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Animaux
Un si doux regard

Un si doux regard

Publicado el 12, feb, 2025 Actualizado 12, feb, 2025 Biography
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Un si doux regard


Il y a quelques années, novice encore, je prends des cours dans un centre équestre.

L’univers carcéral dans lequel sont maintenus les chevaux, magnifiques au demeurant, ne me saute pas aux yeux. Je n’ai pas d’expérience, je vois des animaux qui personnifient la liberté enfermés dans des boxes, nourris au grain deux fois par jour et je crois que cela est normal. Ça correspond parfaitement à l’image d’Epinal du gentil poney qui attend sa cavalière pour faire le beau dans une carrière, et croquer une pomme. La majesté convoquée au cirque, convoquée à l’obéissance, à la singerie dont tout le monde se gargarise: voilà qui ne me choque pas outre mesure, j’ignore tout de cette violence silencieuse, de l’abrutissement et de la folie d’une éducation et d’un conditionnement dont nous sommes les premières victimes et que nous nous empressons d’étendre à tout ce que nous avons été capables de domestiquer. Notre bêtise, celle de croire que nous serions l’étalon ultime de l’intelligence et qui catalogue le cheval parmi les imbéciles puisqu’il ne sait pas résoudre une équation du deuxième degré (ah le con!), ne m’a pas encore frappée, je n’ai pas fait le lien, je débarque.


Pourtant, la paille qui empeste l’ammoniaque dans laquelle ils se couchent, l’étroitesse du box (à corpulence égale, cela revient à enfermer un être humain dans un placard), la privation de liberté de mouvement, de contact avec des congénères (torture blanche, on fait la même chose dans les prisons iraniennes, entre autres), le décor fait de barreaux aux portes, de loquets, de verrous, de cordes, de harnachement, de cravaches et de noeuds, d’attaches et d’entraves: ce décor évoque-t-il la joie et la liberté? Que ma cécité fut tenace… Dans le meilleur des cas, les chevaux là emprisonnés étaient traités comme des peluches géantes et servaient de déversoir émotionnel à des bipèdes en mal d’affection.


Alors que mes yeux se dessillaient progressivement, au fur et à mesure de mes questions restées sans réponse ou ne recueillant qu’un geste évasif ou, pire sans doute, un éhonté mensonge, une absurdité « mais enfin, ailleurs c’est pire, ici, ils voient l’ostéopathe et le dentiste régulièrement », je me fis plus attentive. En effet, on leur procure des soins. Ainsi, ils restent en vie. Pour endurer un peu plus longtemps un régime alimentaire contre-nature et qui les rend malades, un manque d’exercice mortifère dans un paddock boueux, des soins prodigués en dépit du bon sens. Imaginons, en miroir, que nous subissions un traitement analogue. Cela reviendrait à nous contraindre à brouter de la salade pour toute nourriture, à dormir dans nos excréments, et à s’étonner que nous perdions le goût de vivre. On a déjà vu cela.


C’est ici, dans cette rencontre torpillée à la fois par le désir de domination et les bons sentiments que se cache un point de rupture: nous ne sommes, au coeur de ce manège, ni à leur place, ni à la nôtre.. Notre crime, c’est l’anthropomorphisme doublé du déni de l’existence de l’autre. En tant qu’être vivant. En tant qu’autre, différent. Nul besoin de se lancer dans des exactions et des violences visibles et exemplaires. Le simple oubli de la nature de l’autre, de sa qualité d’être vivant est une porte ouverte sur l’enfer, ouverte par de gentilles petites personnes qui « aiment trop les chevaux ».


Je me souviens de ce cheval pie qui venait d’arriver. Je l’aimais beaucoup. Un jour, alors que je passais devant son box, je m’approchai pour lui donner une caresse. Il me reçut par des coups de tête qui me firent reculer et partir, honteuse et mortifiée. Je crus qu’il rejetait ma présence. Je m’étais trompée. Il voulait que j’ouvre sa porte… Simple.

A quoi est-ce que je sers si je ne suis pas capable d’utiliser mes mains pour accomplir ce geste: tourner une poignée? Qui sommes-nous devenus? Est-ce cela vivre libre? Aimer les animaux? C’est bien la peine de parler de respect quand la compréhension et le courage nous font si cruellement défaut et qu’un cheval -toujours incapable de résoudre une équation- nous donne une si magistrale leçon. Leur enfermement est à notre image.


Quelques semaines plus tard, on me demande d’harnacher Nico pour prendre une leçon avec lui. Mon coeur se serre, ce cheval acariâtre me fait peur, il botte et mord. Je l’installe dehors, à l’extérieur de son box, pour le préparer en toute sécurité. Mon travail accompli, je me tiens debout un instant à côté de lui, le regard perdu en direction de la carrière en contrebas où, dans quelques minutes, je devrai me rendre pour m’exercer.

J’attends. Debout à côté de Nico, dans une absence, j’attends.

Soudain, une vague noire déferle en moi. Un égout a lâché, une eau sombre et épaisse se déverse. Je distingue au début des parois de bétons anthracite qui contiennent le flot puis plus rien de cela. Je ne vois plus aucune forme, c’est tout noir et insondable. Je suis saisie de désespoir, d’une tristesse sinistre, une étreinte lugubre m’enserre et m’étouffe. Je plonge dans les latrines d’un cachot crasseux, un filet d’air seulement me tient encore vivante, les sons sont déformés, avalés comme je le suis dans une angoisse sans fond. Les sanglots jaillissent. Autour de moi, pourtant, tout semble normal et je tente de me ressaisir.


Je me tourne alors vers lui.


Je contemplai quelques instants avec effroi la douleur de Nico, le cheval qui me fit la grâce de m’ouvrir son coeur pour me faire comprendre, dans ma chair, ce que vivent les forçats du monde entier, hommes ou animaux, incarcérés dans des geôles intérieures ou bien réelles. Alors qu’il s’éteignait, alors que l’envie de vivre l’avait quitté, ce cheval fit encore une fois la tentative d’une communication, d’une ouverture et me prit à témoin. Il m’a éclairée et c’est son message qu’aujourd’hui je porte, sa qualité de regard qu’il me revient de transmettre: rien n’est plus précieux que la liberté. Non pas celle qui nous conduit à nous défouler comme des malades, mais la vraie liberté, celle du coeur, celle du choix.


Merci Nico, je sais qu’aujourd’hui tu vis tranquille loin des boxes et des tours de manège.


























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Sandrine Cartier verif

Sandrine Cartier hace 5 días

Merci! J'ai écrit ce texte pour répondre à une consigne. La voici: il fallait mettre en scène une scène de cruauté sur un animal et, dans la continuité, écrire un bref récit d'amitié/solidarité entre humain et animal. J'ai longtemps tourné en rond car inventer une scène de cruauté sur un animal me retournait l'estomac. Et puis j'ai écrit ce texte, qui ne doit rien à mon imagination puisque c'est le récit d'une expérience telle que je l'ai vécue.. Et coïncidence, j'ai appris hier soir que Nico était décédé. Merci de m'avoir lue!

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