Chapitre 1
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Chapitre 1
La sonnerie annonce la fin du cours et le début de mon enfer. Les élèves se précipitent à l'extérieur tout sourires. Je suis bien la seule à ne pas me réjouir d'être à la pause du midi.
Mon ventre se noue, je me mets à transpirer. Je commence déjà à avoir la nausée rien qu'à l'idée de ce qui m'attend.
Je range mes affaires le plus lentement possible pour essayer de repousser le moment fatidique. Pourtant, je dois bien sortir de la classe à un moment donné.
À peine suis-je dans le couloir que j’aperçois un attroupement. Bien sûr qu'ils m'ont attendue. Ils ne se priveraient pas de leur petit plaisir de la journée.
— Eh la pédée !
Cette remarque vient de Noah, ce qui ne m'étonne plus puisqu'il me lâche tous les jours cette insulte. On pourrait croire que je suis devenue indifférente depuis le temps, mais une injure en cache souvent une autre... Je sens mes battements de cœur s'accélérer. Cette fois, je me dépêche. Peut-être aurais-je de la chance et pourrais m'échapper d'ici. Aïe ! Un stylo vient de me percuter le crâne. La douleur me fait oublier dix secondes que je ne dois pas montrer de failles. Ne pas répondre, ne pas réagir et surtout, partir le plus vite possible !
- On te parle l'africaine !
Cette fois, la remarque vient de Néo, le plus virulent de tous mes agresseurs. Dans sa bouche, tout ce qui a un rapport avec les personnes noires est une offense. La peur devient de plus en plus forte. Ne pas répondre, baisser les yeux, rester invisible. Je finis à la hâte de ranger mes affaires en me répétant ces paroles. Se faire oublier, ne pas faire de vague. Je me dirige le plus vite possible vers la sortie. Mais je suis bloquée : Thomas, le plus imposant de tous, me barre le passage ! Plus d'esquives possibles. Je me prépare à encaisser les coups. Je ferme les yeux. Victor, le chef de la bande, me pousse. Je suis paralysée, impossible de bouger. Pourtant, je sais déjà ce qui va suivre.
- Réponds quand on te parle !
- Rentre dans ton pays, sale chienne !
Une douleur me transperce le ventre. Je me plie en deux sous le choc tandis qu'ils rigolent. C'est Néo qui a donné le premier coup, comme toujours. Le reste du groupe continue de m'insulter, mais leurs paroles sont comme étouffées. Je n'arrive plus à me concentrer sur quoi que ce soit : la douleur prime sur le reste. Je sens les larmes me monter aux yeux. Non, il ne faut surtout pas que je pleure ! Ça ne rendrait leur victoire que plus belle, alors je scande en boucle dans ma tête : "Ce n'est qu'un mauvais moment à passer".
Je me faufile dans le couloir pendant qu'ils sont trop hilares. Quand arrêteront-ils de me harceler ? Sans doute jamais, et c'est d'autant plus insupportable. Je ne sais pas ce qui est le pire entre ceux qui s'amusent de mon malheur et ceux qui se contentent de regarder sans réagir. Parce que tout le monde sait : mes camarades, les profs, et même ma mère ! Et personne ne fait rien. Ils doivent sans doute se dire que je n'en vaux pas la peine. Je cours me réfugier dans les toilettes, le seul endroit où ils ne peuvent pas m'atteindre. Maintenant que je suis seule, je laisse couler mes larmes tout en sortant mes écouteurs pour écouter de la musique. Le téléphone est interdit dans l'enceinte du collège, mais c'est mon seul moyen de ne plus penser à ma douleur ou au fait que personne ne m'aime. C’est le seul refuge où personne ne peut m’atteindre. Ni Noah, ni Thomas, ni Néo, ni Victor. Personne. La musique me fait oublier jusqu’à ma présence même dans ce monde. Seulement, la douleur me ramène en permanence à la réalité. Alors je sors mon dernier espoir : un livre. Pendant ma lecture, je vais sans doute louper le repas. De toute façon, je ne vais jamais à la cantine. Là-bas, je suis seule face à mes harceleurs. La faim ne me dérange plus, j’ai l’habitude depuis tous ces mois. Elle est même devenue mon compagnon le plus fidèle qui me tient compagnie même dans les pires moments. Mais peut-être que la vraie raison de cette privation est de punir mon existence même…
Soudain, la sonnerie retentit. Le retour en cours arrive beaucoup trop tôt à mon goût. Je ne veux pas y aller... J'arrive à nouveau à peine à respirer à cause de l'angoisse qui revient. Je n'arrive plus à bouger, mais comme à chaque fois, je me force à me concentrer sur mes respirations. Inspire... Expire… Inspire... Expire... Je finis par me relever. J'ai tenu jusqu'ici, alors pourquoi pas aujourd'hui ?
Jackie H 2 months ago
"Fight, flight or freeze"... Une description très réaliste de la réaction au danger comme de la douleur du harcèlement et de la solitude de la personne harcelée.
Ceux qui n'ont aucun pouvoir ne font rien parce qu'ils ont peur d'être "mis dans le même sac"... et dans la même situation.
Et ceux qui ont un pouvoir craignent qu'après leur intervention, les choses soient encore pires ("petit(e) chouchou des profs, hein ?" "alors, on disparaît derrière les jambes de papa-maman ?" "on sait bien que quand tes protecteurs ne sont pas là, tu ne sais rien faire ! attends un peu que tu te retrouves tout(e) seul(e), tu vas voir comme on va te la faire, ton affaire !" etc, etc, etc...) alors ils préfèrent s'abstenir...
Lucéa Flament 2 months ago
C'est exactement ce que je voulais retranscrire dans ce premier chapitre. J'espère que de plus en plus de personnes se rendent compte que parler autour d'eux du harcèlement dont ils sont spectateurs peut sauver des vies.