Image de : SnakeCroqueur

Chapitre 7 : La photo, ce n’est pas un peu cliché… ?

Je n’arrivais toujours pas à comprendre comment la photo pouvait être aussi passionnante. Comment cela pouvait-il justifier l’achat de matériel aussi onéreux. J’avais estimé a plus de 2 000 euros son appareil, et encore là, je regardais seulement l’un de ses objectifs. Mon insistance se fit remarquer. Il vint rapidement à m’expliquer tout ce qu’il savait sur la photo, comme pour répondre à ma curiosité. Il commença par le boîtier. Sa résolution. Choix entre petit et grand capteur. Sa vitesse de prise de vue. J’eus plus de données que je ne pouvais les comprendre. Les termes de focale, macro, rafale, sortirent à tout va. Au-delà de l’aspect technique, qui n’était qu’un outil comme il disait si bien, le plus important était le sujet : ce que nous comptons prendre en photo. C’est là que j’eus le droit à la visualisation d’une bonne centaine de clichés, et ce, à chaque pause que mes jambes et mes poumons imposés. Environ tous les quarts d’heure.

J’étais à la fois impressionné par certaines images, qui certes étaient classiques, mais se révélaient être magnifiques. Nous avions l’habituel soleil couchant, sur un extraordinaire fond de mer bleu nuit, bordé par un sable doré scintillant de mille feux. Il y avait aussi le soleil levant derrière la cime d’une montagne, la rendant rougeoyante comme si de la lave en coulait. Ces images étaient hautes en couleur. Elles marquaient l’esprit au premier coup d’œil. Elles donnaient envie de s’y attarder.

Mais, dans le lot, il me montra sans cacher sa fierté, des clichés qui semblaient flous, sombres, et bien moins riches en détails. Les couleurs étaient pauvres, elles manquaient de vie. Avec beaucoup d’hésitation, je me permis de lui demander pourquoi il les avait gardées, et pourquoi il semblait si heureux de les avoir prises.

• Eh bien, c’est tout simple. Que t’expriment tous les autres clichés ?
• Ils sont beaux. Il attire l’œil. Il donne envie de passer du temps à les regarder, à scruter chaque détail.
• Je suis tout à fait d’accord avec toi.
• Mais, du coup, je ne comprends pas les autres images. Elles paraissent vous plaire plus que les autres. Je me trompe ?
• Encore une fois, tu vois clair dans mon esprit. Oui, je les adore même. Et je sens que tu veux en savoir la raison.
• C’est vrai. J’aime comprendre ce qui m’entoure. Tant que je n’arrive pas à avoir d’explication, je n’arrive pas à aller plus loin.
• C’est peut-être cela qui est ton défaut, me fit-il en souriant.

Il prit un instant pour choisir un cliché sur son appareil et la commenta :

• Tu vois cette fleur ? Qu’en penses-tu ?
• La photo est floue. Il y a juste les pistils qui sont nets. On devine que c’est une fleur, mais ne peut pas en apprécier la beauté. Elle est effacée, et le décor où elle vit l’est encore plus. Mais, si vous me la montrez, j’imagine que c’est que vous la trouvez réussie, c’est ça ?
• Tu as bien décrit la photo. Et oui, c’est une de mes plus réussies.
• En quoi « le flou » peut vous réjouir, fis-je légèrement agacer. Ne pas comprendre avait tendance à jouer sur mes nerfs.
• Qui te dit que je voulais mettre l’accent sur la fleur ?

Sur cette question, je ne sus quoi répondre. Pourquoi elle ne serait pas le sujet principal du cliché ? À première vue, elle semblait très belle, très agréable à regarder. Pourquoi gâcher cela ? Je ne savais vraiment pas où il voulait m’emmener.

• Regarde attentivement la partie qui attire le plus ton regard. Qu’est-ce qui est mis en avant.
• Le… le pistil ?
• Que vois-tu ?
• Il est net. En zoomant dessus, on aperçoit énormément de détail. Il….

Je venais seulement de comprendre.

• Il devient intéressant. Sans cet effet, il serait noyé dans la masse. On ne se serait pas penché sur lui. Cette… technique permet de forcer la personne à ne regarder que ce que nous voulons qu’elle voie. J’ai saisi. Et… c’est prodigieux.

Cette passion pour la photo venait de me toucher en plein cœur. Un cliché que je prenais pour une prise de vue ratée, un ensemble trop flou pour s’y attarder, était devenu celui que je préférais. Incroyable.

• Tu sais, la photo est un art comme un autre. Tu verras énormément de photos très belles, de paysages fantastiques, aux couleurs qui te plongent dans un doux rêve. Mais elles sont si nombreuses, que tu n’arriveras pas à distinguer un cliché plus qu’un autre. Elles seront éphémères dans ton esprit. Tu les auras oubliés dès le lendemain. Mais si parmi elles, certaines ne dévoilent pas une majorité de détails, mais juste un seul. Que celui-ci est magnifiquement mis en avant, cette image, elle, a bien plus de chance de te marquer.
• Je n’avais pas vu cela sous cet angle. C’est une optique intéressante, que je pourrais certainement exploiter pour écrire.

Il prit une grande gorgée d’eau de sa gourde. Ma mère, nous voyant en grande discussion, s’était volontairement mise à cueillir des fleurs. Elle semblait heureuse que je me sois ouvert à cet étranger. Il aura fallu ce voyage insensé pour revoir son sourire. Il aura fallu ce voyage absurde pour que je comprenne que mon obstination n’était pas ma plus grande force, mais surtout une faiblesse. Avant que l’on atteigne enfin le but de notre si longue et éreintante balade, notre hôte me fit une réflexion qui me marqua à vie :

• L’écriture, quel art magnifique pour amener au rêve, à voyager, à partager. C’est un moyen d’expression qui a sa magie. Qu’essaies-tu d’écrire ?
• Je… je n’ai pas encore commencé, je n’y arrive pas.
• Pourquoi ?
• Parce que, quand je pose le stylo sur la feuille, je me rends compte que tout à déjà était écrit. Tous les univers aussi. Même si votre technique me donne des idées, je ne sais pas encore comment faire un texte qui plaise, malgré tout ceux qui existent.
• Je comprends. Dis-moi une dernière chose, avant que l’on rentre…
• Oui ?
• Cette fleur, juste devant toi, qu’attends-tu d’elle ?

Encore une de ses questions énigmatiques. J’avais l’impression de faire face à maître Yoda. Mais la réponse qu’il m’apporta ce jour changea définitivement ma vision des choses.

• Elle, heu…, je souhaite qu’elle soit belle, avec de jolies couleurs. Des pétales avec des formes amusantes.  
• Et… maintenant, dis-moi, elle, qu’est-ce qu’elle attend de toi ?
• Pardon ? Rien. Elle ne sait peut-être même pas que je la regarde. Ni même qui je suis. Elle est bizarre, votre question.
• Tu as raison, fit-il en riant. Fais un effort pour moi, considèrent la fleur comme ton écrit.

Mon visage perplexe l’amena à compléter sa demande.

• Tu souhaites que ton écrit plaise, qu’il soit apprécié, et à chaque ligne. En quelque sorte… la perfection. Mais ton texte, lui, ne demande qu’à prendre vie dans ton imagination. Il ne demande qu’une chose : que tu lui donnes ton originalité, ta vision, ta plume. Il se contrefout des regards qu’ils se porteront sur lui. Si j’ai un conseil à te donner, écrit pour donner une âme à ton histoire, car la perfection n’existe pas. L’idéal commun n’est qu’un mythe. Chaque lecteur vit une histoire toujours à sa façon. Mais toi, tu seras le créateur, celui qui va le plonger dans ton monde, et non dans celui qu’ils veulent lire.