Hommage à Samuel Paty
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Hommage à Samuel Paty
C’est un matin banal dans un établissement sans histoire.
C’est l’aube. Le soleil à peine levé te donne des envies de campagne. Tu franchis le portail en fer. Tu as une partie importante du programme à boucler avant le début des vacances. Des graines essentielles à semer dans ces esprits juvéniles, à la fois puérils et fertiles, capables derrière toi de retourner la terre en cinq minutes ou de la disperser... Ton métier est un labour et tu descends souvent du tracteur pour les remettre dans le bon sillon…
Tu enfiles le masque, tu plaisantes avec les collègues. Quelle que soit le champ disciplinaire, ils ont eux aussi déjà retroussé les manches. Tu entres en salle, les élèves sont installés. Ils ont aussi sagement mis leurs masques, mais pas toujours en haut du nez. Ils ont les yeux fatigués, mais les langues sont déjà déliées. Ils ouvrent leurs cahiers. Sous ta dictée, ils ont écrit de belles choses. Tu leur demandes de les relire pendant que tu fais l’appel.
« Deux d’entre vous vont présenter leur travail à la classe. Je vous rappelle la consigne : reformulez avec des mots à vous la nouvelle notion de liberté d’expression en vous appuyant sur le poème de Paul Éluard donné à la fin du cours ». Une fille un peu timide commence. Sa mère l’a aidée, elle craint le reproche du professeur, le regard des autres élèves. L’anxiété fait vibrer sa voix : « Sur les murs gris du collège, sur les trottoirs menaçants de la rue, sur l’écorchure cicatrisée de la Haine, sur le ballon crevé de la Bêtise, j’écris ton nom : LIBERTÉ ». La classe applaudit. C’est le rituel. Et tu la félicites. Tu lui promets même de revenir sur le sens profond des mots qu’elle a choisis.
Tu interroges un garçon qui lève le doigt. Il a le regard franc. « Monsieur, j’ai fait le travail et j’en ai parlé à table avec mes parents. C’était super, pour une fois, mon père n’a pas allumé la télé pendant tout le repas. » Il se lève, demande s’il peut venir au tableau. Tu salues son panache et tu lui laisses le champ libre. Tu t’effaces. Tu vas t’asseoir à sa place pour mieux l’écouter. Tu prends des notes sur ta feuille.
Il est là, la main dans la poche. Il se dandine d’une jambe sur l’autre face à ce silence inattendu, silence miraculeux dans une classe où, en général, ça bouge… Il dit le titre de l’exercice. « Poème ». Sa voix tremble un peu. Il lève les yeux de son cahier. Il tergiverse. À la première table, il y a cette petite nouvelle dont il est amoureux et qui attend avec impatience ce qu’il va dire. Il connaît le texte par cœur. « Monsieur, je peux poser mon cahier… Mon poème, je m’en souviendrai toute ma vie »… Il respire profondément. La voix monte, forte et belle.
« Sur le poignard hideux de l’assassin, sur sa rage et sa férocité, j’écris ton nom… Sur le grand Livre des religions, sur les portraits de ceux que j’aime ou que je n’aime pas, sur tous les dessins et sur toutes les caricatures, sur les valeurs idéales auxquelles je crois, sur la parole de mon professeur, j’écris ton nom, LIBERTÉ D’EXPRESSION »