Plus la charrette avançait vers le bourg, plus Augustine se sentait tourmentée. Elle demanda au curé Baod de faire demi-tour et de se diriger à l’ouest, vers la Pointe de l’Armorique. Le curé l’écouta et ils se retrouvèrent à la croisée de quatre chemins. Augustine descendit alors de la charrette munie de son bâton de pèlerin et se laissa guider par lui, tel un sourcier. Tournant et retournant sur elle-même, le bâton la dirigea sur un petit monticule de terre et vint se planter au milieu, comme si une main invisible l’y avait aidée. Elle annonça au curé :

- Dites à mon père et à ses compagnons d’ériger une Kros ar Vosenn⁽¹⁾ à cet endroit exact. Ce calvaire sera le point de départ de la fin de l’épidémie. A partir de cette croix, la peste disparaîtra de nos terres. Surtout, dites au sculpteur de respecter la forme originelle de la pierre afin de conserver tous ses pouvoirs… La croix présentera donc des boursouflures, symboles des bubons typiques de la peste noire.

Le curé entassa donc des pierres qui se trouvaient sur le bord du chemin et fabriqua une croix avec deux bâtons de bois et une ficelle, pour ne pas oublier l’emplacement de la future Kros ar Vosenn. Il demanda ensuite à Augustine de remonter sur la charrette car demain débutait le miziou du⁽²⁾, le mois noir et il fallait qu’il organise la messe pour la Toussaint. Mais Augustine refusa de le suivre et reprit son bâton de pèlerin. Elle lui raconta qu’elle était appelée ailleurs et lui demanda de prévenir sa mère et ceux qui croyaient en elle, de la retrouver à la chapelle suivante…

- Saint-Adrien ? Saint-Guénolé ? Saint-Trémeur ? lui demanda le curé.

- Là, où leur cœur leur dictera d’aller, répondit Augustine et elle se dirigea, seule, vers le sud.

- Fais bien attention de ne pas te perdre. Les ribines⁽³⁾ sont nombreuses par ici et la nuit tombe vite à cette période…

Augustine, son bâton en main, avançait tranquillement dans les chemins de bocages, entre les champs et les vergers abondants de ce coin de Plougastel qui était considéré comme le plus fertile de la presqu’île. Ici, le microclimat autour de l’anse de Lauberlac’h offrait les meilleures conditions à la culture des champs et à la pêche. Ce fut tout naturellement qu’Augustine arriva donc sur le quai de Lauberlac’h qui comme à son habitude, était animé du va-et-vient des barques et bateaux de pêcheurs qui rentraient au port en fin de journée. Affairés, nul ne faisait attention à elle, et Augustine continua son chemin jusqu’au bout du quai, afin d’avoir une meilleure perspective de la direction qu’elle devait prendre. C’est là qu’elle vit un pauvre pêcheur, enguenillé, qui était en train de trier des coquilles Saint-Jacques et huîtres qu’il venait de pêcher. Sans rien lui demander, le pêcheur qui l’avait vu arriver de loin, tendit la main et lui donna une coquille.

- Je reconnais ton bâton, tu es une fille Kervalle de la Fontaine Blanche si je ne me trompe pas. J’ai bien connu ton grand-père… Prends cette coquille, elle te sustentera pour la route qu’il te reste et une fois vidée, accroche - la à ta cape, elle te protègera sur ton chemin.

Augustine le remercia mais n’ayant pas de couteau pour ouvrir la coquille, lui demanda encore son aide. Le vieux fit glisser la lame de son couteau entre les 2 coquilles et la passa à Augustine, sans l’ouvrir complètement, pour qu’elle puisse y boire l’eau de mer. Quel fut son émerveillement, quand elle y découvrir une belle perle au milieu de la coquille. Sans rien dire, elle mangea la noix, le corail, nettoya la coquille et l’accrocha sur sa cape comme le vieux lui avait indiqué. Avant de repartir, elle hésita mais finit par offrir à son bon samaritain, la perle qu’elle avait trouvée.

- Tu as reçu le plus beau cadeau que la mer pouvait donner… en me l’offrant, tu fais preuve d’un grand acte de bonté et ta mère te fera bientôt un cadeau en retour. Dieu protègera chacun de vos pas… Suis le sillon, la rédemption des Plougastel est proche…

Augustine reprit donc son bâton et marcha jusqu’au sillon. Elle longea ensuite la retenue d’eau pour arriver jusqu’au Kordennad de Saint-Adrien.

(1) Kros ar Vosenn : Croix de la peste en breton

(2) miziou du : mois noir

(3) Ribine : chemin de traverse