Ce jour-là.
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Ce jour-là.
Ce jour-là, j’avais LES deux rendez-vous. Oui, d’un coup, les deux. Ç’était tombé comme ça.
J’avais dit : « Tant mieux, ce sera fait ».
J’avais pas pensé que, moi, je tomberais avec. Sur un genou. Puis l’autre.
Parce que je m'étais dit : « Je vais juste aux infos ».
Mais voilà : ma gastro-enterologue - vraiment gentille et pédagogue - m’a pris en guet-apens :
« Maintenant que je vous ai vu, je ne peux pas vous laisser repartir comme ça. Il faut programmer l’examen. Et vite. Très vite. On ne sait pas ce qu’on va trouver … Vous auriez dû être suivie depuis vos 25 ans … Peut-être qu’il faudra que cela se fasse en deux fois … parce que les polypes de ce syndrome se voient très difficilement … »
J’ai pas eu peur de ce qu’ils allaient trouver. Mais des dommages collatéraux, si. J’ai déjà donné. Trop.
Et là, il était question de saignements persistants, dans les effets secondaires, parce que j’allais avoir LA maousse costaud de colo. En plus d’une fibro.
Je m’étais donnée un an de tranquillité. Et voilà que j'n'avais plus que 3 semaines pour me dépatouiller de la mutuelle de l'ex-époux- où je suis, comme qui dirait, une clandestine qui raque quand même, du point avec l’anesthésiste et de TOUTE la paperasse …
Mais la grosse problématique, le vrai gros choc, ça avait été la question logistique :
« … quelqu’un pour vous amener, vous ramener et veiller sur vous la nuit. »
Quelqu’un qui veille …
« Ce sera possible ? Vous êtes … ?
- Seule.
- Ah … si vraiment vous ne trouvez pas, ce sera une hospitalisation… »
Autrement dit, d’autres dépassement d’honoraires. Et du dépassement de soi le jour J, et les jours autour …
Qui n’est pas en couple paie littéralement de sa personne. Voilà. C’est comme ça. Mais ça ne devrait pas …
Cette question m’a taraudée dans la journée, en ma faisnant revoir les bienfaits du couple. Il y aurait donc quand même un côté salutaire inconscient à cette entité : gérer les bobos à deux. Surtout ceux du vieillissement. On est moins effrayé et dégoûté par le corps de l’autre qu’on a toujours connu. Mais de nos jours, ma brave dame, quels couples durent ?
Dans la majorité des cas, le mâle du couple hétérosexuel se barre avec une jeune infirmière qu’il n’aura pas besoin de materner. Lui seul le sera. Dernière partie de vie « sexe et baume en roll » : joli programme. Et plus de questions à se poser sur qui te « récupérera », dans tous les sens du terme, le jour où cela ne va pas …
Oui, j’étais amère. C'est comme ça.
Ce jour-là, je me suis scindée un temps. Mon corps d’un côté, que je voulais punir en ne lui donnant plus à manger. La faute aux aphtes et reflux depuis plusieurs semaines - choc psy, avait supposé la gastro-enterologue suite à LA nouvelle …
Et puis ce premier rendez-vous qui m’avait chargée comme une mule. Trop lourd à digérer, même si j’avais déjà vachement faim.
De l’autre côté, mon âme qui retenait plus ou moins ses larmes. Alors pour la consoler, la nourrir, - elle -, je suis allée à la librairie des Volcans.
Là, j’ai flotté de bancs de coraux multicolores en quêtes de trésors. Des trésors pour mon choupisson qui vénère encore les dragons à l’approche de ses 14 ans.
Cette semaine, on s’était lu une madeleine de Proust : Nävis. On en lit de temps en temps, dans son lit. Ça nous câline, à deux. Toutes des histoires qui me font rire et pleurer fort : Chi, Les Carnets de Cerise, Le Grand Méchant Renard … Je crois qu’il aime ça : me voir déborder des cases. Lui est plus dans la retenue.
Ce jour-là, j’ai décidé que je ne ferai pas attention à la dépense pour son anniversaire. Et que j’allais aussi me faire plaisir. J’ai aperçu les crayons de couleurs de Pierre-Emmanuel Lyet et je n’ai pas tergiversé.
Je n’ai découvert que le livre parlait de deuil que dans ma voiture, avant mon 2e rendez-vous. J’ai eu envie de pleurer en me spoilant la dernière page. Vous auriez résité, vous ? Mais, je me suis dit qu’au delà des couleurs explosives, plus fortes que le chagrin, ce choix était très bien.
Et beau.
Beau comme un coeur arc-en-ciel qui avait besoin des larmes pour faire naître l'irisation sur sa rétine.
J’avais trouvé le marque-page pour mon choupisson et m’est venu cette citation pour lui :
« Ouvrir un livre, c’est (s’)ouvrir un chemin … à emprunter sans fin. »
J’ai fini par donner à manger à mon corps. La journée était trop, trop loin d’être finie … Et je salivais devant les sandwichs.
Je voulais me barricader dans le silence et le mutisme. Mais mon âme avait elle aussi encore très faim. Je me suis dit que ce mécanisme de résilience, cette écriture, qui romantise tout et met tout à distance, était une immunothérapie spontanée chez moi. Car j’ai entendu des touches de machine à écrire dans ma tête : « C_e_ j_o_u_r___l_à … » Et c’était parti.
Le douloureux devenait moins pesant. Un peu plus plaisant. Voilà : c’est comme ça.
Puis, ça a été au tour de revoir, plus tôt que prévu, ma gynécologue - adorable, compatissante et également très pédagogue. On arrive à rire ensemble. Et pourtant, on s’est souvent vu aux moments les pires, quand je ressemblais à un rat crevé.
Quand je lui ai dit que ce « Lynch » en plus, pour la première fois, j’avais trouvé ça pas juste parce que j’avais besoin de force pour tout reconstruire - mon corps et mon décor, elle m’a répondu :
« Oui, souvent, en tant que professionnel.le.s, on se dit que certaines font le paratonnerre pour d’autres. »
J’ai adoré. Je lui ai dit que je lui piquais l’idée. Être une déesses de la foudre, c’est quand même plus classe que celle de la ... matière fécale.
J’ai quand même eu beaucoup de mal à retenir mes larmes quand j’ai compris, avec ses explications, qu’un autre guet-apens se refermait sur moi comme mon col de l’utérus sur ma jeunesse. Oui. Un utérus, ça se referme quand ça a compris que cela ne servirait plus … Alors, les bâtonnets de dépistage ont beau être très fins, ben, pour se frayer un passage, faut percer. Tous les ans. Et si ça fait trop mal, c’est sous anesthésie générale. Tous les ans …
Et quand on trouve quelque chose, cela veut dire que c’est bien installé. Alors ce n’est pas que la « petite » opération en réponse. ça veut dire que le branle-bas de combat à la suite va être intensif, abrasif, corrosif … Revivre - ça -, quoi.
Après une tentative de prélèvement douloureuse et quasi-infructueuse ( si vous avez suivi, vous comprenez ce que cela induit pour la suite ), mais une imagerie rassurante, on a calculé dans mon langage-imagier que je n’engrangeais plus qu’une manda-uté-rine confite et deux noix rabougries … ça m’a rassuré. Mon corps ne s’en rendrait peut-être pas tant compte que cela si on les enlevait, me suis-je raconté ...
Elle m’a donnée du temps pour réfléchir mais un rendez-vous proche avec la chirurgienne spécialisée en oncologie, pour en savoir plus. En spécifiant bien pour sa consoeur : « Sister, no act ! »
Ce jour-là, la fin de journée, je ne m’en souviens plus beaucoup. Si ce n’est que je me suis faite piquée par des moustiques. Mais ça, c’est à peu près tous les jours. C’est comme ça.
Ce jour-là, c’était jeudi dernier.
Ma machine-à-écrire peut décelérer.
Voilà, voilà … 🌟