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Chapitre 5 - Marché conclu !

Chapitre 5 - Marché conclu !

Publicado el 24, ene, 2024 Actualizado 1, nov, 2024 Crime stories
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Chapitre 5 - Marché conclu !

— Je n’en ai rien à faire, rétorqua Strange sans même le regarder, la mâchoire crispée. Je ne suis plus inspecteur depuis des semaines. Trouvez-vous un autre larbin pour vos besognes ; pourquoi pas Patel ? Il rêve d’une promotion.

— Le sergent n’a pas votre capacité de déduction, répliqua Carter en fronçant les sourcils. C’est de vous et de personne d’autre dont j’ai besoin.

Le noiraud lâcha un nouveau reniflement méprisant. Ses yeux bleus croisèrent ceux de son colocataire, et celui-ci serra le poing. Il voyait clairement la vanité de son compagnon grandir dans son regard prétentieux et hautain. Il sentait que Strange attendait qu'il flatte son ego avant d'éventuellement l'écouter.

— De plus, ce n’est pas à moi que vous allez faire croire que vous n’enquêtez plus, s’impatienta le châtain en sortant un document de la poche de sa veste. Cette lettre « anonyme » est la vôtre, j’en suis certain.

— La définition du mot « anonyme » ne veut-elle pas…commença Strange, avant que son ex supérieur lui coupe la parole.

— Vous étiez sur cette affaire quand on vous a renvoyé. Et je sais que vous n’auriez jamais abandonné un cas. Chez vous, c’est un besoin biologique d’aller à l’encontre de ce que l’on vous dit…

L’intéressé ne répondit pas, et récupéra sur un tas de papier son étui à cigarettes. Il en sortit une et craqua une allumette. Il semblait en pleine cogitation pour savoir s’il devait céder à la tentation d’une nouvelle enquête ou non. Finalement, il soupira en expirant un filet de fumée.

— Très bien, je vous écoute, déclara-t-il sèchement en croisant les jambes. Si j’estime le cas intéressant, j’accepterai peut-être de me pencher dessus.

— J’espère que votre ami a l’estomac bien accroché, murmura Carter en jetant un coup d’œil à Alexander.

— C’est un ancien soldat, s’impatienta Strange en balayant la remarque d’un geste de la main. Il en a certainement vu d’autres.

— Alors je commence, déclara le Chief Inspector. Ce matin, un homme est venu au poste de police de Mayfair. Il est arrivé en courant et totalement paniqué d’après ce qu’on m’a dit. Il a dit qu’il travaillait à la maison de ville de Lord Pembroke sur Grosvenor Square et que son maître était mort. Les agents de police du commissariat sont partis sur les lieux pour s’en rendre compte par eux-mêmes. Ils…

— Par pitié, Carter ! s’exclama le noiraud en déposant quelques cendres dans son cendrier. C’est votre rapport que je veux, pas celui des exécutants qui ne réfléchissent pas.

— Très bien, soupira le châtain en passant une main dans sa chevelure. Lord Henry Pembroke a été assassiné cette nuit, à l’aide d’un stylet. On soupçonne un membre de sa famille, mais nous n’avons pas retrouvé de trace hormis l’arme du crime.

— C’est que vous avez raté quelque chose, coupa Strange avec brusquerie. Cas inintéressant, je n’en veux pas.

— Oh, je ne vous ai pas encore dit le plus amusant, rétorqua l’inspecteur avec un sourire amer. Le ministère de l’Intérieur n’est pas satisfait de l’efficacité de la Police métropolitaine. Je pense qu’ils ont l’intention de ne garder que les inspecteurs compétents.

— Quel est le lien avec l’affaire ?

— Je n’ai que quatre jours pour résoudre cette affaire et arrêter le criminel. Je crains qu’une fois ce délai dépassé, je ne perde mon travail…

— Inutile de faire cette tête dépitée, ricana le noiraud avec un sourire féroce. J’ai perdu le mien et j’ai toujours un toit sur la tête.

— Vous ? Vous vivez avec un paquet de cigarettes et une bouteille de whisky irlandais ! répliqua Carter avec mauvaise humeur. Moi, j’ai une femme et deux filles. Sans compter que si vous avez été renvoyé, c’était uniquement de votre faute. Dans mon cas, je risque la porte sans avoir quoique ce soit à me reprocher.

— Quoi qu’il en soit, cela ne me concerne pas, rétorqua son ancien subordonné. Soyez un peu autonome et faites votre travail sans moi.

Le châtain passa une main sur son visage, tandis que son interlocuteur s’étendait de tout son long sur le canapé. Cela sembla marquer la fin de la discussion, car l’inspecteur se leva de la chaise, comme résigné à partir. Mais à peine avait-il fait trois pas en direction de la porte, il se retourna, un éclair de lucidité passant dans son regard sombre.

— Ooh, je vois…susurra-t-il avec délectation. Si vous refusez de me prêter mainforte, ce n’est ni par rancune ni par honneur. Vous avez simplement peur, Strange.

— Peur ? répéta l’intéressé en crachant presque le mot. Et de quoi devrais-je avoir peur ?

— De ternir votre précieuse réputation de fin enquêteur, répondit Carter sans se départir de son rictus amusé. Vous craignez de ne pas réussir à résoudre cette affaire en moins de quatre jours.

— C’est tout à fait absurde, répliqua le noiraud en fronçant les sourcils. Je pourrais parier mon appartement et tout mon argent que je pourrais régler cette énigme avant vous.

— Vraiment ? le nargua l’inspecteur en haussant un sourcil moqueur. Dans ce cas, voici ce que je vous propose : si vous ne voulez pas m’aider par altruisme, accordez-moi au moins un duel de déduction avec vous. Ce sera peut-être le dernier…

Cette fois, cette éventualité sembla intéresser Strange. Il se leva de son fauteuil et s’approcha de son ex-supérieur, un rictus au coin des lèvres.

— Vous êtes prêt à vous prendre une dérouillée ?

— C’est ce que nous verrons, s’amusa Carter avec un sourire démoniaque. Que parions-nous ?

Son interlocuteur réfléchit quelques instants, avant de répondre.

— Un mois de loyer. Si je gagne, vous payez le loyer complet du mois de juillet. Si je perds, ce qui n'arrivera jamais, c'est moi qui vous payerai.

— Très bien. Alors marché conclu !

Les deux hommes se serrèrent la main pour sceller leur accord, un sourire entendu sur le visage. Alexander en venait à se demander si son colocataire avait remarqué qu’il s’était fait berner comme un débutant. Il était évident que l’inspecteur-en-chef l’avait volontairement provoqué, avait heurté son égo pour le pousser à accepter un pari.

— Si vous le désirez, un fiacre m’attend en bas de chez vous, reprit Carter en se dirigeant vers la porte.

— Non, je vous rejoindrai à pied, déclina Strange en retournant lentement vers sa chambre. Grosvenor Square n’est qu’à une vingtaine de minutes de marche d’ici.

— Très bien, à tout à l’heure. Encore navré pour le dérangement, M. Wilson !

— Ce n’était rien, assura ce dernier avec un sourire chaleureux.

— On se retrouve sur les lieux, Strange, lança l’inspecteur avant de sortir.

— C’est cela, marmonna l’intéressé d’un air lassé.

Il referma la porte de sa chambre après son passage et n’en bougea pas pendant de longues minutes. Pendant un instant, le soldat crut qu’il s’était rendormi, mais le noiraud en ressortit rapidement, habillé avec un peu plus de soin que de coutume. Un sourire enthousiaste éclairait son visage tandis qu’il enfilait sa veste.

— Wilson, voulez-vous venir avec moi, je vous prie ? demanda-t-il en la boutonnant.

— Pardon ? Où donc ? s’étonna le blond.

— Eh bien, à Mayfair évidemment, répondit Strange comme si c’était limpide. À moins que vous n’ayez autre chose à faire.

Alexander réfléchit quelques secondes, et finit par hausser les épaules. Depuis des jours, il était paticulièrement inactif, et cette sortie pourrait peut-être enfin le distraire. Il se leva du fauteuil et prit son manteau. Cependant, juste avant de sortir, il s’arrêta.

— Strange, ne feriez-vous pas mieux de vous raser un peu ? interrogea-t-il.

— Est-ce réellement nécessaire ? s’impatienta l’ancien inspecteur.

— Nous allons dans un quartier de Londres où toute la noblesse se rassemble. Je pense que ça l’est.

— D’accord, j’y vais…

Il ne lui fallut que trois minutes pour ressortir de la salle de bain, rasé de près. Les deux compagnons descendirent les escaliers, effrayant au passage miss Whitmore qui remontait son courrier.

— Sullivan ? s’étonna-t-elle en le voyant passer en trombe devant elle. Mais où allez-vous ?

— Chasser le criminel, répondit l’intéressé en sautant les trois marches pour atteindre le rez-de-chaussée. Je rentrerai sûrement dans l’après-midi.

Bientôt, les deux hommes marchaient dans Baker Street en direction de Mayfair. L’air était sec et frais, une chaleur idéale pour une promenade. Strange semblait étonnamment dynamique : après des jours à rester amorphe dans le studio, il faisait à présent présence d’une énergie difficilement comparable. En revanche, Alexander ne savait pas ce qu’il faisait là.

— Pourquoi vouliez-vous que je vienne avec vous ? demanda-t-il tandis qu’ils approchaient d’Oxford Street.

— Je n’aime pas la solitude, répondit son colocataire. Lorsque j’étais encore dans la police, je prenais toujours quelqu’un avec moi, simplement pour discuter. Parler à voix haute me permet parfois de mieux comprendre les événements.

— Avez-vous déjà une idée de ce qu’il a pu se passer là-bas ?

— Pas la moindre. Autant vous dire que j’ai assez hâte de voir de quoi il retourne…

Grosvenor Square était d’un tout autre niveau que Marylebone. Un parc trônait au milieu de la place, et tout autour de lui s’alignaient les maisons de ville luxueuses. Il ne fut pas très difficile de localiser la demeure où avait eu lieu le crime : un groupe de policier se pressait devant la maison au coin de Brook Street. En les voyant approcher, un policier sortit du groupe et s’avança. Alexander ne tarda pas à le reconnaître : c’était le sergent qui les avait arrêtés un mois plus tôt.

— Qu’est-ce que tu fais là ? cracha-t-il avec véhémence.

— Je viens voir notre cher ami décédé, répliqua froidement Strange.

— Pourquoi ?

— Par altruisme et par envie d'aider mon prochain.

— Pourquoi ?

— Parce que Carter a demandé mon aide.

— Pourquoi ? répéta Patel sans se démonter.

— Parce que les idiots qu’il a sous ses ordres ne cessent de poser des questions stupides !

— Je ne te permets pas…

— Ah, Strange, vous voilà enfin ! s’exclama la voix de l’inspecteur-en-chef. Je vous attendais.

Il descendit rapidement les marches du perron et rejoignit le petit groupe.

— J’ignorais que M. Wilson serait avec vous, remarqua-t-il.

— En réalité, moi aussi, répondit le blond. Mais si je peux être utile, je le ferai volontiers.

— Très bien, alors allons-y…

Carter entra en premier, suivi par le noiraud et son colocataire, et un Patel furieux fermait la marche. La maison était véritablement somptueuse et transpirait la richesse dans chacune de ses décorations.

— C’est au premier étage, déclara Carter en montant les escaliers. C’est le valet de chambre de Lord Pembroke qui l’a découvert. D’après lui, la chambre était verrouillée lorsqu’il est venu le réveiller. Il est le seul à avoir un double de la clé. Il a averti les autres domestiques et l’un deux nous a alertés. Il n’y a presque pas de traces dans sa chambre ni même ailleurs.

Tandis qu’il racontait les détails des événements, Strange semblait presque dormir debout. Il n’avait pas l’air de lui porter la moindre attention. Ils marchèrent sur l’épais tapis qui couvrait le sol jusqu’à une porte verrouillée. L’inspecteur glissa une clé dans la serrure et la tourna.

— Je suis le seul à avoir les clés, à présent. J’ai préféré laisser la scène de crime intacte pour votre enquête.

— Je vous en remercie, mais n’oubliez pas une chose, répondit son ancien subordonné. Ceci est une compétition entre nous. Aussi, j’aimerais que vous ne soyez pas là lorsque je prépare ma déduction.

Le châtain poussa un soupir fatigué, mais lâcha un marmonnement vaguement approbateur avant de sortir en refermant la porte derrière lui. Alexander jeta un regard sur la chambre. Elle était chargée en décoration diverse. Les rideaux des deux fenêtres étaient ouverts, sans doute par les policiers pour un meilleur examen des lieux. Des restes de bois noircis dans l’âtre de la cheminée témoignaient qu’un feu y avait été récemment allumé. Les armoires, la table ronde et la table de chevet étaient à leur place et tout semblait ordonné.

Mais tous ces détails parurent dérisoires pour Alexander, dont le regard s’était fixé sur la masse étendue sur le lit. C’était un homme de plus de soixante-dix ans, aux cheveux gris et courts et à la moustache épaisse. Son visage était détendu et paisible, comme s’il était simplement endormi. Sur sa chemise de nuit blanche, des traces rouge sang coloraient le tissu au niveau du cœur.

Contrairement à ce que le soldat s’était imaginé, il ne s’agissait pas d’une effusion de sang, mais seulement de quelques gouttes.

Sur le tapis, à côté du lit, se trouvait l’arme : un stylet particulièrement ouvragé, dont la lame triangulaire était couverte de sang.

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