.

—Michel, Claudine, prenez une chaise. Suivez-nous.

—Enfin un peu de spectacle, se réjouit Claudine. J’ai hâte de voir ce fameux numéro de mentaliste.

François s’allonge sur le lit, Annie assise juste à côté de lui, Claudine et Michel sur leur chaise de part et d’autre du sommier et du matelas.

—Ça se passe comment alors? Tu as un pendule? Tu lui fais des gros yeux à la Dominique Webb? Tu lui parle d'une voix d’onde Martenot aux inflexions oniriques, tordues? Tu lui tapote la main en rythme façon EMDR?

—Non. Ce qui est certain, c'est que cela ne se passera pas si tu continues à jacasser.

Claudine mime alors le mouvement d'une fermeture Eclair sur sa bouche. Annie entame sa comptine culinaire, en se disant que le gourmet Michel devrait aussi l’apprécier.

«De la marmite d'abîme tout souffle s'évapore… »

*****

—Attends, comment as-tu fait?

—J'ai changé de mode de navigation. Je suis passé en mode relatif.

—Donc, tu n'as pas besoin de lui donner un horodatage. Juste un événement qui s'est déroulé à peu près au même moment. Puis tu ajustes la période avant et après, par dichotomie?

—Oui.

—Il y a un mode recherche? Autre que temporel?

—Oui, Dans la limite de son vécu, direct ou indirect, de ses connaissances générales.

—C’est dommage qu’il n’ait pas fait plus d’étude. Je me demandais même autrefois s’il savait lire…Il sait? Bref. Je suis convaincue en revanche qu’il peut te raconter le dernier épisode d’une série à la con, pour peu qu’il ait comaté devant. Avec tous les détails. Il regarde du porno parfois?

—Est-il envisageable, très chère Claudine, que tu cesses quelques instants. S’il te plait.

—Non Michel, cela ne me plait pas.  Et les modes de restitution? Tu as dit chronologique, synthétique et le dernier c'est quoi déjà? Sensoriel?

—Oui. Concernant le dernier nous verrons en cas de besoin.

—Mais j'en ai besoin moi, dit Claudine. Je suis curieuse de l'entendre nous raconter sa première fois...Dans les trois modes... surtout le dernier.

—Tu es tordue Claudine. C’est ton cousin. C’est mon frère.

—Ne me dis pas que tu n’y as jamais pensé?

—Non.

—Oh si tu y as pensé. Tu mens, je le vois dans tes yeux. Oh, tu as même essayé! Tu l'as fait! A ton propre frère!

—Non.

—Mesdames, tout ceci est absolument fascinant, mais nous perdons du temps, interrompt alors Michel.

—Continuons, dit Annie, sous le regard mi-amusé, mi-pervers de Claudine.

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20h30 Je suis allongé. Je suis sur le dos. Robert est debout. Robert est immobile.

20h45 Je suis allongé. Je suis sur le côté. Robert est debout. Robert est immobile.

21h00 Je suis allongé. Je suis sur le côté. Robert est debout. Robert est immobile. Robert parle.

21h15 Je suis allongé. Je suis sur le côté. Robert est debout. Robert est immobile. Robert saigne. Robert tousse.

@Break.

—Je ne vois pas vraiment l'intérêt de ce que François raconte, dit Michel.

—Si.

—Je comprends, Annie, que tu puisses apprécier son style minimaliste, mais reconnais que c’est pauvre en informations utiles, n’est-ce pas?

—Faux. Sois attentif. Cependant, je peux ajuster l’échelle de temps. Je peux ajuster le niveau de détails. Mais je préfère, dans un premier temps, voir la scène dans sa globalité. Puis affiner. Je procède par itération pour trouver le bon réglage C’est ainsi que je travaille.

—Nous n'avons pas de temps pour cela. Nous avons besoin de tous les détails. Maintenant. Nous avons besoin d'assister à la scène comme si nous y étions. Tu n’as pas une solution? Un mode ouvert, sans paramètres.

—Il y a toujours des paramètres. Très nombreux. Avec des valeurs par défaut pour éviter de tout lister à chaque exécution. Mais je peux essayer autre chose.

—Quoi ?

—Il y a un quatrième mode de lecture.

—Et il s'appelle comment ce mode?

—Le mode roman.

*****

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Robert est debout immobile. Il se demande encore comment il a pu en arriver là.

@Break.

—Quoi, encore!

—Mais comment peut-il savoir cela? Il n'est pas dans sa tête quand même?

—Non. Il n’est pas télépathe. Il ne va pas tirer d'information formelle ainsi. Mais sa perception des états émotionnels est nette. Parfaite. Ensuite, il enjolive, il prête des intentions. Et c’est le mode roman. Alors, il s’exprime avec style. Parfois. Mais ce n’est pas Flaubert, ni Dumas ou Balzac. Ne vous faites donc aucune illusion.

—Laissons-le enrober d’une pellicule de miel odorante et sucrée ce gros amas de bouse qu’est notre ami Robert. De toutes façons, nous n'avons pas le choix.

@Unbreak.

Il regarde tour à tour François, Annie, Michel et enfin Claudine, sur laquelle il se fige, il se solidifie, lui pourtant si liquide. Avant d’être envahit par la catalepsie, il s’avance vers François, le met sur le côté, repli doucement ses jambes comme pour l'équilibrer, puis bascule sa nuque, entrouvre sa bouche. Il éponge le sang qui coule de son nez du revers de sa manche. Deux doigts sur son poignet et une main au visage dos tournée vers ses lèvres à moins d’un centimètre, il s’assure que son cœur bat insensiblement d’une pulsion régulière presque réduite à néant, que ses poumons expulsent un filet d’air tiède, si léger et si rare qu’il se fait oublier. C’est avec les mêmes gestes, les mêmes intentions qu’il s’approche de Michel, d’Annie et de Claudine, pour les mettre en confort. La posture de Claudine l’oblige cependant à adapter ses plans, du moins s’en persuade-t-il. Une main le long du coup, palpant la carotide, une sur la poitrine, à l’affut du mouvement.

@Break.

—Combien de champignons as-tu trouvé dans la théière Michel?

—Trois Morceaux.

—Ce n’était pas ma question. Combien de champignons ?

—Deux et demi, Annie.

—C’est précis, c’est mesuré. C’est pesé. C’est intentionnel. Robert ne nous a pas donné la mort. Il nous a ôté la vie. Ce n’est absolument pas la même chose.

@Unbreak.

Robert se remet debout et immobile. Il attend. Moins de trente minutes après l'effet du thé, trois hommes pénètrent brusquement dans la cabane, l'arme au poing. L'odeur de la nuit, de la vase, du soufre, de l’oignon fermenté, de la fiente de poule envahissent la maison.            

@Break.

—La fiente, la vase, l’oignon ? Je pensais que c’était moi. Ma voilà rassurée! dit Claudine.

@Unbreak.

—Où? demande le plus grand, un malabar osseux, vérolé, crasseux qui semble être le chef.

—A la cave, dit Robert. Il désigne la trappe en tendant la main droite.

D'un geste du menton, il commande à ses gars de rengainer leurs armes et de descendre au sous-sol. Brutus remarque alors les trois corps immobiles. Il s'approche d’Annie, la plus proche de lui, lui crache au visage. Il tend le bras et appuie le canon de l’arme sur sa tempe, le doigt sur la détente.

—Est-ce vraiment nécessaire? dit Robert en figeant sa respiration.

L'homme demeure silencieux, redirige son arme vers Robert, fait feu, effleurant au passage le lobe droit de son oreille. Il pointe à nouveau son arme vers Annie.

—J'insiste, dit Robert.

@Break.

—Dagobert aussi avait une grosse paire de couilles, dit Claudine admirative.

—C'était vraiment indispensable comme commentaire?

—Pour moi, oui.

@Unbreak.

Brutus lève le bras à nouveau, se décale de manière presque imperceptible sur la droite, vise maintenant l'oreille gauche de Robert. Il tire. Le sang coule, encore. Puis cible Annie.

—Circonstances, dit robert d'une voix ferme.

Là, brutus ne bouge pas. Robert prend cela pour une invitation à poursuivre.

«Quatre amis réunis autour d'un bon repas, un festin familial, simple, rural, champêtre. Une douceur partagée, une fraicheur du soir, le plaisir d'un bon thé, puis le besoin précieux de la douce euphorie d'une toxine apaisante. Mais une erreur fatale, un dosage excessif ou un choix malheureux, peu importe. Un simple accident domestique. Mieux, un adorable drame d’amour et d'amitié. Je crains qu’un peu de plomb, de nickel et de fer au milieu d'un crane mou ne rendent le récit beaucoup moins implicite. Et l'enquête qui s’ensuit bien plus approfondie. »

Brutus fouille dans sa poche, en ressort une boite d'allumettes. Il regarde Robert, un sourire se dessine à demi-commissure d'une lèvre retroussée, laissant paraitre des dents n'ayant pas vu le jour depuis bien des années. Il accompagne ce trait horrible et déformé d'un mouvement du visage et d'un haussement d’épaule du bras qui tend la boite. Il semble demander: que penses-tu de cela?

Robert, une fois encore, sait que le chemin est étroit. Sur sa ligne de crête, il n'a pas droit au faux pas. Il doit s'assurer de rester vent debout, de peur de tomber d'un côté ou de l'autre et provoquer ainsi une effroyable boucherie.

«Oui, c'est mieux, cela aura le mérite de détruire les preuves. Qu’importe les flammes, les fumées, visibles de tout côté. Le voisinage, pourtant si éloigné, sera vite alerté. Les secours appelés. Mais, oui, qu’importe. Avec un peu de chance, nous serons loin d’ici avant que les pompiers, les militaires, les policiers ne cernent le secteur.  Au pire nous nous terrerons. Les quelques jours perdus, voire les quelques semaines, ne sont pas un problème, j’en ai la certitude. L’affaire est entendue.»

Brutus referme son sourire, range ses allumettes, rengaine son arme. Robert peu enfin recommencer à respirer.

*****

Il a suffi de quelques minutes aux deux gaillards armés pour vider le sous-sol, nettoyer toutes les preuves, recouvrir la trappe de son tapis miteux, réajuster la table et les trois carcasses amorphes de Claudine, de Michel et d’Annie dans des positions sensées et cohérentes. Seul François est resté là où il se trouvait, gisant à terre, baignant dans son sang. De vrais professionnels. Avec une soufflerie portative mais puissante, ils ont même remué l’air environnant et tous un tas de poussière pour effacer les traces de pas, les trainées de la table, des chaises, des corps, sans toucher à ce qui pourrait constituer les déplacements normaux des quatre amis retrouvés. Les traces de Robert ont été effacées, les deux balles qui ont entaillées ses oreilles et le sang transféré, tout ce qu'il a touché, tout ce qu’il a approché. Et pour redonner vie aux objets ainsi lustrés, les empruntes au hasard de la famille défunte ont été appliquées. Et toujours, par bonheur et par chance, entre deux de leurs rares respirations, Robert s’évertuant à détourner l'attention d'un geste maladroit ou d'une toux trop bruyante, sans bouger d’un iota, si tant est qu’un iota, pauvre lettre oubliée, puisse se déplacer.

A la fin du ballet, de ce Lac des Cygnes dansé avec lourdeur par des barbouzes idiots mais très bien entrainés, des hommes de Cro-Magnon à peine évolués, c'est le plus grand d'entre eux qui prend l'initiative de venir l'assommer d'un coup de poing rageur porté de haut en bas sur le plat de son crâne, de le soulever sans moindre ménagement pour le faire sortir par la porte grande ouverte puis le jeter en vrac par le hayon baissé d’un camion maquillé aux milieu des dépouilles des cinq corps étrangers.

@Break.

—Je sais où ils sont allés, dit Michel. Et pourquoi.

*****

—C’est terminé. Je réveille François. Il me faut quelques minutes.

—Non attends.

—Quoi, encore?

—J’ai un truc à lui demander…

—A son réveil, Claudine.

—…à son insu.

—Je m'en doutais.

—C'est important, crois-moi. J’ai besoin de savoir. Je te le demande. A genoux si tu veux!

Claudine a l’air sincère. La voir s’agenouiller et se soumettre enfin n’est pas non plus pour déplaire à Annie. Mais elle va s’en passer, au moins pour cette fois-ci.

—Bien. Si tu as besoin d'aide pour poser ta requête, demande. Parle d'une voix lente, faible mais audible.

—Je peux cumuler les modes?

—Oui

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Event: «le concert de Led Zeppelin au Madison Square Garden le 27 Juillet 1973»;
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«Dis-moi bordel de Zeus, toi qui aimes le lyrique et les phrases bien tournées comme Michel le pénible, qu’as-tu fait de l’album signé de la main même de Jésus descendu de sa divine scène, une guitare dans les bras, toute humide et suintante, les cordes déformées et les deux ouïes hurlantes, de cette pochette tachée par la sueur et les fluides d’un Jimmy Page en rut à l’issu du concert joué au Madison Square? Te palucher dessus, tu en étais capable, raconte-moi cela. Et dis-moi pour finir, qu’as-tu fait d’une relique qui vaut bien tous les suaires, les dents de saint Antoine ou les pièces de Judas? Qu’as-tu fait de mon Dieu, Oh qu’as-tu fais de moi!»

@Break.@Echo^off.

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Jackie H hace 1 mes

Pas mal de commencer ainsi avec le rêve de François vécu à la première personne 👍🏻 j'aime les débuts déroutants 🙂

Pas mal aussi cette façon de revisiter (et de démystifier par la même occasion) toutes ces lectures de notre enfance avec un regard d'adulte et aussi d'une autre époque, ces histoires d'enfants détectives auxquelles nous n'avons jamais cru qu'à moitié mais qui, avouons-le, nous ont quand même bien fait rêver à l'époque...

C'est vrai qu'en ce temps-là la littérature dite "de genre" avec personnages récurrents n'avait pas encore acquis ses lettres de noblesse, les personnages gardaient toujours le même âge, le même environnement et en étaient toujours au même point dans leurs vies de livre en livre et d'enquête en enquête, et que ça avait l'air a priori de ne déranger personne... après tout, "on ne lisait ça que pour se distraire" disait-on à l'époque...

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Arthyyr hace 1 mes

Merci Jackie. Les lectures de notre enfance ont un avantage précieux: elles nous maintiennent dans l'enfance ou nous y replongent plutôt. J'espère que celle-ci joue un peu son rôle délicieusement régressif. Avec quelques surprises bien sûr 😁

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