Mr L. (témoignage de la guerre civile )
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Mr L. (témoignage de la guerre civile )
Alors voilà L.. 42 ans, beau mâle congolais. C’est un des psychologues de la structure, spécialisé dans la prise en charge des enfants atteints de VIH.
L. est un phénomène dans son genre. Toujours le sourire et le rire, toujours jovial et accueillant. Quand il arrive, il y a toujours une ruée d’enfants qui lui tournent autour, lui prennent la main, un qui monte sur son dos, un autre qui saute sur la chaise de son bureau.
Quand on se voit le matin, c’est toujours un expressif « Charlos !!!! » qui m’accueille, suivi de notre rituel, trois tapes de mains, une percussion de coup de poing, un claquement de doigts, un lever de coude en riant. Puis s’ensuit le salut congolais, petit coup de tête à droite, petit coup de tête à gauche, puis petit coup front contre front. Non, coup de tête à droite, à gauche, à droite, à gauche, puis au centre, parce qu’avec L. c’est toujours un peu plus à chaque fois.
L. est à mes yeux ce qu’il y a de plus précieux dans une équipe : quelqu’un qui amène toujours un grand dynamisme, de la joie et de la bonne humeur, et qui a toujours un petit mot gentil ou drôle à l’égard de chacun.
Et pourtant. L. est à l’image de ce Congo ; quelqu’un qui a été détruit par la guerre et qui a appris à se relever depuis.
Des fois L. vient dans mon bureau. Après deux trois blagues, il me parle d’un patient puis d’un autre, revient sur les marques tragiques de leur passé. Il me raconte des siennes.
Il me parle de ce climat de peur en 1997 ou en 1998. Il me parle de ces milices qui s’affrontaient dans le sud de Brazza, les Cobras de Sassou, les Cocoyes de Lissouba, et les terribles Ninja de Kolela, dont les F.B Stars m’ont déjà tant parlé pour leurs exactions. Des arrestations-tortures sans distinction, et des exécutions.
Il me raconte ce jour où il devait se déplacer avec son grand-père, quand ils ne pouvaient plus regagner le domicile. Ce jour où ils se sont réfugiés à l’hôpital de Makélékélé, où ils ont trouvé refuge dans la seule place où on ne viendrait pas les chercher : à la morgue. Il me raconte la nuit passée, lui et son père, au milieu d’un tas de cadavres aux odeurs nauséabondes, planqués.
Il me parle de ce jour où les Cobras sont entrés chez lui. Ont vidé leur chargeur sur son chien, l’ont mis à poil, l’ont torturé, l’ont frappé à la tête de leur crosse jusqu’à évanouissement. Il me raconte ensuite le retour,rampant sous une voiture en même temps que d’autres faisaient mine de pousser une voiture en panne, sur plusieurs kilomètres.
Il me parle de ces amas de corps gisant sur le bas-côté de la rue. L’histoire de cet enfant noué avec un pagne dans le dos de sa mère, sa mère ayant été exécutée, lui ayant survécu.
Il m’explique qu’après la guerre, il a fumé pendant 10 ans parce que c’est la seule chose qu’il avait trouvé pour masquer l’odeur de cadavre qui l’habitait en permanence.
Il marque un temps, pensif, et me dit « Ah, Charlos, on a souffert, on a souffert !!! ». Et puis le drame s’efface, on revient aujourd’hui, un sourire illumine à nouveau son visage, et il part dans un grand éclat de rire. On se tape dans les mains, cogne le poing-claque des doigts, lever de coude, et il repart s’occuper de sa horde de gamins.
J’aime bien L.. Je veux dire, j’aime VRAIMENT bien L..
NB : Petit hommage au blog d’un interne dont je suis fan depuis une semaine, et dont je lis chaque jour entre 2 consult’ les petites histoires qu’il raconte sur un patient ou sur un autre, qui témoignent d’un profond intérêt pour l’humain qui existe derrière le cas clinique. Merci à toi, confrère interne, grand écrivain à ses heures perdues.
http://alorsvoila.centerblog.net/