Augustine, se sentit une nouvelle fois comme orpheline et aussi invisible aux yeux de sa mère qui, par son handicap, était devenue une charge pour tout le hameau. Elle passait dorénavant ses journées à égrainer son chapelet, à l’entrée de sa ferme. Tourmentée, Augustine avait le choix :

- Se complaindre dans son malheur et sombrer ou écouter la voix de la Sainte Vierge et insuffler de l’espoir parmi les siens ?

Le lendemain, elle se réveilla aux aurores, sa décision était prise.

Elle débuta son pèlerinage par sa chapelle de la Fontaine Blanche.

La chapelle se trouvait à l’orée de la forêt, entourée d’arbres ancestraux. L’histoire raconte qu’il y a bien longtemps, des enfants avaient trouvé dans la forêt, au creux d’un arbre, une statue de bois représentant la Vierge. Intrigués, les habitants du hameau l’avaient ramenée à l’église Saint-Pierre pour qu’elle y soit honorée. Mais le lendemain, elle avait disparu. Les Plougastel l’avaient cherchée partout et ce sont les enfants qui l’avaient retrouvée au même endroit que la veille, dans le creux de l’arbre. Par trois fois le phénomène se répéta, jusqu’à ce que les habitants comprennent que c’était un signe du Ciel. Ils y avaient alors construit, à l’endroit exact du grand chêne, une chapelle en l’honneur de la Vierge Marie.

A la chapelle de la Fontaine Blanche, Augustine avait ramené des voiles de lin que sa mère avait tissé quand elle veillait ses sœurs. Elle en recouvrit la statue de bois, la prit dans les bras et la porta, tout en faisant le tour de la chapelle à l’intérieur en récitant des neuvaines. Puis, elle fit de même à l’extérieur. Petit à petit, les enfants du hameau, encore en état de se tenir debout, commencèrent à la suivre. Chacun avait ramené de chez lui, un ruban de couleur de la tenue de fête de leur mère et l’attacha à la statue. Bien vite, une dizaine d’enfants chantant des cantiques et entonnant des prières, se retrouvèrent autour de la chapelle, soulevant en rythme la sainte Vierge aux rubans colorés, et ce avec de plus en plus d’entrain. Fourbus après tant d’efforts, les enfants allèrent tous boire de l’eau à la petite fontaine en contrebas de la chapelle. Sous le regard bienveillant de la statue de la Vierge tenant le petit Jésus, ils étanchèrent leur soif en se faisant la promesse que le lendemain, ils iraient à pied jusqu’à la chapelle la plus proche, si leur état le permettait. Ils rentrèrent alors chez eux et allèrent directement se coucher dans leurs lits clos, sans manger.

Au matin, le hameau fut réveillé par des cris provenant de plusieurs fermes. Les femmes de la Fontaine Blanche étaient en liesse. Tous les enfants, malades ou rachitiques, qui avaient bu la veille à la fontaine, retrouvaient des couleurs et de la vigueur. Un miracle était arrivé.

Pleine d’espoir, Augustine raconta à sa mère ce qui s’était passé. De ses yeux voilés, des larmes coulèrent et elle demanda à sa fille de prendre le bâton de pèlerin familial pour faire le tour des chapelles de la presqu’île, qui en comptait huit. Elle indiqua à Augustine où se trouvait le bâton de marche que son père avait hérité de ses aïeux et lui dit de s’en servir pour trouver le chemin de la rédemption. Celui-ci mesurait 1 mètre de haut, avait été taillé et sculpté dans du chêne, et présentait de nombreuses et curieuses entailles sur toute la longueur. Augustine trouva le bâton et l’observa sous toutes les coutures. Elle y découvrit une écriture effacée dont on ne pouvait plus lire que le mot Gwezen⁽¹⁾ et dont sa mère ne connaissait pas la présence. Augustine lui tendit alors le bâton et la supplia de l’accompagner pour l’aider sans sa lourde tâche. Sa mère, qui n’était plus que l’ombre d’elle-même depuis le décès de ses filles, vit enfin une façon de se sortir de sa noirceur et accepta de la suivre. A peine sorties de leur ferme, elles furent rejointes par tous les enfants de la Fontaine Blanche qui étaient en état de faire ce long chemin… mais aussi par les autres mères qui croyaient en ce bon présage.

Une petite troupe d’une vingtaine d’âmes se dirigea alors vers la chapelle Saint-Claude.

^{(1) Gwezen : arbre en breton}